15 minutes avant la rupture du jeûne, Mustapha ne sait pas encore avec quoi il va le rompre. Il a prévu quelques pommes dans son sac, au cas ou, mais il m’a assuré que partout où il passe, Ljwad (les braves gens) ne l’oublient jamais.
À cause de son handicap, ils se montrent particulièrement généreux avec lui, mais ils ignorent que son handicap est le résultat d’un diabète sévère et qu’il ne peut pas manger grand chose de ce qu’on lui offre.
À l’entrée de Bab Sebta (à Salé), au milieu du marché des fruits, Mustapha expose ses jambes. En ce Ramadan, il ne refuse jamais la nourriture qu’on lui donne. Il me dit qu »il en prend ce que sa santé lui permet et donne le reste à d’autres mendiants.
Je retourne le voir une minute après l’avoir quitté. Je voulais connaître son prénom pour les besoins de ce texte. Un plateau était déjà à ses pieds. Alors pour le taquiner, je lui dis « Ah si les braves gens savaient que tu as gardé tes vrais jambes à la maison, s’ils savent que tu leur exposes des jambes loués, pour attirer leur pitié.. »
Après avoir libéré un grand éclat de rire, Mustapha a répondu « Oui, j’ai plusieurs jambes. Des jambes pour marcher, des jambes pour courir et celles pour mendier. J’ai aussi plusieurs mains, plusieurs faces.. Mais je reconnais qu’avec ces jambes-la, je fais beaucoup plus d’argents qu’avec mes mains, lorsque je travaillais comme apprenti-tailleur traditionnel.. ».
Et puis sur un ton plus sérieux, j’ai eu avec Mustapha une petite discussion que je résume ainsi:
– Les gens trouvent qu’il y a de plus en plus de mendiants. Trop de mendiants. Qu’en penses-tu ?
– Je suis d’accord, mais alors pourquoi ces mêmes gens continuent à donner?
– À ton avis?
– Les gens donnent parce qu’ils savent que nous vivons dans une société profondément injuste. Ils ont pitié.
– Tu crois qu’avec la pitié on fera une société plus juste..?
– Avec la pitié les gens ne font que soulager un peu leur conscience. Mais je les remercie quand-même de ne pas être insensibles au sort des gens comme moi. Je prie Dieu de les épargner du diabète. Je prie Dieu qu’ils ne soient pas obligés de mendier pour acheter des médicaments à vie.
– Dis-moi Mustapha, tu ne trouves pas que la mendicité, avec l’ampleur qu’elle prend au Maroc, est une conséquence directe d’une mauvaise répartition des richesses ?
Il m’a regardé un moment. Il a sourit et en guise de réponse, Mustapha a sorti une pomme de son sac pour me l’offrir!
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