Lui, arrivé il y a 29 ans. Moi, il y a 35.
Lui: Arrivé il y a 35 ans ? Tu n’es pas moins un nouvel arrivant.
Moi: Si je comprends, après 29 ans, tu viens toujours d’arriver ?
Lui: Pour beaucoup de québécois, oui.
Moi: Laisse-faire les beaucoup de québécois. Toi, quel est ton choix ?
Lui: Peu importe mon choix, je ne me sens toujours pas accepté.
Moi: Comment veux-tu qu’on t’accepte si toi-même tu n’as pas fais le choix d’accepter le Québec comme un deuxième chez-toi ?
Lui: Je suis un bon citoyen. Je vote, je paye mes impôts. Mes enfants sont nés ici. J’ai même appris le ski et j’adore le sirop d’érable. Un autre détail, j’ai marié une québécoise! Que dois-je faire de plus pour me sentir chez-moi au Québec ?
Moi: Puisque tu me poses la question, je te donne mon avis. Ne laisse-pas le regard des autres déterminer qui tu es! Tes enfants sont nés ici, ils ont grandi ici. Si leur père assume sans complexe qu’il est aussi québécois, peu importe le regard des autres, cela pourrait contribuer à leur épanouissement.
Lui: Tu sous-estimes le rôle que joue le regard des autres pour developper un sentiment appartenance.
Moi: Oui, je le sous-estime et je dois le sous-estimer. Je ne suis pas seul dans cette histoire. Si je laisse le regard des autres porter le doute sur mon sentiment d’appartenance au Québec, mes enfants pourraient avoir des doutes sur leur identité québécoise.
Lui: Mes enfants sont québécois aussi, mais ils ont des origines arabes et musulmanes. C’est important pour moi qu’ils se sentent d’abord arabes et musulmans et qu’ils en soient fiers.
Moi: Et pourquoi c’est si important pour toi qu’ils se sentent d’abord ceci ou cela..? Pourquoi mets-tu une guerre d’appartenances dans leur identité ?
Lui: Tes enfants ont les mêmes origines que les miens. Avec tout ce qu’on dit sur les arabes et les musulmans, ne me dis pas que tu n’éprouves pas parfois le besoin de leur rappeler…
Moi: Leur rappeler quoi ? Qu’ils sont d’abord arabes et musulmans et qu’ils doivent en être fiers..?
Lui: Oui!
Moi: Non, je ne le fais pas. Je n’ai pas besoin. Parce que je ne suis pas l’arabe et le musulman auxquels tu fais allusion. Mes enfants n’auront pas comme père quelqu’un qui se sent minoritaire, encore moins faisant partie d’une minorité, et surtout pas une victime. Je ne suis pas cet arabe là et ce musulman là..! Celui qui s’excuse d’exister. Celui qui tombe dans le pire piège qui soit de notre temps, le repli identitaire.
Lui: Apparemment, nous n’avons pas la même conception de l’identité. Les palestiniens sont arabes comme moi. Quand ils sont attaqués, je me sens attaqué.
Moi: Je me sens attaqué aussi. Mais pas en tant qu’arabe ou musulman. Qu’elle soit arabe ou pas, la cause palestinienne est d’abord une cause juste. Elle s’inscrit dans une lutte globale contre toutes les injustices. Contre toutes les formes de colonialismes. Des juifs, des chrétiens, des chinois et même des extra-terrestres défendent aussi la cause palestinienne!
Lui: Revenons au Québec. Comment veux-tu que je me sente chez-moi si l’image de l’arabe dans les grands médias me renvoient tout le temps à mes origines, à ma culture, surtout à ma religion ?
Moi: Bonne question. De toute façon, les grands médias répondent aux besoins d’une société de spectacles. Il faut pas compter sur eux pour cultiver ton sentiment d’appartenance. C’est à toi seul de le faire avec le vrai monde!
Lui: Puisque tu sembles avoir la recette magique, que dois-je faire pour protéger mes enfants des discriminations ? Comment leur apprendre à se défendre quand ils se sentent attaqués à cause de leurs origines ?
Moi: Je n’ai pas de recette magique pour éliminer le racisme, encore moins à la bêtise humaine. Je souhaite que mes enfants n’aient pas à se sentir le besoin de se défendre. L’important est qu’ils soient heureux, bien dans leur peau, ouverts aux autres, curieux et emphatiques. Je leur souhaite d’être emphatiques et altruistes même avec les racistes. Ils n’ont pas à porter un drapeau pour se sentir appartenir à la famille humaine dont celle de leurs origines. Ils accepteront toutes les différences en prenant conscience de leur singularité. Si une seule phrase peut contenir un semblant de recette magique je choisirai encore et toujours celle d’Alba Farhoud, tiré de son roman « Le bonheur a la queue glissante », « Mon pays, c’est là où mes enfants sont heureux ».
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Aujourd’hui, ça fait 35 ans, jour pour jour, que je suis arrivé au Québec! Mais quelque chose me dit que j’étais déjà là en 1534 pour accueillir le premier navire de Jacques Cartier, un certain lundi 6 juillet! Les Mohamed sont d’origine Micmac 🙂
Bonne et heureuse année!
Lire aussi:
Ce qui est triste ce que des gens nés ici sont encore des « nouveaux arrivants » et même pire des « immigrants » pour beaucoup. Parce que leur peau n’est pas aussi pâle que la mienne, que leur nom sonne « étranger », …
Je recyclerai moi aussi mon commentaire à «Mes enfants, mon pays», sans rien y enlever même pas la petite phrase sur Israël. Je continue de penser que la cause palestinienne (juste) bénéficie de bien des appuis parce que des juifs sont de l’autre bord… Preuve le désintérêt total de tout ce qui est de gauche ou presque pour le Tibet, la Crimée, le Yémen…. et autres victimes négligées. Preuve en est aussi que M.Lotfi n’a pas écrit un seul papier (que je sache) sur la Syrie. 🙂
«« L’intelligence profonde, l’humanisme et la poésie de Mohamed Lotfi en font un des blogueurs de Voir les plus intéressants.
J’aime ça quand il me fait oublier ses logorrhées qui dérapent sur Israël ! Comme aujourd’hui.
Plus d’une fois, je me suis retrouvé dans ses propos. Sans doute à cause un peu de son parcours qui me fait penser au mien.
Moi aussi, j’ai quelque part dans les yeux un peu du soleil d’Afrique du Nord…
Et ce que Mohamed dit de l’identité est à méditer qu’on soit, à l’origine, d’ici ou d’ailleurs. Choukran. »
Je m’étais trompé M. Lotfi a bien écrit sur la Syrie… déjà en 2012…
Je suis passé à travers la Syrie en 1973 pour me rendre en Jordanie puis en Israël.
Mon regard était celui d’un voyageur. Je ne prenais pas de photos et je ne visitais pas les lieux touristiques.
Je me souviens pourtant de la beauté immense du souk d’Alep, des petites rues de la vieille ville de Damas… d’une soirée à discuter avec des types venant de presque tous les pays «arabes» sur le toit d’un hôtel bon marché à Damas — qui n’ont jamais su qu’ils venaient de passer 3 heures avec un Juif sans que personne ne s’étripe!
Voir aujourd’hui les ruines de ce pays, penser aux centaines de milliers de morts, essayer d’imaginer les millions de réfugiés et se demander si ce pays a un avenir…. me donne le vertige.
Mais si je rêve, je crois à un Moyen Orient en paix où plus personne, y compris les Syriens, ne voudra jeter les Juifs à la mer, et où fleuriront deux États appelés Palestine et Israël, voisins et amis. Je rêve, ai-je dit.