Cette grenade dans la main d'un jeune marocain est-ce une arme ou un fruit?
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Cette grenade dans la main d’un jeune marocain est-ce une arme ou un fruit?

C’est l’heure du grand choix pour le Maroc. Faire de sa jeunesse sa plus grande force, sa plus belle richesse et sa fierté ou continuer à la sous-estimer, la négliger et la perdre.  Comment le Maroc peut-il se permettre de perdre ce qu’il a de plus cher ?

Cette richesse, je l’ai vu dernièrement briller d’intelligence, de rêves et de projets. Cette jeunesse marocaine qu’on qualifie souvent de sacrifiée et de perdue, elle lui arrive, de plus en plus, de ne pas attendre qu’on lui donne la parole. Elle la prend.  Elle ne se contente pas de poser des questions, elle donne des réponses.  L’occasion lui a été donnée dernièrement de s’exprimer dans le cadre d’un forum.

Une centaine de jeunes marocains venus un peu de partout de la région du nord du pays, m’ont impressionné par le degré de conscience de leurs droits et leurs devoirs dans une époque charnière de l’histoire du pays.

Tous ces jeunes sont des hauts diplômés. Tous sont engagés au sein de la société civile dans différentes instances consultatives.  Ils sont venus dire aux gens du pouvoir qu’ils ne veulent plus être consultés pour la forme. Ils exigent de participer aux décisions surtout quand elles concernent directement leur avenir.

En prenant la parole dans le cadre du Forum régional consacré aux politiques publiques, organisé à Tanger le 25 et 26 avril dernier, ils ont aussi parlé pour tous les autres jeunes absents du forum. Pour les moins instruits, pour les plus pauvres, pour les plus marginalisés, pour les oubliés des zones rurales. Ils sont venus sonner l’alarme à l’attention des pouvoirs en exprimant leurs critiques, leurs indignations, leurs exigences et leurs revendications.  J’ai eu le privilège d’écouter avec grand intérêt chacune de leur parole.

200 pages ne suffiraient pas pour faire le bilan de ce forum tellement de choses intéressantes ont été dites, particulièrement lors des quatre ateliers thématiques qui devaient produire en peu de temps, des propositions concrètes à l’attention de différentes instances du pouvoir.

Mais, avant que les jeunes ne s’emparent du micro, avant qu’ils ne passent aux ateliers, des universitaires, des chercheurs, des acteurs associatifs, des décideurs locaux, le président du Conseil régional ainsi que la directrice de l’Agence Américaine pour le Développement International, ont introduit le forum par plusieurs présentations pour accueillir les jeunes et pour faire le portrait de la situation, particulièrement en matière de politiques publiques.

Tous les intervenants s’accordent sur un point:  Le Maroc a une occasion en or pour faire de sa jeunesse sa plus grande richesse.  Cela arrive rarement dans l’histoire d’une société d’avoir la majorité de sa population formée de jeunes. Jamais dans son histoire le Maroc n’a été aussi jeune.

Selon les chiffres de la banque mondiale de 2015, 67% des marocains auraient moins de 44ans. Dans une éloquente démonstration, le professeur Mohamed Youbi Idrissi a dressé un tableau démographique du Maroc entre 1962 et 2018.

La pyramide des âges au Maroc, indique que le groupe qui domine sa démographie actuellement est celui entre 15 et 29 ans. Il représente 51.66% de la population. Dans les prochains décennies la pyramide se transformera graduellement en minaret.  À partir de 1945, la population marocaine deviendra de plus en plus vieillissante ce qui modifiera le nombre des habitants à la baisse.

Selon Ahmed Jazouli, grand expert en gouvernance démocratique, il est fort important de préciser les d’âges, pour mieux répondre aux besoins des différentes catégories.  Celle de 15-29 ans, se divise en trois sous-catégories. 15-17 ans,  19-24 ans et 25-29 ans.  Les politiques publiques devraient tenir compte des besoins spécifiques de chaque catégorie.

Les vieux de demain sont les jeunes d’aujourd’hui et ils ont des problèmes.  Beaucoup de problèmes dont le plus important, c’est la difficulté d’envisager l’avenir avec confiance.  Cette incertitude devant l’avenir est doublée d’un grand manque de confiance envers les décideurs et les institutions.  « L’une ne serait-elle pas la conséquence de l’autre ? » S’est demandé Abdelhay lors d’un atelier.

