La police. Le voile. La confusion!
Dans un de mes derniers posts sur ma page Facebook, les images de femmes policières marocaines ne portant pas le voile ne sont pas passées inaperçues. Elles ont été partagées par des milliers d’amis et les amis de leurs amis. Likées et commentées par des centaines de curieux pour qui le port du voile islamique est inadmissible par une figure de l’autorité au Québec.
Ces images n’auraient pas attiré autant d’intérêt si une jeune étudiante, en technique policière, d’origine marocaine, n’avait pas soulevé la controverse au Québec en envisageant de porter le voile dans l’exercice de ses fonctions.
Dans mon esprit, c’est à l’ironie de la situation que je voulais attirer l’attention. La jeune fille, de parents marocains, n’aurait jamais fait couler autant d’encre au Maroc parce que dans ce pays que je connais assez bien, je n’ai jamais vu une policière porter le voile islamique. Apparemment, dans la plus part des commentaires, ce n’est pas tout à fait l’ironie de la situation qui a été retenue.
C’est plutôt une grande confusion qui ressort de beaucoup de commentaires. La même qui a dominé lors du débat sur la fameuse charte des valeurs du Parti Québécois. Apparemment, pour beaucoup de citoyens au Québec, la laïcité passe nécessairement par le rejet de l’autre!
C’est très regrettable de constater que chaque fois que nous avons l’occasion de débattre de la place de la religion dans l’espace civique (un débat que je considère incontournable aussi longtemps qu’il existe un flou législatif), les rengaines identitaires, de part et d’autres, dominent le débat pour finalement passer à côté de l’essentiel.
L’essentiel c’est de donner au vivre ensemble un sens. À cet égard, je vous recommande vivement le dernier livre de mon amie Rachida Adzouz Le vivre-ensemble n’est pas un rince-bouche dans lequel l’auteure fait état des lieux en exposant les forces et les failles des différentes positions sur les questions reliées au vivre-ensemble. Ce livre, à mi-chemin entre l’essai et le témoignage aidera certains commentateurs à sortir de la confusion, à nuancer leurs positions et surtout à aborder le débat public dans un esprit plus rassembleur.
Pour ma part, de toutes les confusions qui enveniment le débat, celle qui me trouble toujours, c’est celle qui fait l’amalgame entre laïcité et crispation identitaire, comme si l’une devait passer obligatoirement par l’autre « Nos valeurs à nous autres sont meilleures que vos valeurs à vous autres ».
Et pour être plus clair, voici ma position sur le sujet qui a soulevé, encore une fois, la controverse au Québec:
Je ne partage pas la position de la jeune fille qui envisage porter le voile dans l’exercice de ses fonctions en tant que policière. En tant que représentante de l’état, son uniforme ne devrait représenter aucun autre signe, aucun autre message que celui de l’autorité de l’état. Une commission publique a fini par arriver à la même conclusion. Tolérer une exception au port du voile islamique au sein d’une fonction d’autorité, ouvre la porte à d’autres convictions religieuses ou politiques qui voudraient s’afficher. Comment alors gérer le cirque des accommodements ?
Néanmoins, dans le cadre du débat qui secoue le Québec depuis 2005, je ne fais pas de la position de cette jeune fille une source de peur. Ce n’est pas pour elle que je vote. Je crains plutôt les instrumentalisations politiques que font certains élus pour des raisons bassement électoralistes. Ce qui me fait peur, c’est cette haine exprimée ouvertement des citoyens envers d’autres citoyens. Cette haine est la conséquence de l’indécision et l’ambiguïté des politiques sur un sujet aussi crucial.
Oui, c’est avec l’indécision des décideurs politiques que j’ai un gros problème. Pas avec une jeune-fille qui, maladroitement, essaye de réaliser son rêve. Si ça se trouve, elle aura peut-être contribué à avancer le débat et fait d’une sorte que les politiciens au pouvoir comprennent que le flou législatif qui entoure la neutralité de l’état risque de devenir une menace à la paix sociale. À la lumière de certains évènements tragiques, on est en droit de se demander si ce n’est pas déjà le cas ?
Autrement dit, je ne vois pas cette jeune fille comme une immigrante venue d’ailleurs, ce n’est pas une autre, elle n’est pas de la « visite » et elle n’est pas télécommandée par des forces obscurs (je souligne en passant que plusieurs québécoises dites de souche se convertissent à l’islam et portent le voile). Je ne veux même pas savoir quelles sont ses motivations. Idéalement, un débat sur la laïcité et la place de la religion dans l’espace civique ne devrait être nullement dominé par la peur d’une religion ou d’une autre. Parce que la laïcité n’est pas née contre une religion en particulier.
