Je viens de passer une semaine en Haïti. J’en reviens avec beaucoup d’images et une question:
« Pour qui brille, la perle des Antilles ? ».
Il y a 15 ans, j’ai posé la même question à des haïtiens d’Haïti, dans un documentaire radiophonique que j’avais réalisé pour Radio Canada.
Cette fois, je me suis promis de ne pas déroger à mon statut de simple touriste jusqu’au moment ou j’entendis le guide affirmer haut et fort « En Haïti, Perle des Antilles, 5% de la population possèdent 95% des richesses du pays ».
La petite balade se transforma, le temps d’une question, à une conférence de presse « Mais pour qui elle brille la Perle ? Pour les 5% qui ont tout ou pour les 95% qui n’ont rien ? ».
Le guide réagit d’abord avec un éclat de rire et quelques mètres plus loin, au milieu des terres verdoyantes de Montrouis, il s’arrêta devant un portail avant de me lancer, le plus sérieusement du monde « Mon cher, poser la question c’est y répondre ». Derrière le portail se cache un petit palais.
Aussitôt, le guide se tourna vers un arbre, reprenant son récit sur les vertus médicinales des plantes haïtiennes.
En longeant le haut mur qui fait figure de frontière entre riches et pauvres, je revins à mon guide pour lui faire observer que le chemin qui mène vers le portail n’a rien de riche « Le propriétaire du domaine empreinte des voies célestes pour entrer chez-lui ? ».
Mon guide éclata de nouveau avant de me servir un long discours que je résume ainsi: Pour beaucoup de riches, ne pas asphalter la route qui mène chez-eux, c’est une façon de dire aux pauvres: Nous sommes peut-être de la même couleur, mais pas de la même race.. Parce qu’en Haïti, la race, c’est une question de classe. Peu importe la couleur de leur peaux, les maîtres ont été remplacés par d’autres maîtres.
« Ceci dit, mon cher, j’aimerais te présenter une plante que tu ne trouveras nul part au Canada ».
J’avais beau apprécier les vertus des plantes, la saveur des fruits, la grandeur des arbres, la terre luxuriante et fertile, le temps doux et clément. J’avais beau m’incliner devant ce cocktail de merveilleux qui met en scène les couleurs des montagnes, la splendeur de la mer et suivre des yeux ces nuages qui saluent les vagues avant d’aller arroser les Champs de cressons…
J’avais beau m’émouvoir devant toutes ces merveilles qui font d’Haïti, la Perle des Antilles, je n’arrivais pas à dissimuler mon profond malaise devant ces hauts murs qui excluent 95% des haïtiens de leurs propres richesses.
« Ce n’est pas ce matin qu’on va faire la révolution.. ».
Je sais. Je ne suis que le touriste d’une semaine. Loin de moi l’intention de faire la leçon à un pays qui a fait l’histoire. Je ne veux pas résumer Haïti à un mur. Encore moins à une question. N’empêche que ce mur est là! Plus haut que celui de Berlin, cruel. Faut être aveugle pour ne pas le voir. Le noter, c’est la moindre des choses pour le touriste d’une semaine que je suis. Juste le noter.
« Tu vois la montagne là bas ? Juste derrière, il y a une autre montagne qui, à son tour, cache d’autres montagnes! C’est ça Haïti ».
Oui, je connais le proverbe. En Haïti, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles ont l’air. L’esprit vaudou suggère au réel plusieurs dimensions. Ainsi le pauvre ne serait pas si pauvre et le riche est moins riche qu’il en a l’air. Partout sur la planète et depuis toujours, les pauvres réinventent le réel pour le rendre moins cruel.
N’empêche qu’une semaine après avoir quitté Haïti, ce mur me hante encore.
« N’empêche que c’est le temps d’aller faire une petite pause au bord des Caraïbes ».
Je suivi mon guide jusqu’à la plage où accostaient trois voiliers. Après avoir jeté les soldats de Napoléon à la mer, les pêcheurs de Saint Domingue prirent leurs places. Je m’approchai de l’un d’eux. Il m’offrit une mangue avant de me confier qu’avant 1804, qui marque la naissance de la première République noire de l’histoire, les voiliers français transportaient les richesses haïtiennes en France et cela représentait 60% de l’économie française.
Plus tard, le guide du musée de Montrouis prendra la relève du pêcheur pour résumer l’histoire de l’esclavage en Haïti dans un français qui fait honneur à la langue de Molière. Les esclaves de Saint Domingue l’arrachèrent à leur maîtres pour en faire aussi une langue de combat et de rappel « Jusqu’en 1803, sur 600 bateaux provenant de la France, 363 étaient à destination d’Haïti ».
À partir de 1804, les richesses d’Haïti devaient revenir à tous les haïtiens. Plus de deux siècles plus tard, certains signes indiquent que c’est loin d’être le cas!
« Une autre mangue ? ». J’en pris plusieurs! Je me lavai les mains et la bouche dans l’eau des Caraïbes. Je savourai l’agréable mélange du sucré-salé en regardant ces enfants nus jouer aux pirates. Ils étaient à quelques mètres d’un domaine dont les jardins privés donnaient directement sur la mer. Domaine du petit palais!
