Les pères du blogue sont un peu en mode estival. C’est tranquille ici. Du coup, étant moi-même en vacances, en voyage hors du pays, je suis surtout intéressé par les sites de météo et les recherches d’endroits à visiter. Toujours est-il qu’en tant que père en vacances, je rêvasse tranquillement le soir en repensant à tous ces voyages que j’ai fait en compagnie de ma fille et de ma blonde. Je vous raconte un peu.
La première fois, la petite avait six mois. Ma chérie l’allaitait encore et, comme elle devait aller donner une formation à Fribourg, je devais me débrouiller seul pendant la journée. Je me souviens de mon désarroi. Je n’ai jamais eu l’intention de faire du parachutisme, mais je crois que j’ai su, à ce moment, comment se sentent ceux qui se lancent dans le vide en souhaitant que tout se passe comme on le voit à la télé. Vous savez, le gars qui s’est lancé dans le vide de la stratosphère, Felix Baumgartner, eh bien lui et moi avons quelque chose en commun depuis ce jour-là.
J’avais tout l’équipement de survie qu’on pouvait me fournir. Chérie me donnait le soir du lait maternel qu’elle se pompait avec altruisme au cours de la journée. Pour le reste, je devais trouver par moi-même sur le terrain, notamment du lait en poudre, pour compléter l’offre naturelle qui ne suffisait pas, et des purées. Sauf que voilà, j’étais en Suisse, là où on ne fait rien comme tout le monde. Devant les étalages de lait, je ne retrouvais aucune des références auxquelles j’étais habitué. Ah, si chérie avait été avec moi, elle aurait su, elle. Mais je devais trouver, seul, par la bonne vieille méthode essai-erreur. Une pharmacienne m’avait donné 5 ou 6 échantillons. Je tentais un biberon, oups, j’obtenais du vomi et des cris stridents. Un autre essai, elle refusait carrément d’en boire. Après deux jours, j’étais fixé. J’avais trouvé! Ce jour-là, Archimède dans son bain n’était pas plus fier que moi. J’avais su relever avec succès le premier défi du père seul avec bébé loin de chez lui.
Suite à cette première sortie en chute libre, ces journées, seul avec la petite, à arpenter les routes et les paysages inconnus, sont devenues des moments précieux. Depuis 11 ans, tous les ans, alors que ma chérie doit se rendre en Suisse ou en France pour donner une formation, nous l’accompagnons pour aller nous balader ensemble pendant la journée. Lors des premiers voyages, alors qu’elle était grande comme une fève germée, ça se passait principalement dans son sac à dos dans lequel je la portais. Nous faisions tout ensemble, prenions le train, visitions des expositions, des quartiers, des villages et faisions les courses pour le repas du soir.
Vers la fin de l’après-midi, inévitablement, elle s’endormait, accrochée à mes cheveux. C’était le moment idéal pour un apéro tranquille. Je déposais avec prudence et minutie le sac à dos pour bébé qui pouvait tenir sur ses pattes -ne pas la réveiller surtout!- je formais une sorte d’oreiller avec une petite couverture de coton pour qu’elle soit confortable et hop, je la posais à côté de moi sur une terrasse. J’avais le temps pour une bière, parfois deux, et elle se réveillait, prête pour de nouvelles aventures.
Ensuite nous sommes passés à la poussette. Même pattern, même itinéraire. Villes, villages, quartiers, rues et ruelles. Toujours ensemble avec les siestes en fin d’après-midi alors que je la poussais. Je signale au passage que la poussette pour l’apéro, c’est nettement plus pratique.
Plus tard, ce fut à pied. On a largué la poussette. Ça n’a rien changé, nous sommes demeurés complices de la balade. Suffit de prévoir plus court et pour les apéros, vous devez trouver un bistrot qui sert des glaces. Facile. Nous avons parcouru des villes, des campagnes et des montagnes ensemble en rigolant.