La laïcité, tel que conçue par les philosophes des lumières (pas celle de l’extrême droite), reconnaît à tous les citoyens la liberté de conscience. Pour protéger une telle liberté, c’est le devoir de l’état d’imposer sa neutralité, du moins, dans ses symboles les plus forts et la police est un symbole fort de l’état. La présence d’un abbé à la police de Montréal est-il conforme avec la neutralité de l’état ? La cérémonie annuelle d’une messe rouge à l’église Notre-Dame pour donner la bénédiction aux juges est-il conforme avec la neutralité de l’état ?
Le Québec n’a pas encore achevé sa sécularisation. L’état accorde encore des privilèges fiscaux à des institutions religieuses. Il finance, en partie, des écoles privées à vocation religieuse. Il existe même au sein du ministère de l’éducation un Secrétariat aux affaires religieuses. La séparation du religieux et du politique au Québec n’est pas encore une mission accomplie. La constitution canadienne qui établit la suprématie de Dieu dans son préambule, rend très difficile l’accomplissement d’une telle mission. Mais pas impossible!
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Par ailleurs, le combat pour la séparation du religieux et du politique ne devrait pas être confondu avec le combat contre l’intégrisme religieux. Ce sont deux combats légitimes, mais les confondre est une erreur stratégique. Je regrette de voir cette confusion dominer le débat, autant dans les réseaux sociaux que dans les propos de plusieurs chroniqueurs. Mais à qui profite la confusion?
Sur l’intégrisme religieux, on ne nous dit pas tout. Les grands médias s’arrêtent sur le voile pour cacher les dessous d’une manipulation qui dépasse de loin le phénomène du voile. Mais ça, c’est une autre histoire sur laquelle je reviendrais peut-être une autre fois.
En attendant, j’aimerais lever le voile sur une autre confusion dont je suis un peu responsable. En publiant les images de femmes policières marocaines sans voile, certains avaient peut-être supposé que le Maroc est un pays laïque. Non, le Maroc ce n’est pas encore la Turquie.
Le Maroc comme le stipule sa constitution est un état musulman, donc non laïque. La neutralité de l’État ne fait pas l’objet de débat au Maroc, ni de projet de loi, encore moins d’une commission parlementaire. Seuls des militants pour les droits aux libertés individuelles revendiquent la neutralité de l’état et la liberté de conscience pour tous.
Disons qu’au Maroc, le rôle de la police, de l’armée et de la gendarmerie ne s’arrête pas à la protection des citoyens et la souveraineté du territoire. Toutes les figures d’autorité, particulièrement celles portant des uniformes, travaillent aussi à la protection d’un régime politique. C’est en son nom qu’on applique la justice et la sécurité au pays. Au Maroc, la séparation des pouvoirs c’est encore un rêve.
Le roi qui représente le pouvoir suprême de l’état est reconnu par la constitution comme le Commandant des croyants. De cette façon, le politique et le religieux sont réunis en un seul pouvoir et cela ne semble pas, pour l’instant, soulever de vagues de protestations! Nous sommes loin d’une loi (comme celle de 1905 en France) consacrant la séparation de la mosquée et de l’état.
Alors pourquoi, me diriez-vous, une femme policière marocaine ne peut porter le voile puisque selon la constitution du pays, elle en aurait le droit ?
Pour résumer, disons que le régime politique marocain impose sa volonté de projeter l’image d’un islam modéré. Mais l’ironie veut que ce même régime, a laissé la porte ouverte aux mouvements salafistes et wahhabistes dans les années 70. Les mêmes qui se sont répandus partout dans les pays musulmans. C’était pour faire la guerre aux mouvements de gauche et d’extrême gauche. Cela s’inscrivait dans le contexte mondial d’une guerre froide opposant est et ouest. On a ravivé et réhabilité l’islam radical pour tuer le communisme. La créature monstrueuse se retourne aujourd’hui contre son créateur! (J’y reviendrais..)
Aujourd’hui, la police marocaine démantèle régulièrement des cellules dormantes des candidats aux jihads. Le voile islamique n’aurait pas sa place dans ce genre d’opération.
Au Maroc comme au Québec deux confusions perdurent. Elles ne sont pas de même nature. Mais elles ont pour objectif de servir le pouvoir!
Globalement d’accord avec vous, M.Lotfi.
Si trop souvent on associe lutte contre l’intégrisme et bataille pour que s’instaure une laïcité sans adjectif dans l’espace «civique», dans le milieu scolaire, les CPE, la fonction publique et très certainement chez tous celles et ceux qui représentent l’État… c’est que ceux/celles qui s’élèvent contre cette laïcité et essaient de la torpiller d’avance en tentant de lui imposer un masque multiculturaliste et poly-religieux qui saperait ses fondements mêmes… sont les intégristes !
Bref, quand vous vous battez contre les idéologies religieuses qui tentent de rogner le peu de laïcité que l’on a au Québec, il est presque impossible d’éviter les égratignures et de légers dérapages.
