Il y a un an, le Maroc a perdu un grand homme et moi un grand ami!
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Hamid, tu nous a quitté il y a un an.
J’appréhendais un peu mon dernier retour au Maroc. Pour la première fois, depuis 36 ans, je revenais au pays avec l’idée bizarre que je n’allais pas te revoir. Que je n’aurais plus le plaisir de réinventer le monde avec toi en parlant de ce qui va et de ce qui ne va pas. Le plaisir de découvrir tes nouvelles toiles et t’entendre me dire « Dis-moi honnêtement ce que tu en penses ».
Avec toi le temps prenait son temps. Il te faisait la faveur de s’étirer. Marcher est un art et tu savais si bien le pratiquer. Sous tes pieds, les trottoirs prenaient allure d’une scène sur laquelle tu faisais ta danse. Ta vocation de danseur et chorégraphe n’est pas étrangère à ta façon de mettre un mot devant l’autre.. Au coin d’une rue ou autour d’un café, parler avec toi est un art. Un mot faux, c’est un faux pas.
Même après ton AVC en 2010, ton rapport au temps n’a pas changé. Certes, tes pas ont perdu de leur vigueur, monter les escaliers était devenu un sport extrême, mais ton esprit a gardé la même vivacité, le même humour et toujours la même auto-dérision « Qui pourrait dire que cette tortue qui s’apprête à monter trois étages, jadis a cassé les planches sur le Boléro de Ravel, Malaguenia, Carmen.. ? ».
Moi Hamid, je peux le dire. Des milliers de personnes peuvent témoigner de t’avoir admiré sur scène. Tous tes élèves, dont plusieurs ont fait carrière, portent en eux la mémoire de ta belle et imposante présence sur scène.
Je peux bien maudire cet AVC qui a précipité ta mort en nous privant de toi. Mais le temps a fini par dire son dernier mot. Aujourd’hui, j’arrive à m’incliner devant sa volonté. Il faut dire que mes trois derniers mois au Maroc m’ont beaucoup aidé à faire le deuil. Presque partout où j’ai été à Rabat, à chaque jour, de beaux souvenirs te ramenaient.
Tu n’es pas mort Hamid, tu as juste fais un pas vers ailleurs. Un pas suffisamment grand pour te perdre des yeux, mais pas du coeur. Pas de la mémoire. Celle de ta famille, de tes amis, de tes admirateurs et particulièrement celle de Majida, ta femme!
D’ici bas, moi je continue à marcher avec toi!
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14 juin 2018
En ce dernier jour de Ramadan, je me suis rendu au chevet de mon ami Hamid. Sa tombe est faite d’argile jaune. Une couleur qui revient, à différents degrès, dans ses toiles, dès qu’il s’agit d’évoquer une lumière ou d’interpréter une chair.
Au dernier jour du dernier Ramadan, je l’ai accompagné au café qui donne sur le souk à l’entrée de Lagza, à Rabat. Nous avions changé de table trois fois avant que Hamid puisse être assis au bon angle.
« Regarde toute cette vie ». Il pouvait rester ainsi des heures à contempler le souk, comme on contemple les vagues. Cette ambiance que d’autres se pressent de fuir, lui ça le fascinait. Beaucoup de bruits dans ce coin de la médina où la marchandise occupe plus de place que les marchants et leurs clients.
Il n’était pas rare que le fruit de ces contemplations se retrouve sur une toile ou dans une de ses chroniques « Tranches de vie » qu’il publiait à l’Opinion. Mais, ce n’était pas d’abord pour cela que Hamid aimait regarder le monde. C’est simplement parce qu’en regardant le monde être que l’artiste et l’homme en lui se retrouvaient.
« Pas besoin de télécommande ici. Les scènes se mêlent et se démêlent dans un fondu enchainé permanent ». Hamid regardait ces scènes et moi je regardais Hamid. Je le regardais s’émerveiller devant un détail. Je me demandais comment il entretenait un regard toujours aussi neuf sur la vie ? Il n’expliquait pas la vie, il la vivait, pleinement. Il faisait un avec les autres. Son empathie était sans égal.
