Mike Oldfield : Leçon de cloche
Musique

Mike Oldfield : Leçon de cloche

Depuis qu’elle s’est constitué un petit passé bien frais, et un capital en bourse bien lourd, la musique populaire adore les commémorations. Depuis quelques semaines, c’est le vingt-cinquième anniversaire du Tubular Bells de MIKE OLDFIELD que l’on célèbre.

Richard Branson, l’homme qui fonda le label Virgin et bâtit tout un empire financier sur les profits de l’album, tandis que le petit Mike claquait sa première dépression nerveuse, ne vous a pas invité à fêter sur son île du Pacifique? Consolons-nous, fervents consommateurs, on ne nous a pas oubliés. Voici qu’inopinément (sic) les bandes maîtresses de l’ouvrage sont réapparues et qu’on en a tiré une édition limitée, remixée, cartonnée et tout et tout.

Cette réédition anniversaire se vend à un prix scandaleux. Que celui qui ne s’est jamais endormi là-dessus, un pétard entre les dents, me jette la première pierre, je l’ai achetée.

Qu’auront les fans – pour plus de quarante-cinq dollars? Un simple petit DC collé sur dix petites pages de photos fades, autant d’un texte, bien mince, parfois intéressant, et une invitation à acheter le livre The Making of Tubular Bells pour quelques dollars de plus. Rien sur les six mois de construction de l’album, les idées développées par le technicien Tom Newman, sur les compromis imposés à Oldfield, sur d’éventuelles prises inédites.

Ne boudons pas tout de suite notre plaisir. Nul ne peut nier que bien que surentendue et décousue, l’ouvre, historiquement du moins, demeure majeure ne serait-ce que parce qu’on en a vendu une tonne. Parce qu’elle annonce les premiers balbutiements de cette musique dite «progressive» dont les Anglais seront les champions durant quinze ans ou parce que sa structure mélodique évolutive évoque la musique classique, comme ses boucles sonores évoquent Ligetti, et ses constantes références au folklore anglais: Vaughn Williams. N’exagérons pas non plus. Oldfield est un grand guitariste, mais Tubular Bells, tout amateur vous le dira, n’est même pas ce qu’il fit de mieux.

S’il ne brille pas par sa présentation, ce petit téflon doré, remixé pour la première fois à partir de la bande usée à la corde par 2 000 doublages et des centaines d’épissures faites à la bonne vieille lame de rasoir, une fois filtré et débarrassé de sa statique, révélera peut-être quelque chose de neuf. Les machines chauffent. Le disque est lancé sur le thème de L’Exorciste qu’Oldfield a eu le mauvais goût de reprendre en 1996 sur un horrible Tubular Bells II. Après des débuts parfaitement similaires, lorsque le seize pistes original est saturé de sons, ce pressage offre effectivement plus de grain dans les cordes, des percussions plus claires, des basses moins traînantes et un registre dynamique plus large. Pas de quoi fouetter un chat… Deuxième mouvement, on entend Oldfield respirer à travers le micro de ses instruments acoustiques… Les sonorités très floues de guitare et de mandoline qui suivent l’insupportable chant morbide et précèdent la petite danse anglaise ironique sont, durant six minutes, d’une justesse inoubliable. On s’est, paraît-il, particulièrement appliqué sur ce beau passage initialement détérioré. Pour le reste, rien de neuf. Pas de seconde harmonique révélée, ou de nouvelles subtilités sonores issues de cet enregistrement. Pas une note singulière. Nous sommes loin des révélations provoquées, par exemple, par la réédition du Kind of blue de Miles Davis ou des remixages de Presley. Que les amateurs se rassurent il n’y a pas plus de raisons fondamentales de jeter sa petite galette à 10.99 $ que d’acheter cette édition dite «limitée» dont on ignore jusqu’au tirage. Que cette commémoration empeste le coup de fric n’a rien d’étonnant, mais à ce point-là c’en est presque gênant.

Tubular Bells
Mike Oldfield
(Virgin)