Et pourtant, tous les jeunes qui ont pris la parole, en plénière ou en atelier, reconnaissent que la constitution de 2011, les discours royaux et plusieurs lois et articles constitutionnels leur accordent le droit au travail, à l’égalité des chances, à la dignité. En principe, les pouvoirs publiques au niveau des régions et des communes sont tenus par la loi d’écouter et de considérer les propositions des jeunes.  Mais la réalité témoigne d’un grand gouffre entre les lois, les bonnes intentions, les beaux discours et les résultats.

Le chômage des jeunes occupe jusqu’à 30% dans certaines région du pays.  L’immigration clandestine, la drogue, le chômage, la prostitution, les maladies transmises sexuellement se sont des problèmes qui touchent en premier lieu les jeunes.

Un autre autre problème qui menace la sécurité du pays et ses acquis, c’est la radicalisation des jeunes qui ne cesse de s’accroître, particulièrement dans la région du nord. « On fabrique la mort ici dans le nord » a déclaré Abdelhamid de Larache.  Ce thème a occupé une bonne partie du discours d’ouverture du forum du Président de la Région, Elias El Omari dont le ton était manifestement grave.

Plus que toute autre région au Maroc, le nord est celui qui produit le plus de candidats au jihad. Des cellules dormantes du terrorisme, composées de jeunes, sont régulièrement démantelés par la police marocaine. Plus que tout autre région du pays, certaines régions du rif ne manquent pas une occasion pour revendiquer des droits, en faisant beaucoup de bruits.  Rachid tenait à rappeler que « 200 jeunes, issus du hirak d’Al Hoceima, croupissent actuellement dans les prisons ». 

D’après Abdelhamid« Chez-moi à Larache, quand les jeunes ne prennent pas la direction du jihad, ils traversent l’Atlantique en bifurquant vers la Méditerranée avant d’échouer en Espagne le temps de se préparer pour une autre traversée qui les mènera, avec de la chance, jusqu’en Angleterre. Je vous dis pas au prix de combien de morts, combien de vies brisées, certains « réussissent » la migration ».

Une autre migration moins clandestine et dont on évalue pas les dommages, c’est celle des cerveaux. Que fait le Maroc pour ramener ses jeunes, une fois leurs études terminées à l’étranger ?  Si le Maroc a besoin, plus que jamais de ses jeunes, la fuite des jeunes cerveaux n’est pas un bon signe.  Dans l’atelier sur la migration, je me suis permis de demander aux jeunes « Alors que le pays est en train d’accomplir sa sortie du sous-développement, quelles politiques publiques planifient d’offrir les bonnes conditions pour que les jeunes haut-diplômés à l’étranger se sentent désirés au Maroc ? ».

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Cela étant dit, tous les débats, toutes les analyses, sur les politiques publiques au Maroc, que ce soit en matière de jeunesse, d’enfance ou de vieillesse, que ce soit en matière d’éducation, de santé ou de sécurité, ne peuvent être crédibles sans d’abord les situer dans une réalité centrale du pays que Abdelhay, diplômé en droit a tenu à rappeler: « Il y a au Maroc un gros problème de justice sociale, de conflit des classes et de distribution des richesses » .

En marge du Forum, en discutant avec un de ses invités, qui occupe apparemment un poste important au sein de l’état, sachant que j’ai fais mes études au Canada, il m’a confié que ça lui coûte 5000$ par mois, pour payer les études universitaires de ses deux enfants à l’étranger.  Il m’a avoué qu’effectivement « Une fois leurs études terminées, il n’est pas impossible qu’ils décident de rester à l’étranger où on leur offrira un travail digne de leurs compétences ».  On leur offrira des emplois avec des bons salaires et des privilèges sociaux.  Déjà, au cours de leurs études, ils prennent goût à un contexte sociale d’un autre niveau.  Un contexte que le Maroc ne peut encore leur offrir.

Il y a actuellement des jeunes marocains au Québec, en France et un peu partout en Europe et en Amérique qui font des études supérieurs. Plus que tout autre pays, le Maroc aurait besoin de leur compétences, leurs expertises et de leurs génies, pour continuer à construire le Maroc de demain. Continuer à le sortir du sous-développement. Pour contribuer, par la même occasion, à introduire au Maroc plus de justice sociale, plus de démocratie, plus de modernité.

Que fait le Maroc pour attirer ses jeunes étudiants à l’étranger au pays une fois leurs études terminées? Quelles conditions favorables leur prépare t-il ? Que fait le Maroc pour limiter la fuite des cerveaux dont il a grandement besoin ? Que fait le Maroc pour que ses investissements dans les études des jeunes marocains profite d’abord au pays ?