En me retournant vers le guide, j’aperçois un autre enfant. Il devrait avoir à peine 4 ans. Il voulait sa part de mangues. Sans demander la permission à personne, il se servit. Plus qu’une fois. Les femmes touristes accoururent. Toutes tombèrent sous son charme.
En quittant la plage, l’enfant se laissa perdre entre elles en prenant la main de l’une avant de passer à l’autre. Et puis, il s’arrêta, un instant, le temps de s’essuyer les mains du jus de la mangue. En levant sa petite camisole blanche pour s’essuyer la bouche, l’enfant dévoila ses bijoux de famille. Alors, une femme touriste s’écria « Ah, un petit garçon ».
En voyant son fils entre les mains de ces femmes touristes, elle cria son nom. Elle sourit de fierté avant de s’inquiéter. Mais où va t-il ? « Damassien, reviens ». Damassien ne voulut pas revenir. Son regard témoignait d’une ferme intention: Suivre ces femmes jusqu’au bout du monde.
Avec ses 22 ans, la mère de Damassien pratique le métier de casseur de pierres. Elle passe la journée assise sur un tas de roches. Avec son gros marteau, elle en fait un gravier qui finira dans le jardin du domaine qui se trouve juste derrière le haut mur qui se dresse devant elle . De l’autre côté, on lui jettera des miettes pour nourrir son fils.
« Damassien, viens manger ». Elle se leva pour l’attraper. Damassien ne voulut rien entendre. Occupé par d’autres projets, il se mit à courir de toutes ses forces.
Je regardai Damassien courir dans les champs, loin de sa mère, loin des femmes touristes et loin du mur.
À travers les bananiers, cet enfant faisait briller toutes les Perles.
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Sur le chemin du retour à l’aéroport de Port-au-Prince, après 7 journées passées à Montrouis, la très gentille et charmante hôtesse du Royal Decameron, conclut son dernier mot aux visiteurs de son pays: « Soyez les meilleurs ambassadeurs de notre destination ».
C’était mon deuxième voyage en Haïti, ce n’est pas le dernier.
L’hotel s’appelle Royal Decameron et non deCameroun
On ne peut pas faire la révolution à la place des haïtien. Pour réussir une révolution, il faut que le peuple la veuille. Sinon, la révolution se transforme rapidememnt en dictature. Hors, en Haïti, la domination étrangère, l’ignoble dot versée à la France, les dictatures sanguinaires, la déforestation, les catastrophes naturellles, la hiérarchie sociale, les trafiquants de drogue, les institutions d’enseignements déficientes et les diverses religions ont maintenu le peuple dans une pauvreté et dans une sous-scolarisation navrantes. Le peuple est en mode survie et ce, depuis toujours. La peur de se faire tabasser ou de se faire tuer pau les tontons macoutes, les bébémacoutes, les chimères ou les organisations criminelless ont brisé depuis longtemps le tissu social et fait disparaitre d’innombrables toutes velléités de changement. On se méfie de son voisin qui pourrait nous dénoncer.. Ne subsiste que la famille comme structure sociale.
La solution passe par une profonde réforme de l’enseignement. En une ou deux générations pourrait émerger de nouveau leaders capables de réformer véritablement Haïti. Mais pour cela, il faudrait que les jeunes enseignant(e)s issues de la diaspora mettent la main à la pâte et retournent en Haïti former les enseignants qui y oeuvrent. Plus de la moitié d’entre eux le font sans posséder les qualifications nécessaires.
J’avais présenté un tel projet en 2012 au comité international chargé de sortir Haïti de la misère. Il n’a pas été retenu.
D’ailleurs, on pourrait demander ce qu’il a fait à part enrichir quelques entreprises et individus opportunistes…
cette perle n’a jamais brillé pour ceux qui travaillent et créent la richesse (les Africains déportés). Aujourd’hui encore, elle brille pour les héritiers des esclavagistes, les Bill Clinton, les Brandt, Bigio, Acra, Apaid, les bandits étrangers (dont nombreux Canadiens!) et Haitiens qui ont financé le coup d’état de février 2004.
Magnifique histoire…Pendant 5 min, j’étais avec toi.
Merci l’Ami Xx
Merci pour ce Si Beau Témoignage….
AYITI/ Haiti Ne Veut Pas Mourir et Ils ont beau la Sucer, Elle VIVRA en Franchissant Toutes les Misères du Monde !!!
En inviter les touristes on doit forcement s’attendre à leurs éventuelles questions avant leur arrivé et se demander quelle réponse sera la plus appropriée…. ehhh voila ma problème….
Et … Ehhhh…. La perle qui brillait , n’était pas le gout de sucre qui était si longtemps emporté?
Ces murs n’était pas toujours là, ils n’était pas toujours si haut et la fosse entre les riches et les pauvres ne pas toujours si fond. Mais -comme partout dans le monde- l’agression se renforce et les voleurs se spécialisent et la politique se gâte et les murs montent plus hauts = la réalité au Canada comme en Europe comme dans notre cher Haiti!Heureusement les bonnes côtées d’Haiti ne semblent vous pas échapper…. Retournez et continuez vos réflections.. et partagez les avec les résidents parce que OUI ! votre question est vraiment brillante M.Mohammed ; merci de le nous partager!
