Le commun effort!
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Le commun effort!

« Toutes les luttes de libération se rejoignent dans leur commun effort pour construire un monde meilleur »

En 1988, quelques jours après avoir croisé Pierre Vallières dans une manifestation de solidarité avec la première Intifada palestinienne, il m’a fait cadeau de la seule copie qui lui restait de son célèbre « Nègres blancs d’Amérique ». De ses mains, il a écrit la dédicace citée ci-haut. La même année, je me retrouvais avec ce grand militant de la souveraineté du Québec à manifester contre l’apartheid en Afrique du sud et pour la libération de Nelson Mandela.

30 ans plus tard, force est de constater la nette régression du « commun effort ». Ce qui relevait jadis d’un devoir commun de solidarité; « Ta cause, c’est ma cause »; ressemble aujourd’hui davantage à une lutte pour l’identité; « Touche pas à ma cause ».  Chacun, dans sa communauté, construit son monde meilleur.  C’est le règne du communautarisme, celui d’une crispation identitaire qui n’a pas fini, apparemment, de semer division et confusion.

Ainsi, notre regard sur les malheurs du monde n’est plus dicté par un devoir de solidarité, qui nous rassemblait jadis autour de causes communes.

En 1996, le Ministère de l’Immigration changea d’intitulé pour Ministère des Relations avec les citoyens. Sous le gouvernement péquiste on a voulu mettre en avant la promotion de la citoyenneté, du cadre civique et du patrimoine commun. « La notion de citoyenneté représente une avancée dans la mesure où elle met l’accent sur les liens politiques de l’ensemble des citoyens, et non uniquement sur les liens interculturels, tout en réaffirmant la diversité du peuple québécois » pouvait-on lire dans les documents officiels du gouvernement.

En 2005, sous le gouvernement libéral, on a de nouveau changé le nom et la vocation du ministère. Depuis, il porte le nom du Ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelles. Un tel intitulé indique que le multiculturalisme canadien est devenu officiellement québécois. Comme par hasard, 2005 c’est l’année où la crises des accommodements religieux a éclaté.  Depuis, le Québec ne cesse d‘accumuler les rendez-vous manqués avec ce qui est convenu d’appeler le « vivre ensemble ».

De toutes les commissions tenues à l’initiative du gouvernement pour trouver des solutions aux différents enjeux du « vivre ensemble », la seule qui a réussi à aboutir à un vote historique à l’Assemblée Nationale donne aux québécois, désormais la possibilité de mourir dans la dignité.

La laïcité, la neutralité de l’état, le port des signes religieux dans l’espace civique, la discrimination à l’embauche, la sous-représentation des minorités dans les médias et la scène artistiques, tous ces enjeux de société n’ont été abordés que sur la base des appartenances communautaires. Chacun ne prêchait que pour sa paroisse.

En 2014 une étude révélait que le chômage dans la communauté maghrébine au Québec frôlait le 30%.  La nouvelle était tellement mauvaise que la ministre de l’Immigration avait convoqué une trentaine de québécois d’origine maghrébine pour discuter du problème.

Invité à participer à la discussion, j’ai tenu d’abord à exprimer mon étonnement de voir qu’autour de la table il n’y avait pas de québécois d’origine japonaise, chinoise, africaine ou sud-américaine « Le chômage dans la communauté maghrébine est un problème québécois. Ça devrait concerner tous les québécois, peu importe leurs origines ». Est-il possible d’imaginer un patron de n’importe quelle origine engager un québécois d’origine maghrébine ? Puisque la réponse est oui, le chômage de tout le monde devrait concerner tout le monde. C’était maladroit de tenir cette réunion au ministère de l’immigration alors qu’elle relevait en réalité du ministère de l’emploi.

En 2017, le gouvernement québécois a poussé à son extrême le communautarisme en confiant la préparation de la Commission sur le racisme systémique principalement à des membres de communauté identifiés comme victimes de racisme en négligeant d’impliquer également ceux qui ont la responsabilité d’apporter des solutions concrètes; les employeurs, les patrons; les gestionnaires de services publiques. Bref, ceux et celles qui ne cessent de réclamer des balises claires concernant les normes du travail et les politiques dembauche.

Au lieu de corriger le tir et revoir le mandat de la commission et sa structure, le gouvernement a préféré l’annuler avant même qu’elle ne commence. Un autre rendez-vous manqué avec le « vivre ensemble ».

J’ai grandi avec la conviction que pour tous les exclus, les marginalisés, les exploités, les vulnérables, les laissés pour compte et les chômeurs, nous avons un devoir de justice. Aucun progrès social n’aurait été possible sans solidarité sociale. Par sa révolution tranquille, le Québec a grandement évolué sur le chemin de la justice sociale.  Il faut être dans le déni pour ne pas reconnaître que les acquis de cette révolution sont aujourd’hui menacés.

Cela étant dit, gardons espoir! Puisque le Québec a déjà fait preuve de combativité tout au long de son histoire pour s’affranchir du joug de l’église et de la domination économique anglophone, puisque le Québec a réussis à se doter de solides institutions démocratiques fondées sur un effort commun d’épanouissement, la société québécoise sera capable, j’ose espérer, de faire face à cette vague de plus en plus menaçante de communautarisme et de multiculturalisme.  Ce n’est pas en divisant les citoyens sur la base de leurs appartenances ethniques, raciales, religieuses ou culturelles que nous allons y arriver.

Il faut réhabiliter au plus vite le « commun effort » en mettant à jour le contrat social pour construire un Québec meilleur.