Car EUX, ils/elles ne se gênent pas pour vous traiter de raciste ou pire!
Les amalgames ont allègrement fleuri du temps de ce projet de Charte de la laïcité mal nommée, et il suffit de lire Boisvert ou Elkouri, d’écouter Michel C. Auger ou ML Arsenault pour retrouver les mêmes allusions vaseuses sur la «crispation identitaire» des tenants de la laïcité… disons tendance Badinter, Benhabib et Fourest…
Même un Daniel Baril est presque un nazi pour ces gens-là!!
Par contre, la vigilance est de mise, bien entendu. Tout ce qui va plus loin que la caricature ou le quolibet pour verser dans les injures racistes ou sexistes et les menaces de violence, etc. DOIT être évité, dénoncé, rejeté.
Il ne faut pas se faire confisquer le combat pour la laïcité par l’extrême-droite fascisante, xénophobe, raciste anti-arabe ou anti-musulman, celle qui amalgame immigrant, musulman, arabe… et islamiste djihadiste. MAIS il ne faut pas oublier non plus que les propagandistes, les prosélytes du hijab, les prétendus défenseurEs d’un vivre-ensemble saupoudré d’inégalités hommes-femmes et de soumission féminine soi-disant volontaire alors qu’elle est auto-infligée… il ne faut pas oublier qu’ils et elles sont AUSSI d’extrême-droite!
Ces fréristes qui pratiquent la tâqiya et veulent nous faire prendre leurs vessies idéologiques pour les lanternes de la liberté. Même s’ils militent dans des mouvements ou partis d’une gauche dévoyée et régressive, même s’ils sont candidatEs à la députation ou porte-parole de «paroles de femmes» racialisées deux fois plutôt qu’une par ces indigénistes réactionnaires!
Mais je m’emporte 🙂 !
Je ne voulais, au départ, que vous dire deux mots à propos de «Non, le Maroc ce n’est pas encore la Turquie.»
On ne le souhaite pas! Car si vous faisiez référence à la Turquie laïque d’il y a 15, 20 ou 30 ans… que j’ai connue et aimée, cette Turquie-là est exsangue. Erdogan le boucher, un islamofasciste de première, est en train de se charger des Kurdes, des journalistes indépendants, des progressistes, des laïques, des féministes et des démocrates.
Souhaitons au Maroc de ne pas faire ce saut-là et de ne pas passer de Charybde en Scylla. Bien à vous.
Évidemment, ce n’est pas à la Turquie d’Erdogan que je fais allusion, mais la constitution du pays l’oblige à ne pas toucher à la laïcité.
Excellente contribution, cher monsieur, qui dit les choses avec courage et clarté. Les religions révélées et leur exercice sans frein, n’ont jamais été, et ne peuvent pas être, par essence, compatibles avec la démocratie
Il ne devrait y avoir aucune confusion à ce sujet dans une démocratie: les religions, toutes, doivent rester confinées dans la sphère privée. Accepter la possibilité qu’une policière ou toute autre dépositaire de la puissance publique porte le voile islamique, ou la kippa pour les hommes, ou le turban, ou n’importe lequel des oripeaux proclamant une appartenance religieuse, ne procède que d’une évidence: le manque total de lucidité et de courage de la classe politique. À cet égard, les ridicules exhibitions mimétiques de M. Trudeau sont débilitantes.
Le bon niveau d’ « accomodements » à octroyer aux religions doit être le même pour toutes: zéro! Sinon, les dérives deviendront de plus en plus incontrôlables. L’histoire fournit maintes évidences qu’il n’est rien de tel que l’impérialisme religieux pour subvertir l’ordre public.
Le fait que – ne nous le cachons pas – une des grandes religions monothéistes soit notablement plus expansionniste et violente que les autres, ce qui n’a pas toujours été le cas, n’exonère en rien ses homologues de leurs obligations de neutralité. C’est un devoir de sauvegarde pour les pouvoirs publics que de faire respecter l’ordre démocratique, si facile à compromettre. Le Canada, en dehors du Québec, encore insuffisamment, semble avoir beaucoup de mal à le comprendre.
Un papier de Lise Ravary sur la « cérémonie du voile » qui aura lieu dans une école publique de Montréal dimanche 29 avril me permet de le placer en contexte avec le vôtre.
http://www.journaldemontreal.com/2018/04/26/abus-de-fillettes-a-la-csdm
Vous estimez que l’on mélange les luttes.
Mais les retombées de cet article sont un bon exemple de ce qui va se passer.
Je ne veux même pas aller voir les commentaires puants et à vomir en plus d’être écrits par des néandertaliens qui vont souiller la page de Mme Ravary.
Elle-même s’en plaint à juste titre et souvent.
