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« Je suis marocaine, je ne pratique pas Ramadan et ça me va bien! »

« Au « Maroc des libertés », certaines libertés fondamentales sont toujours très relatives. Je ne citerais que trois exemples: La liberté d’expression. La liberté pour la femme de disposer de son corps et la liberté de conscience. Cette dernière a encore devant elle beaucoup de  chemin à faire.  Et vous trouverez toujours des gens pour vous rappeler qu’au Maroc, en matière de liberté religieuse, nous sommes mieux qu’en Iran ou en Aarabie Saoudite. Moi je veux comparer le Maroc d’aujourd’hui avec le Maroc de demain, celui que je veux pour mes enfants.  Celui que nous devons préparer aujourd’hui ».

Ce n’est pas la peine de vous dire son nom, ni son âge.  Je ne veux pas avoir sur la conscience le moindre mal que certaines polices de la morale et de l’ordre pourraient lui faire.

Je peux vous dire, par ailleurs, que la liberté d’esprit, dont fait preuve cette jeune femme,  représente une partie de la jeune génération au Maroc.  Elle est militante jusqu’aux bouts des doigts, mais avec une nuance de taille, elle exprime brillamment ses opinions sans mépriser ou insulter personne. Surtout pas ceux qu’elle considère comme ses adversaires politiques.

« Contrairement à d’autres militants des libertés individuels, moi je  respecte mes adversaires.  Je vis avec eux. Je partage avec eux des espaces communs. Dans tout débat, aussi bruyant soit-il, le respect est le seul moyen pour avancer vers des solutions ».  

Depuis plusieurs années, au Maroc, a chaque Ramadan, la question de la liberté de conscience revient dans le débat publique « C’est normal. Une partie de la population se sent lésées dans ses droits ». 

Mais la nouvelle constitution du Maroc reconnaît la liberté de culte, mais pas la liberté de conscience. Comment parler de droit ?

« Quand je parle de droit, je fais allusion aux droits universels tel que stipulés dans plusieurs Déclaration des droits de l’Homme dont la plus importante, celle de l’ONU de 1948. Le Maroc est membre de l’ONU ». 

Comme tous les pays, le Maroc est souverain de ses lois et de sa constitution.

« Les lois et les constitutions ne sont pas données une fois pour toute. Elles évoluent et doivent correspondre aux changements.  Moi, je m’inscris dans un mouvement de changement qui est certes minoritaire, mais les grandes révolutions ont été souvent initiées par des minorités ».

Quel est le principal changement qui devrait ouvrir la porte à tous les autres ?

« On devrait rétablir l’honneur de la religion en la retirant des mains de la politique.  Cela passe par des réformes juridiques et constitutionnelles.  Les mentalités suivront. Pour l’instant, la religion est totalement au service du politique ».

Concrètement cela veut dire ?

« Cela veut dire, par exemple qu’il est interdit par la loi, à un marocain né dans l’islam, d’en sortir. Par contre, on accepte avec joie que des juifs ou des chrétiens y entrent.  Libre d’y entrer, mais pas libre d’en sortir,  cette intrusion dans la conscience même de l’individu marocain est d’une violence inouïe.  Une violence dont on voit les conséquences dans des comportements obscurantistes. Les réseaux sociaux sont devenus pour certains des lieux d’agressions et de menaces.  Des propos inacceptables s’expriment dans l’impunité totale envers toute expression qui ose revendiquer la liberté de conscience au Maroc ».

Certains militants des libertés  individuelles ne cachent pas leur mépris envers le Ramadan et ceux qui le pratiquent.

« Ce n’est pas mon cas. Moi je respecte Ramadan et ceux qui le pratiquent. Mais moi, suis-je respectée ? En tant que citoyenne non-pratiquante, ai-je droit au même respect et la même dignité que le musulman croyant-pratiquant ?  La réponse est non.  Est-ce que j’aurais droit au même service de l’administration publique si je déclarais publiquement que je ne pratique pas Ramadan, que je ne suis pas croyante-pratiquante ? ».

Pourquoi prouvez-vous le besoin de déclarer publiquement que vous êtes non pratiquante ?

« Pourquoi ceux qui le pratiquent auraient le doit de le déclarer publiquement?  Si la liberté de conscience était inscrite et reconnue dans notre constitution, je n’aurais pas eu à le faire. Mais en tant que militante pour les libertés individuelles, je dois sensibiliser l’opinion publique à la diversité des consciences. Je suis un exemple de cette diversité. Si Ramadan est réellement le mois de la tolérance, il devrait inciter les pratiquants à tolérer la différence en attendant de l’accepter. Je leur rappelle en passant une belle phrase du Coran « Il n’y a pas de contrainte dans la religion »  ».  

Vous savez bien que les mentalités au Maroc ne sont pas encore prêtes à tolérer ce changement, encore moins avec un gouvernement de tendance islamiste. L’ouverture des restaurants en plein jour durant le mois de Ramadan, ce n’est pas pour demain.

« Je le sais. Et je n’appellerais personne demain à venir partager un déjeuner sur l’herbe. Il y a des provocations qui sont contre-productives. Néanmoins, je revendique un débat sur l’abolition de l’article 222 qui permet l’arrestation et l’emprisonnement de toute personne, reconnue comme musulmane, qui n’observe pas le jeûne.  Je précise que l’article 222 ne fait pas la distinction entre manger en public et manger chez-soi.  En principe, au nom de cette loi, une personne non pratiquante devrait être arrêtée ».  

Avez-vous une idée sur le nombre de marocains qui n’observent pas le jeûne ?

« Je n’ai pas de chiffres. Mais j’aimerais apporter ici une précision. Au Maroc aujourd’hui, beaucoup de gens ne pratiquent plus Ramadan pour toutes sortes de raisons.  Dans chaque famille il y a au moins une ou deux personnes qui ne pratiquent pas pour des raisons médicales.  Si on compte les enfants et les personnes trop âgées sans oublier les athées,  ça commence à faire beaucoup de monde. Dans ce contexte, l’article 222 n’a plus de sens. Tôt ou tard, il finira par tomber de lui-même ».

Ramadan, ce n’est pas juste un mois de jeûne, il est au centre de l’identité islamique du Maroc.  Pour beaucoup, abolir l’article 222, ça serait porter atteinte au caractère islamique du Maroc.

« Ils se trompent.  Le monde évolue dans le sens des libertés individuels et les droits de la personne.  Si le Maroc veut réellement s’inscrire dans la modernité, il doit rompre avec certaines incohérences.  L’islam au Maroc et dans le monde musulman est davantage menacé par ceux qui l’instrumentalisent au profit d’intérêts politiques que par les militants des libertés individuels.  Avec l’abolition de l’article 222, les marocains continueront à faire Ramadan, mais dans un contexte plus cool.  Avec moins de tensions, moins de pressions, moins d’hypocrisie et surtout avec une vraie égalité des droits. C’est mon Maroc de demain » .

Une heure de conversation n’est pas suffisante pour faire le tour de la place de la religion dans la société marocaine.  La liberté de conscience est une notion relativement nouvelle au Maroc, mais, apparemment, elle fait son chemin malgré les obstacles.

C’est donc à suivre, mais si vous deviez résumer cette conversation en une phrase, ça serait laquelle ?

« Je suis marocaine, je ne pratique pas Ramadan et ça me va bien! »