Sur le chemin du retour, nous avons arrêté un moment derrière le Théâtre Mohammed V. À chaque fois qu’on arrêtait devant l’entrée des artistes, il avait une anecdote à raconter:
« Béjart donnait ce soir là un spectacle. Je suis entrée par ici pour avoir accès à sa loge. J’étais très excité à l’idée de rencontrer le plus grand chorégraphe de son époque. Une fois devant lui, j’ai perdu les mots. J’avais l’air idiot. J’ai à peine balbutié une demande d’autographe qu’il m’a accordé volontiers.. »
Hamid Kiran n’était pas un chorégraphe aussi connu que son idole Maurice Béjart, mais il n’était pas moins passionné et moins créatif. Sans doute que le contexte et l’époque contribuent à faire la renommée. On danse encore les ballets de Béjart. Ceux de Kiran sont partis avec lui.
J’ai eu le privilège de danser sur scène plusieurs de ses créations dont la toute première, l’Adagio d’Albinoni, une sorte de prière avec laquelle nous ouvrions les spectacles.
Aujourd’hui, ma prière sur la tombe de Hamid Kiran est une danse sur une musique composée par un italien il y a quelques siècles, reprise et achevée par un autre italien après la deuxième guerre. Un jour, j’ai présenté à Hamid une version judéo-marocaine de l’Adagio. Il a fermé les yeux en l’écoutant. Sans doute que dans sa tête, il dansait sa prière.
Au cimetière Achouhada, à quelques mètres de Hamid Kiran, né Mustapha Benquiran, repose Cheihk Abdessellam Yacine. Le célèbre opposant de Hassan II. Celui que le roi avait assigné à résidence pendant 20 ans pour la virulence de ses critiques envers la monarchie. Si le Cheikh n’avait pas connu la prison, c’est en raison de sa popularité auprès d’une tranche de la population marocaine qui appréciait ses prêches à tendances islamistes. Aujourd’hui, on se recueille sur la tombe du Cheikh Yacine comme s’il était un Saint.
Quelques jours après l’enterrement de Hamid, sa femme Majida s’est rendue chez l’épicier pour une commission. Ce dernier lui a exprimé ses condoléances en ajoutant « Vous savez auprès de qui votre mari est enterré? » . Oui, elle le savait. Impossible de ne pas le savoir, c’est la tombe la plus visitée du cimetière. « Et Alors ? » lui demande t-elle. « Il a de la chance » et Majida, encore habillée de blanc, rétorque « Lequel des deux a de la chance ? ».
Majida Boutriq ne pouvait donner de plus juste et de plus pertinente réponse.
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Je suis curieux…
Le clip c’est la référence à un Adagio judéo-marocain que vous faites dans votre texte?
J’ai vu la légende en hébreu au début …c’est un orchestre israélien?
Le chef parle en hébreu et j’ai cru voir qqs kippas… C’est très beau, en tout cas ! Le chanteur? Un Israélien arabe ou un Marocain?
Magnifique texte à l’amitié aussi.
Vous excellez dans l’humain…
Lior Elmalih, un juif israélien d’origine marocaine, chante Adagio d’Albinoni en Darija. Hamid aimait beaucoup cette version que j’avais adaptée dans un de mes montages: https://www.youtube.com/watch?v=G-7Tmv3tOTk
Merci pour la réponse. J’avais mené une enquête qui m’a mené à https://www.youtube.com/watch?v=IzduKMVZja0
c’est donc bien The Israeli Andalusian Orchestra
Quelle musique magnifique.. là, il chante en hébreu et en arabe ou en darija, probablement.
Saviez-vous que l’Adagio n’est pas d’Albinoni?! mais de Remo Giazotto https://fr.wikipedia.org/wiki/Remo_Giazotto
Oui je connais l’histoire de l’adagio qui a été complété par Remo Giazotto..