Ramadan 2015. Fin.
Depuis 33 ans, je n’ai pas vécu Ramadan au Maroc.
Après 30 jours, j’en reviens ébloui, ému et un peu étourdi..
Entreprendre ces chroniques ramadanesques, pour moi, c’est aller vers les autres. Les rencontrer dans un moment magique de la journée. Autour du ftour. Un peu avant et après la rupture du jeûne. Au delà de la démarche journalistique, c’est ma façon de vivre!
Je savais que je serais accueilli partout. Je connais l’hospitalité des marocains. Qu’ils soient pauvres, riches, les marocains sont naturellement accueillants. Mais ça ne me suffisait pas de le savoir. Je voulais le vivre pleinement et avec des gens, pour la plupart, que je ne connaissais pas ou que je n’ai pas revu depuis une éternité.
C’est fascinant de revivre au fil de ces rencontres, ce qui rassemble un peuple. Son sens de l’accueil. Son hospitalité. Évidement c’est encore plus émouvant quand celui ou celle qui n’a rien partage tout avec vous.
Pour cette dernière sortie du dernier jour de Ramadan, Adil mon frère, m’a suggéré la plage de Rabat. Il a entendu parler de tables de sable.
Dans ma deuxième tournée à la plage, celui qui m’a le plus touché cette fois-ci, c’est Mohamed, le vendeur ambulant de café. Assis près des rochers, il savourait les derniers instants avant la rupture du jeûne en écoutant de la musique.
Sa cafetière géante est prête à servir. J’ai encore quelques minutes pour la croquer avec ce coucher de soleil comme toile de fond. J’en profite aussi pour faire sa connaissance.
Mohamed a quitté Sidi Slimane pour venir s’installer à Rabat avec sa femme et ses trois enfants « Les oranges à Sidi Slimane, ça nourrit pas tout le monde? ». Il sourit avant de répondre « Les oranges de Sidi Slimane n’appartiennent pas aux gens de Sidi Slimane ».
Son père est cultivateur, mais il n’a jamais possédé sa propre terre. Il passait d’une terre à une autre comme rabba3 ou khammass. Il avait droit au quatrième ou le cinquième des récoltes en échange de son travail. Mohamed ne voulait pas suivre le modèle de son père en travaillant beaucoup pour si peu.
L’été, à Rabat, la plage lui offre la possibilité de gagner sa vie dignement sans dépendre de personne. Il fait ce travail depuis déjà quelques années et cela permet à sa femme et ses trois enfants d’avoir l’essentiel. En dehors de la période estivale, il déambule dans les rues de la médina avec sa cafetière « Le café, ça se vent mieux que le thé, surtout le matin ». Patron de toi-même.
« C’est ma femme le patron. Elle travaille beaucoup plus que moi en s’occupant des enfants » Pendant ce temps, toi tu te balades à la plage, tu savoures le coucher de soleil, tu écoutes la musique, les pieds dans l’eau et les fesses sur le sable chaud..
Mohamed change son sourire par un rire qu’il libère de tout son coeur. « Fainéant, va », je lui lance comme si on avait gardé les vaches ensemble.
Une fois revenu à lui-même, Mohamed me dit : « Je te jure que la plage tout les jours ce n’est plus un plaisir.. À partir de demain, je vais marcher sur le sable durant 8 heures pour servir les gens. Ça use les pieds. Le soir, j’ai le dos en miette.. ».
Mais je te crois Mohamed. Je mets la main dans les poches pour lui payer le temps que je viens de lui faire perdre. Il refuse mon argent et cela ne m’étonne pas. « Tu m’as fais beaucoup rire, ça me suffit », m’a-t-il dit.
Bonne fête Mohamed. Bonne fête à tous!
Mabrouk al aid.
—–
Chroniques ramadanesques: https://voir.ca/mohammed-lotfi/———-
——
—
–
PS: Pour mieux apprécier les images, il suffit de cliquer sur la photo pour la voir en plus grande taille.
Mabrouk… c’est une forme de « bénédiction » en arabe? Non?
Bene dictum… Bien dit. Vous nous avez « bien dit » ce Maroc lointain, cher journaliste, car on s’y serait cru…. ou cuit, c’était selon les menus.
J’ai lu chacune (ou presque) de vos chroniques, et reportages-photos sur ces ruptures du jeune du ramadan 2015.
Sans doute parce que l’angle choisi — en retrait du religieux proprement dit — me plaisait.
Aussi parce que j’y retrouvais des senteurs et des saveurs maghrébines (et marocaines, bien entendu) chères à mon cœur pour des raisons qui tiennent à mon histoire de vie et à mes origines.
