Une prière pour Hamid!
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Une prière pour Hamid!

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En ce dernier jour de Ramadan, je me suis rendu au chevet de mon ami Hamid.  Sa tombe est faite d’argile jaune. Une couleur qui revient, à différents degrès, dans ses toiles, dès qu’il s’agit d’évoquer une lumière ou d’interpréter une chair.

Au dernier jour du dernier Ramadan, je l’ai accompagné au café qui donne sur le souk à l’entrée de Lagza, à Rabat. Nous avions changé de table trois fois avant que Hamid puisse être assis au bon angle.

« Regarde toute cette vie ». Il pouvait rester ainsi des heures à contempler le souk, comme on contemple les vagues. Cette ambiance que d’autres se pressent de fuir, lui ça le fascinait. Beaucoup de bruits dans ce coin de la médina où la marchandise occupe plus de place que les marchants et leurs clients.

Il n’était pas rare que le fruit de ces contemplations se retrouve sur une toile ou dans une de ses chroniques « Tranches de vie » qu’il publiait à l’Opinion. Mais, ce n’était pas d’abord pour cela que Hamid aimait regarder le monde. C’est simplement parce qu’en regardant le monde être que l’artiste et l’homme en lui se retrouvaient.

« Pas besoin de télécommande ici. Les scènes se mêlent et se démêlent dans un fondu enchainé permanent ».  Hamid regardait ces scènes et moi je regardais Hamid.  Je le regardais s’émerveiller devant un détail.  Je me demandais comment il entretenait un regard toujours aussi neuf sur la vie ? Il n’expliquait pas la vie, il la vivait, pleinement. Il faisait un avec les autres. Son empathie était sans égal.

Sur le chemin du retour, nous avons arrêté un moment derrière le Théâtre Mohammed V.  À chaque fois qu’on arrêtait devant l’entrée des artistes, il avait une anecdote à raconter:

« Béjart donnait ce soir là un spectacle. Je suis entrée par ici pour avoir accès à sa loge. J’étais très excité à l’idée de rencontrer le plus grand chorégraphe de son époque. Une fois devant lui, j’ai perdu les mots. J’avais l’air idiot.  J’ai à peine balbutié une demande d’autographe qu’il m’a accordé volontiers.. » 

Hamid Kiran n’était pas un chorégraphe aussi connu que son idole Maurice Béjart, mais il n’était pas moins passionné et moins créatif. Sans doute que le contexte et l’époque contribuent à faire la renommée.  On danse encore les ballets de Béjart. Ceux de Kiran sont partis avec lui.

J’ai eu le privilège de danser sur scène plusieurs de ses créations dont la toute première, l’Adagio d’Albinoni, une sorte de prière avec laquelle nous ouvrions les spectacles.

Aujourd’hui, ma prière sur la tombe de Hamid Kiran est une danse sur une musique composée par un italien il y a quelques siècles, reprise et achevée par un autre italien après la deuxième guerre.  Un jour, j’ai présenté à Hamid une version judéo-marocaine de l’Adagio. Il a fermé les yeux en l’écoutant.  Sans doute que dans sa tête, il dansait sa prière.

Au cimetière Achouhada, à quelques mètres de Hamid Kiran, né Mustapha Benquiran, repose Cheihk Abdessellam Yacine. Le célèbre opposant de Hassan II.  Celui que le roi avait assigné à résidence pendant 20 ans pour la virulence de ses critiques envers la monarchie.  Si le Cheikh n’avait pas connu la prison, c’est en raison de sa popularité auprès d’une tranche de la population marocaine qui appréciait ses prêches à tendances islamistes.  Aujourd’hui, on se recueille sur la tombe du Cheikh Yacine comme s’il était un Saint.

Quelques jours après l’enterrement de Hamid, sa femme Majida s’est rendue chez l’épicier pour une commission. Ce dernier lui a exprimé ses condoléances en ajoutant « Vous savez auprès de qui votre mari est enterré? » . Oui, elle le savait. Impossible de ne pas le savoir, c’est la tombe la plus visitée du cimetière. « Et Alors ? » lui demande t-elle. « Il a de la chance » et Majida, encore habillée de blanc, rétorque « Lequel des deux a de la chance ? ».  

Majida Boutriq ne pouvait donner de plus juste et de plus pertinente réponse.

Aid Moubarak!

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