Prière sur le fleuve!

Ramadan 2015. Rupture du jeûne!
Jour 22.

– Est-ce que deux filles portant la jupe peuvent se présenter à ta barque pour traverser le fleuve sans problème ?
– Pourquoi ça serait un problème ? Ici, nous sommes à Rabat, pas ailleurs. Et à Rabat, nous sommes des gens évolués.

Depuis 24 ans, Abdelkrim fait traverser les gens entre Rabat et Salé sur le fleuve Bouregreg. Il lui arrive souvent depuis le début de Ramadan d’offrir sa barque à des jeunes qui désirent rompre le jeûne dans le décor le plus enchanteur de la ville.

Avec les Oudayas, comme toile de fond, cette barque a l’allure d’une sirène. Avec mon frère Adil, nous ne pouvions résister à son charme, à son appel.

Sur l’autre barque, celle de Nourreddine, nous avons traversé les quelques mètres qui nous séparaient d’elle et nous nous sommes complètement abandonnés à ce moment de pur bonheur.

Comme tout chauffeur de barque qui se respecte, Abdelkrim a une opinion sur tout et une voix assez forte pour se faire entendre par tous. Le mariage, l’éducation, la modernité et les filles en jupe.. Tous des sujets sur lesquels, Abdelkrim a une opinion bien tranchée. Il parle comme pour répondre à des questions de journalistes.. Comme s’il avait un message à transmettre.

– Qu’est-ce que tu aimes dans ton métier?
– J’aime l’air! J’aime la liberté. J’aime me réveiller à l’heure que je désire, travailler quand je veux. Ne dépendre d’aucun patron, d’aucun ordre.. Je suis au milieu du plus beau décor.. Regarde les Oudayas, à cette heure de la journée. J’aime dormir dans ma barque, j’aime faire ma prière au milieu du fleuve! Plus riche que moi, j’en connais pas.

Abdelkrim et Nourreddine aiment partager leur richesse. Tous les deux ont refusé que je les paye de nous avoir transporté au coeur du fleuve.

L’entreprise qui gère l’aménagement de la vallée de Bouregreg avait prévu dans son budget le renouvellement de toutes les barques du fleuve. Leurs propriétaires devaient contribuer avec un montant de 3500DH pour chaque barque dont le prix total est de 40 000$.

Abdelkrim est très reconnaissant au Roi Mohammed VI d’avoir annulé cette contribution. Il aurait aimé cependant que les chauffeurs de barque du Bouregreg, qui veillent, à leur manière, au maintient d’un patrimoine historique de Rabat et Salé, puissent bénéficier d’un minimum de sécurité sociale.

Abdelkrim pense qu’une assurance santé, ça donnerait à ces travailleurs du coeur, la reconnaissance qu’ils méritent.