Lorsqu’a eu lieu l’attaque terroriste en Tunisie, je me suis dit que vous alliez écrire quelque chose sur ce massacre survenu en plein ramadan…. ne serait-ce que pour distinguer une fois de plus l’islamisme de la religion qui lui a donné naissance, comme une maladie ( Abdelwahab Meddeb) — surtout que ce 26 juin a été marqué par des tueries sur 3 continents.
Mais finalement, je n’ai pas été étonné de votre silence. S’il avait fallu que vous interveniez chaque fois que des djihadistes ensanglantaient la planète et surtout les pays «arabo-musulmans»…. votre reportage récit aurait tourné court !
Savez-vous quel est le décompte approximatif pour ces seuls mois de juin/juillet 2015 ??
230 attaques terroristes, 30 attentats-suicides, 2180 morts et 1800 blessés !! Charlie-Hebdo multiplié par 180. 2/3 de Gaza. Mais pas une seule manif pour ces victimes ou contre leurs bourreaux barbus!
Il n’y a jamais de manifs chez nous contre l’idéologie d’extrême-droite la plus mortifère de ce siècle!
Je comprends que vous ayez opté pour une rencontre avec ce vieux monsieur de 86 ans, vivant dans la rue mais trop fier pour mendier.
Une de mes chroniques préférées. J’ai écrasé une larme ou deux.
Et le lendemain celle des 2 petites futures docteures.
Vous avez au fil des semaines parlé de cette histoire d’agression de femmes en jupe. Vous avez souligné discrètement la « Journée mondiale sans voile » que vous attribuez à des femmes de France …. alors qu’il semble bien qu’elle soit née chez nous ! 10 juillet … naissance de Thérèse Casgrain…
Et republié cette superbe chronique en hommage à Aqsa Parvez.
Vous avez aussi parlé d’avortement. Bravo. Le 453. Beau papier, courageux sans doute, sur un homme courageux, sans aucun doute.
Par contre, on ne sait pas si vous faites le ramadan ou pas ! 🙂
Si vous ne le faites pas… ç’aurait été intéressant de nous expliquer pourquoi on ne peut pas vraiment dire qu’on ne jeûne pas dans un pays comme le Maroc!
Non?
Puisque même des chrétiens se sentent obligés de jeûner — votre chronique sur les vendeurs à la sauvette africains.
Qu’en est-il des Ibitassame Lachgar et autres…M. A. L. I. ? 🙂
P S : encore merci pour ces récits.
PPS : j’ajouterais, mais c’est très personnel, que je regarde ces dernières photos des tables de sable…. et que je ne peux m’empêcher de ressentir un profond malaise.
Comme chaque fois que je vois des jeunes filles, certaines très jeunes, enfermées dans ces voiles des pieds à la tête………..
….. alors que juste à côté, je vois leurs frères bras-nus, en shorts, pieds-nus, torse nu pour certains….
Le soleil se couche donc sur des sentiments très mitigés — quand je vois aussi les tables séparées des hommes et des femmes — à l’égard d’une religion qui a grand besoin d’un grand ménage salvateur !!
… et là encore on revient à Meddeb, père et fille! >>> https://www.lepoint.fr/monde/hind-meddeb-l-islamisme-n-a-plus-de-lien-avec-la-religion-02-07-2015-1941836_24.php
Merci Charly de m’avoir accompagné avec cette généreuse attention.
Juste pour répondre à ta question. En tant que laïque convaincu, je ne dis jamais si je pratique ou pas, si je fais Ramadan ou pas..
Je ne suis pas très ostentatoire.
Je dis tout ce que je pense de la laïcité au Québec dans un livre collectif universitaire « Laïcité et humanisme » dirigé par Charles Leblanc et publié par l’Université d’Ottawa.
Voilà et Merci..
ML
Bonne réponse! … si tant est qu’il y en ait une.
En fait ce qui m’intéressait — davantage que le niveau de pratique du chroniqueur — c’était de savoir justement ce qui se passe pour des non-pratiquants du jeûne dans un pays comme le Maroc…
Paraît qu’ils font du jeûnisme… 🙂
Et puis on entend tellement de gens dire ici « laissez-les pratiquer et/ou s’habiller librement en tous lieux », je me demandais si au Maroc, on pouvait simplement dire « laissez-les non-pratiquer ! »……
Je vais essayer de lire L & H … tout récent, comme je peux voir.
Je fais allusion à cela, subtilement dans la chronique « Le hammam du Ramadan » http://voir.ca/mohammed-lotfi/2015/07/06/le-hammam-du-ramadan/
Ceci dit, la question d’avoir le droit de ne pas jeûner publiquement se pose de plus en plus au Maroc.
Le groupe Masaiminch existe et essaye de se faire voir et entendre https://www.facebook.com/groups/293136190831663/?fref=ts
Disons qu’il y a débat, même le ministre de la justice s’y implique.