Depuis 20 ans, le Maroc ne cesse de se developper!  Ce développement devrait profiter en premier aux jeunes.  Pourquoi les politiques publiques n’intègrent pas (ou pas assez) la jeunesse dans le développement du pays ?

Le chef d’un grand parti de gauche et ancien ministre, Nabil Benabbellah, reconnaissait dernièrement dans une entrevue que le développement rapide du Maroc dans les vingt dernières années, a été fait dans un grand déséquilibre favorisant des régions au dépends d’autres régions, des villes au dépend d’autres villes.  Il aurait pu reconnaître que ce désiquilibre a profité davantage aux riches.  Reconnaître aussi que l’enrichissement des riches ne peut favoriser les conditions d’une justice sociale.  « Avec un peu plus de courage, Benabdellah aurait pu se demander si l’enrichissement des riches au dépend des pauvres n’est pas une autre forme de terrorisme ? » M’a confié une autre jeune participante à l’atelier où la question de la justice sociale a été soulevée.

Le riche marocain ne conçoit pas le partage comme un devoir mais comme une charité.  Ce n’est pas dans sa culture de payer sa juste part d’impôts pour permettre une meilleure redistribution des richesses sans laquelle aucune justice sociale n’est possible.  Comment envisager un avenir meilleur pour les jeunes du Maroc sans faire l’équation entre avenir, jeunesse et justice sociale ?

Par ailleurs, une justice sociale est-elle possible sans consolider les assises de la démocratie marocaine ?  Quand le Président de la Région lui-même, Elias El Omari, avoue dans son long discours de fermeture que lui, aussi président soit-il, élu d’une grande région du Maroc, il n’a « absolument aucun pouvoir ».  

Au Maroc, l’Agence Américaine pour le Développement International semble avoir plus de pouvoir que le président d’une Région. C’est Counterpart International qui a financé le forum. Cela n’a pas manqué de soulever la question d’une jeune intervenante « Le Maroc n’est-il pas capable de s’occuper de lui-même quand il s’agit de son avenir? ».  Quand on sait que ce n’est pas l’argent qui manquent au Maroc.

Tous ces jeunes que j’ai croisés lors du forum sont unis par le même désir, le même projet:  Construire le Maroc de demain, pour que leur pays ne manque pas son rendez-vous avec l’histoire.

Réunir autant de jeunes dans un forum est un succès en soi.  On ne peut que féliciter tous les organisateurs du forum. Mais le véritable succès c’est de voir très bientôt la parole de ces jeunes devenir action.   Plus encore, c’est la culture même du pays qui est appelé à intégrer la jeunesse comme sa plus grande force, son espoir, son fruit.

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Un jeune se nourrit et se développe grâce aussi à des modèles de succès et de réussite. Il suffit de les ramener à la mémoire. Un des plus illustres modèles du Maroc est un homme qui a fait l’histoire.  Plusieurs siècles après sa mort, il inspire encore.  À l’âge de 21 ans, Ibn Battouta a quitté sa ville natale pour un long voyage qui a duré 30 ans.  30 ans à explorer les peuples, les coutumes et les contrées jusqu’en Chine. À son retour, le Roi du Maroc Abou Inane l’a accueilli à Marrakech avec tous les honneurs et a mis à sa disposition les bonnes conditions pour rédiger son oeuvre.  Aujourd’hui, l’Aéroport de Tanger porte son nom.  Mais pour en faire un modèle pour les jeunes, ils pourraient mieux le connaître dans le cadre d’un film ou une série populaire.  D’autres grands hommes du Maroc sont des modèles inspirants, il suffit de faire parler l’histoire.

Par politiques publiques, j’entends aussi politiques culturelles.  La culture au service de l’épanouissement des jeunes.  Voilà tout un programme!

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Totes:

  • Pour le titre du texte, je me suis permis de m’inspirer de celui d’un livre de l’écrivain Dany Laferrière « Cette grenade dans la main du jeune nègre est-ce une arme ou un fruit? »
  • On peut regretter l’absence des grands médias pour la couverture de ce Forum.  Son aspect régional n’enlève rien à l’intérêt national qu’il devrait susciter.
  • Félicitations à tous ceux et celles qui ont participé à l’organisation de ce forum, notamment l’association La Colombe blanche qui milite particulièrement pour la reconnaissance des droits des personnes handicapées et des personnes défavorisées.
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