Une chose est claire, Lise Ravary n’est pas raciste anti-arabe ou anti-musulman (je refuse d’écrire islamophobe).
Pourtant, son article va être tweeté à profusion (comme je viens de le faire) et des tas de crétins décérébrés vont écrire « qu’île retournent den leure paï » «m,arre des immigrands» «les zarabs nou anvaïsse» ou autres joyeusetés.
Des gens vont me retweeter : «Il faut préciser que la photo ne vient pas d’ici MAIS le «taklif» est bien une cérémonie honteuse dégradante ségrégationniste patriarcale abusive machiste ON EST EN #2018 (n’est-ce pas #JustinTrudeau )
Non aux vêtements de chasteté imposés aux femmes et aux fillettes ! »…. et ils vont écrire des insanités racistes et stupides — je vais leur répondre et les bloquer.
Mais, et Lise Ravary le précise « s’il s’agissait d’un baptême évangélique, ou d’une bar-mitsvah, j’aurais une réaction semblable. Moins l’aspect maltraitance, unique à ce cas. »
Moi aussi! Le 1er accommodement religieux que j’ai dénoncé, c’étaient les soukots sur les balcons du Sanctuaire, ça remonte à 1997.
Mais c’est ça l’affaire avec le voile, la laïcité, le communautarisme, la cécité d’un Nadeau-Dubois, le relativisme culturel de la gauche néo-beauf !
Les intégristes islamistes veulent nous enfoncer leur foulard sur les yeux. La future policière qui rêve de porter un vêtement de chasteté dans l’exercice de ses fonctions ou les musulmans fondamentalistes qui pensent que les fillettes et même les bambines doivent cacher leur corps… sont de la même idéologie. Mme Awada, Mme Laouni, Mme Torrès, M. Bouazzi ne sont pas des Adil Charkaoui… mais ils professent la même vision sectaire. Les uns sont softs, l’autre est heavy.
Mais en bout de ligne, ils et elles vont affirmer qu’un article comme celui de Mme Ravary est raciste, xénophobe…qu’il attise la haine de l’autre… qu’il se fonde sur la peur, etc… vos arguments, quoi… C’est vrai que dans le camp laïque, on semble être obsédés par l’islam (et je m’inclus là-dedans).
D’accord.
Mais alors, que fait-on?
On laisse l’extrême-droite religieuse louer des salles d’école pour abuser des petites-filles? On laisse s’installer ouvertement une idéologie réactionnaire, sexiste, patriarcale sur la place publique?
On laisse un communautarisme identitaire crispé saborder les fondements de notre vie ensemble?
Bien à vous.
«la laïcité passe nécessairement par le rejet de l’autre!»? dites-vous? NON , vous semez ici la confusion et jetez de l,huile sur le feu!. Vous voyez du racisme là ou il y a légitime défense du droit à l’égalité homme -femme et là où la société ne veut pas qu’on accorde des priviléges , sous couvert de religion alors que le véritable desssein est idéologique et politique, à une communauté qui réclame des droits que les autres n’ont pas. Je ne pourrais pas travailler au sein de la police avec des plumes dans les cheveux, ni une ceinture fléchée, ni un trèfle vert tatoué sur la joue pour marquer mes diverses origines! L’UNI forme est exactement là pour donner l’image d’une neutralité, d’une égalité envers tous. La laicité passe par le rejet de quelqu’idéologie que ce soit qui garde l’humain, surtout la moitié de cette humanité sous le joug, perpétue des usages qui font de la femme une citoyenne de second rang, sous la tutelle du mâle, comme les autochtones ont été considérés des mineurs sous la tutelle de l’État! Ça suffit! je vous suggère la lecture de «Afghan et musulman le Québec m’a conquis» d’un Afghan qui a choisi la liberté d,être et de vivre plutot que la perpétuation de coutumes liberticides et misogynes. Je vous croyais pourtant de ceux de son espèce…
De son espèce ? Je suis d’une seule espèce, humaine!
Cette confusion est aussi savamment entretenue par les adversaires mêmes de la laïcité. Ce n’est pas l’unique facteur, mais il est important. Chaque fois que les partisans de la laïcité expriment la volonté d’écarter le religieux et toutes les religions, leurs adversaires remettent le même disque « Ça vise uniquement l’islam! C’est le voile que vous attaquez! Ce sont de pauvres musulmanes que vous voulez priver d’emplois pour un bout de tissu [sic]! » Dès 2013, j’ai bien vu comment les adversaires du projet de charte péquiste ont fait des pieds et des mains pour amener le débat sur le seul sujet du hijab à seule fin d’instrumentaliser celui-ci. En réalité, ils s’en moquent du hijab, c’est le multiculturalisme qu’ils veulent imposer. Et malheureusement, bien des Québécois tombent encore dans le panneau et, en gueulant contre l’islam seul, défendent bien mal la laïcité.