Ramadan 2015. Rupture du jeûne!
Jour 28.
« Bienvenue chez-moi » me dit Abdelghani en ouvrant la porte. Aussitôt j’ai senti une odeur accueillante.
En enlevant mes sandales avant de mettre les pieds dans son salon, je cherchais encore à l’identifier. Il va me le dire plus tard et je sais que je vais me sentir con de ne pas l’avoir reconnu très vite.
Je me donne une chance. En attendant que la source de cette odeur remonte à ma mémoire, je me laisse accueillir par le décor..
Du salon à la chambre à coucher, en passant par le bureau, le balcon et l’atelier, je suis déjà époustouflé par ce que je vois. Cette maison est une oeuvre d’art et celui qui en est l’auteur est un grand artiste que tous les marocains devraient connaître.
« Ta galerie est dans ton salon, pas besoin d’exposer ailleurs ».
Arrivé à l’atelier, je ferme les yeux pour sentir l’odeur enivrante, mais je n’ose pas encore demander. Je me tourne vers Al Khaima (La tente) qui fait face à l’atelier. Je braque aussitôt ma lumière et je mitraille le mur, le sol, le plafond avant de prendre une pause pour imaginer à la sortie, quelques chameaux, quelques palmiers et une montagne de sable. C’est tout ce qui manque pour compléter cet univers créé de toutes pièces par un artiste.
L’odeur me rattrape et je sens arriver le nom de sa source sur le bout de la langue.. Ça va venir.
Je connais Abdelghani Elharrati depuis quelques années. Je n’avais jamais encore été chez-lui malgré les nombreuses invitations. J’attendais le moment opportun. C’est peut-être cette odeur qui explique ma présence chez-lui!
C’est mon ami et artiste peintre Hamid Kiran qui me l’avait présenté. Il était venu lui montrer une série de petites toiles. Depuis, Hamid lui a consacré quelques articles forts élogieux à l’Opinion.
Elharrati a toujours peint, mais pour gagner son pain, il devait avoir un métier. Depuis 2002, il se consacre entièrement à son art. Avec la peinture il se permet de vivre sa passion « Je suis reconnaissant au Seigneur de vivre un tel privilège ».
Depuis 2002, Elharrati a beaucoup exposé, notamment avec d’autres peintres. En 2012, il a été l’initiateur d’une grande exposition collective au Théâtre Mohammed V sous le titre « Spiritualités ». Il avait tenu que l’affiche de l’expo soit assurée par une oeuvre de notre ami commun Hamid Kiran. C’était sa façon de rendre hommage à celui qu’il considère comme un grand maître de la peinture au Maroc.
On retrouve cette générosité dans ses toiles sur lesquelles il dépose son idéal du monde. Un univers riche de couleurs joyeuses et d’un mouvement puissant qui pointe toujours vers le haut. Sans formation aucune, Abdelghani s’est fait tout seul en suivant son instinct, son imaginaire et son intelligence.
Respecté par beaucoup de ses confrères artistes, il déplore cependant le manque de ressources pour la diffusion des arts au grand public. « Il faut que l’art sort du cercle des artistes pour atteindre le grand public ».
Plus tard, Abdelghani me confiera tout ce qu’il pense de ce lobby qui écarte et marginalise les grands talents au Maroc « C’est une clique qui s’accapare de tout l’espace de diffusion pour elle toute seule ». Il trouve que le nouveau Musée Nationale en est la parfaite illustration. Qu’un peintre aussi grand que Hamid Kiran n’en fasse pas partie, cela le sidère.
Mais Abdelghani est optimiste de nature, il a confiance dans l’avenir « Le Maroc est une source inépuisable de grands talents. Malgré le manque de ressources pour diffuser leur art, les jeunes artistes ne se découragent pas. Ils s’arrangent. Ils se débrouillent. Je les admire de tout mon coeur ».
Dans son bureau, tapissé de tableaux et de photos, je feuillette le prospectus d’une de ces expositions. L’odeur se fait plus forte. Je me déplace vers la cuisine. C’est de là qu’elle provient. Mais cela ne me dit pas encore si c’est une épice, un parfum ou un fruit..?
Au salon, Abdelghani me sert une soupe blanche. La table est maintenant un tableau. Je n’ose pas lui dire que c’est un crime que de faire disparaître une telle oeuvre.
Après une première gorgée, je reconnais finalement l’odeur et juste au moment ou j’allais le lui dire, il me demande « Comment tu trouves ma soupe avec l’huile d’olive ? ».
« Demande-moi plutôt comment je trouve ton huile d’olive dans ta soupe? ».
En partageant le repas de la rupture du jeûne dans le salon d’Abdelghani Elharrati, j’ai aussi découvert un cuisinier de grand talent. Sa soupe, ses sardines et sa recettes aux tomates sont des chefs-d’oeuvres. Toutes ont été préparées avec cette huile d’olive artisanale fabriquée dans la région de Souss.
J’ai quitté Abdelghani à 2 heures du matin. En six heures, nous avons refais le monde, notamment en musique. Lui au luth et moi à la darbouka.. Comme moi, il affectionne le répertoire classique de la chanson marocaine. Nous avons revisité quelques perles et je ne remercierais jamais assez cet homme aux multiples talents d’avoir ramené à ma mémoire une des plus belles et des plus anciennes chansons d’Abdelwab Doukali.. « Ana jitkom tani ».
Tout comme l’odeur de l’huile d’olive, cette chanson ne me quitte pas. Je la partage.
Cliquez sur son titre dans cette page:
http://www.al-fann.net/fr/artist/2383-abdelwahab-doukkali
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