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L’homme qui plantait la menthe!

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« Je suis dans mon jardin en train de labourer la terre. Nul part ailleurs, je ne voudrais être.  Je me sens plus proche des plantes que des hommes » 

Tu leurs parles?

« Oui, en quelque sorte, je leur parle. Je leur confie mes soucis. Elles me parlent aussi. Elle me disent des choses. Notre complicité est totale ».

Cette conversation téléphonique ne me suffisait pas pour bien apprécier le plaisir de parler avec un ami.  Et si je frappe à ta porte maintenant ?

La porte s’ouvre. Son téléphone portable est toujours en main. Le mien aussi. Heureux de me voir, il me lance « Je te le jure que tu m’as manqué ».  Moi aussi.

Je ne connais Ahmed Taoufiq Lahbabi que depuis quelques semaines. Dès notre première rencontre, j’ai retrouvé en lui un vieux cousin.  En entendant parler de lui, j’ai reconnu les signes d’un homme de bien.

Au coin d’une rue de la médina, j’ai entendu une personne dire à une autre personne, en parlant de mon futur ami « Il fait tout ça pour rien, bénévolement, gratuitement, fi sabiliallah ».

On parlait d’un homme qui pratique le bénévolat dans le domaine du jardinage « Il était venu à notre bureau pour régler des papiers. Il a remarqué que notre grand jardin était abandonné depuis des années. Il nous a proposé de s’en occuper.  En quelques semaines, il en a fait une merveille que je retrouve dans mes tajines aux légumes bio.  Bénévolement, gratuitement, fisabiliallah, cet homme a fait pousser dans notre jardin des carottes, des navets, des pattates, des tomates, des roses, de la vervene et beaucoup de menthe. Toutes sortes de menthes ».

Au lendemain de ce témoignage, j’étais chez Taoufiq.

Au milieu de son jardin, tout en arrosant ses plantes, il m’a confié  que son père lui disait souvent au moment du repas, à lui et ses frères: « Mes vrais enfants se sont mes fruits et mes légumes que vous voyez là, sur la table. J’ai cultivé la terre et voilà ce qu’elle m’a donné en retour. Vous, mes propres enfants, que m’avez-vous donné ? ». 

Le père de Taoufiq n’était pas cultivateur, mais un astronaute doublé d’un concepteur  d’astrolabe. Le dernier d’une grande famille d’astronautes fassi, attitrée à l’Université Qaraouines de Fès.

La nuit, le père de Taoufiq observait le ciel « Le jour, il aimait accorder son attention à la terre. Il plantait lui-mêmes ses légumes. Les paroles sages de mon père sur la terre et ses fruits ont été d’un grand secours à un moment cruciale de ma vie ». 

Des épreuves de la vie ont conduit Taoufiq à faire du jardinage une thérapie personnelle.  De graves injustices dont il a été victime doublées d’une maladie incurable ont poussé mon ami à tout remettre en question.   Pour ne pas sombrer dans l’amertume et les regrets, il devait réinventer sa vie.

Le comptable de formation, l’informaticien d’expérience et le commerçant avisé qu’il a été est devenu un jardinier bénévole. Il ne pouvait faire mieux pour retrouver la paix intérieur.

Aujourd’hui, le jardinage pour Taoufiq c’est plus qu’une passion, c’est  à la fois un acte de foi et une action citoyenne.  Son rapport avec le monde n’est plus fondé sur des intérêts exclusivement commerciaux « J’ai un plaisir fou à rencontrer d’autres jardiniers. J’aime les entendre et échanger avec eux des trucs de jardinage, j’aime aussi embarquer d’autres personnes dans ma passion ».

Taoufiq envisage de fonder une association pour initier et sensibiliser les citoyens au respect de la nature et de l’environnement. Il ne sait pas s’il va réussir. Son bénévolat est perçu par certains comme une action étrange.  Son sens du bien commun n’est pas partagé par tous.

Il lui arrive même de péter une colère quand les voisins du jardin dont il est le jardinier bénévole, jette des saletés de leurs fenêtres « Il y a encore beaucoup à faire pour que le citoyen marocain considère que l’espace commun est aussi important que l’espace privé ».

D’ailleurs son propre jardin est un espace commun de tous les habitants de son immeuble. Ce qui était à l’origine une cour intérieure pour tous les locataires, Taoufiq en a fait un jardin merveilleux que certains voisins ont déjà utilisé pour célébrer des mariages.

« Les mariés et leurs invités avaient comme décor un anonnier, deux bananiers,  un Oliviers, un figuier,  un amandier, un pommier, un poirier, quatre Orangers, trois néfliers  deux Jujubiers et un arganier, toutes sortes de plantes, des roses, beaucoup de roses et l’odeur subtile et magique de la menthe ».  

C’est un honneur et un privilège d’avoir goûté au thé à la menthe de mon ami Ahmed Taoufiq Lahbabi, à quelques heures du premier jour du Ramadan.

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