Moi aussi, j ai passe une semaine en Haiti. C etait en 2014. Je n y remettrai plus jamais les pieds. Si vous vous etes cantonne a Montrouis, vous n avez pas vu Haiti. La Perle des Antilles, c etait Saint-Domingue, la colonie francaise, pas Haiti.
Texte triste, rafraichissant, honnete et tres realiste. Oui, Haiti etait une perle et comne toute perle, c’est presqu’impossible qu’elle se brise, elle peut etre couverte de boue, de pousssiere mais le jour ou nous nous mettrons a la nettoyer et en prendre soin, elle reprendra toute sa splendeur.
La France nous a vole une bonne partie de notre richesse, le dernier coup de marteau a ete la main mise sur tout l’argent que les Duvalier nous avaient vole…La France et les grandes quelques geandes puissances etrangeres ont tout fait pour pour prouver au monde que nous sommes incapables de gerer notre pays. Les francais preferent investir l’argent qu’ils nous ont vole a StDomingue plutot que de nous en faire beneficier
Merci Mohamed pour ce recit sur la perle de Antilles. Haiti a besoin de cette douche froide pour qu’elle devienne la Perle des Antilles apres son independance. Elle a besoin des amis comme vous qui refusent de masquer la verite. Peut-etre les Haitiens eux-memes auront des yeux pour voir et liberer leur pays sans lutte et sans guerre. La verite libere.
Certes en Haïti il existe beaucoup de problèmes mais le plus gros c’est le social tant que les problèmes sociaux sont là, le pays ne peut pas aller loin. Il faut que les gens du pouvoir cessent d’exister pour eux ou pour un petit groupe, il faut travailler ensemble ( le pouvoir et l’opposition ) un pays qui divise aura toujours une politique à court terme or un pays ne peut marcher avec une telle politique pas de respect pour la loi et la constitution. On ne peut pas rester avec cette chanson les blancs nous ont fait ci ou ça il faut avancer ensemble. Tant qu’il y’a des hommes il y a de l’espoir.
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Lequel? Tous les commentaires sont affichés
Haïti, comme vous dites bien, a fait l’histoire. Observez les sanctions imposées à Cuba pour avoir osé défier le capitalisme à l’américaine et ce avec l’appui d’un géant la Russie. Maintenant, imaginé la moitié d’une petite île peuplé de noirs qui fait échec lors, à la plus puissante armée du monde, celle de Napoléon; et qui du coup, remet en question la base de l’économie mondiale, l’esclavagisme. Ce tribut à l’épanouissement de la liberté de l’humanité, ce pas de géant pour l’humanité, Haïti l’a payé cher et le paye encore et l’occident se paye sa tête. La recette est simple: placer des marionnettes au pouvoir (avec des enveloppes brunes possiblement) et piller sans vergognes et en toute impunité les richesses du pays (l’or entre autres) et surtout mettre les bâtons dans les roues de tout mouvement réellement progressiste ou nationaliste. Pavaner devant les médias avec des intentions nobles, mais bidons. Pour ne citer que quelques exemples: François Hollande: « Nous avons une dette envers Haïti, une dette morale », fin de l’histoire. Clinton: a réduit à néant la production de riz en subventionnant de manière déloyale et honteuse celle du Kansas entre autres; Les Clinton et la Croix-Rouge: sur les centaines de millions de dons amassées pour la reconstruction après le séisme de 2010, 6 millions ont été octoyés à des compagnies haïtiennes pour des petits projets; le reste a pris le chemin des USA. Sarkosy: « La France va reconstruire le palais national de Port-au-Prince »… oups c’est vrai, il n’a pas préciser quand; p-e en l’an 3000.
Une élite méprisante et méprisable, pour paraphraser Dany Laférière, une élite assise en première classe d’un avion et qui ne se soucie guerre de la bombe qui va exploser car elle est en en classe économique. Mais une élite qui commerce main dans la main avec les USA qui feront tout pour maintenir le statut-quo au nom officiellement de la stabilité.
Des casques bleus qui protègent les mines d’or dans le nord exploitées par des compagnies nord-américaines dont une est la propriété d’un membre de la famille Clinton.
Une société civile dont les diplômés sont littéralement siphonnés par l’immigration américano-canadienne pour aboutir comme chauffeur de taxi à Montréal ou à Miami. Pour casser les reins d’un pays, il suffit de briser son système d’éducation. Quoi de mieux que de le priver de ses cerveaux.
Une insécurité insupportable à laquelle contribue largement l’Amérique du nord en expulsant des criminels formés dans les rues et les cartels des grandes villes telle que NY at ayant acquis une maîtrise en criminalité dans le milieu carcéral nord-américain. Une transfusion exsanguino catastrophique, on ponctionne les meilleurs et l’on réintroduit les victimes devenus criminels d’une société industrialisée et déshumanisante. Haïti est gagnant au change…
MERCI pour ce brillant commentaire.
À écouter: http://www.souverains.qc.ca/rue1.html