Jusqu’à l’an dernier. Et c’est pour cette raison que je vous raconte tout ça. Il s’est passé quelque chose d’irréversible lors de sa dixième année.Les disques pour enfants en voiture ne suffisaient plus. Une balade dans un village ou au hasard d’un sentier? Quelle platitude! Seule ma formation aux astuces de Temple Run semblait l’intéresser. Notre complicité totale s’est brisée très exactement alors que je garais la voiture dans un joli village pour aller faire des courses.
– Euh, on fait quoi là?
– On s’arrête ici quelques minutes pour acheter quelques trucs. En plus, ça a l’air joli.
– Peuh. Est-ce que je peux rester dans la voiture?
– Hein? Mais hey, c’est super joli et on va se trouver des victuailles du tonnerre! Allez viens!
– C’est plate.
Là, j’ai pété une coche solide. Genre de réplique: «ton attitude de marde, ou bien tu la ranges, ou bien je te mets en quarantaine dans le coffre avec les valises.» Bon, ce n’était pas exactement ça mais vous avez l’essentiel. Évidemment, elle s’est mise à pleurer. Sa réplique a été à la mesure de la mienne.
– C’est vraiment pas les vacances du siècle!
Oh fuck. Je sens encore la pointe du poignard dans mon cœur de con. Je devais l’admettre, elle s’emmerdait intégralement. J’avais perdu la complice de toutes les balades, en me rendant compte qu’au fond, toutes ces années, c’était beaucoup plus mes balades où elle m’accompagnait que les siennes. Elle a toujours adoré les voyages et nos destinations, mais c’est ce que je devais comprendre, sans appel: Regarde vieux plouc, ok, ton village du 13e siècle classé machin UNESCO et ta boucherie où on vend des produits du terroir, je m’en tape le gros orteil, vivement qu’on arrive où il y a une piscine et du wi-fi. Elle s’ennuyait de ses camarades et notre compagnie n’était plus aussi divertissante qu’elle avait pu l’être.
Ma copine chérie m’avait bien envoyé quelques messages explicites, du genre: «je ne pense pas que ça va plaire à la petite, ce détour.» Je n’avais pas su entendre j’imagine. Je me suis finalement revu assis dans la voiture, à 11 ans, alors que mon père voulait faire le tour de tous les $/?%&(* de ports de pêche du Maine au grand complet pour faire des photos alors que je n’en avais plus rien à cirer et que la promesse de voir des cages à homard n’avait plus d’effet sur ma curiosité.
On se sort de là comme on peut. Et c’est précisément à ce moment que j’ai affronté l’évidence: Je suis vieux, elle est jeune et tout doucement ses trucs à elle ne me concernent pas, et vice-versa. Bien fait pour ta gueule vieux con.
On a finalement proposé une solution.
– L’année prochaine, aimerais-tu qu’on emmène une copine avec nous en voyage?
Et c’est là où nous en sommes maintenant. L’année prochaine dont nous parlions à l’époque se déroule au moment même où j’écris ces lignes. Nous avons proposé aux parents de sa meilleure amie, qui sont particulièrement cools, un voyage en France. Ils ont payé le billet et hop, on s’occupe du reste.
Une solution fort amusante, car la petite n’est maintenant plus la seule à vouloir chiller sur le divan en lisant un livre ou en écoutant un épisode de je ne sais quelle série manga. Elles sont deux à faire valoir cette possibilité! Pas mal. Pendant ce temps, nous, parents, faisons autre chose, comme discuter entre nous et… chiller sur le divan nous aussi! Et le père, en quête de likes, a même le temps d’écrire un texte à propos des vacances.
Et ce qui est encore plus drôle, c’est qu’avec sa copine, j’ai même entendu la petite dire quelque chose comme: Tu vas voir, c’est super joli les petits villages où on trouve de bonnes choses à manger.
En fait, ça, je l’ai peut-être halluciné… Mais ça se passe tout comme.