Passi : Le nouvel observateur
Musique

Passi : Le nouvel observateur

Il est de ces situations où il ne reste qu’une solution: s’étonner. Souvenez-vous de la bande sonore de La Haine, il y a quelques années. Une des chansons les plus marquantes de cette compilation exemplaire du rap hexagonal était certainement Sacrifice de poulets de Ministère Amer. Une chanson hargneuse, lourde, qui marchait dans les pas des plus durs textes d’Ice-T, Public Enemy ou des gangstas de la Côte-Ouest américaine.

Depuis ce temps, qu’est-il advenu du Ministère? On a vu Doc Gynéco, un proche du gang, s’assumer comme vedette pop, posant avec des pin up, rappant avec Les Rita Mitsouko, et son premier album s’écoulant à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en France. On a vu Stomy Bugsy chanter chez Michel Drucker que Son père est un gangster, et faire le pitre de service lors des dernières Victoires de la musique. Reste Passi, dont le premier album solo, intitulé Les Tentations, a réussi à rallier tout le monde: les touristes qui craquent sur le single Je zappe et je mate; les fans de hip-hop qui s’identifient à son histoire de 79 à 97, qui espèrent ne jamais vivre Le maton me guette, qui écoutent Les Tentations aussi quand Il fait chaud.
«Il fallait que je me différencie de Ministère Amer, bien entendu, pour ce premier album solo, mais il y a l’âge. Je n’ai plus l’âge que j’avais à l’époque du Ministère. On veut, Stomy et moi, chaque fois, proposer un nouveau son. Cela dit, dès que je peux crier Ministère Amer sur scène, je le fais sans hésiter une seule seconde, c’est clair et net. Avec Ministère, on se donne des causes à défendre. Lorsque je suis en solo, je veux me relâcher: je parle de ma famille, de certains de mes potes, etc.»

Il faut dire que, dans le genre, Les Tentations est un véritable modèle d’équilibre. Assez de jeux de mots pour satisfaire l’amateur de Solaar (on retrouve d’ailleurs, dans Tu me manques, un personnage légendaire de l’ouvre de Solaar: Armand); des beats assez lourds pour satisfaire le fan d’IAM (le leader Akhenaton a d’ailleurs composé cinq morceaux des Tentations: «La grande classe, tranquille, professionnel, bien, franc, mûr, etc.»); une crédibilité assez forte pour satisfaire l’amateur d’Assassin; des chansons assez fun pour satisfaire l’amateur de Dubmatique (Passi jouera en première partie de Dubmatique au Métropolis, puis les rôles seront inversés lors de la tournée estivale européenne). Si, en 1998, il fallait choisir un album pour représenter les tendances du jour, s’il fallait un compact pour résumer le hip-hop francophone actuel, un seul nom viendrait en tête: Les Tentations de Passi.

L’habit ne fait pas le moine
Album rassembleur, Les Tentations n’est pas non plus qu’un bête condensé complètement désincarné des tendances contemporaines. Au contraire. Les Tentations est aussi un album personnel, attachant, où Passi se livre sans pudeur, laissant son flot guider ses mots, laissant l’eau glisser sur son dos. Sur Les Tentations, Passi ne nous cache rien. Il sait tomber dans des situations très graves (Le maton me guette, une histoire de prison; Tu me manques, où il parle à ses morts) pour mieux remonter vers des trucs tellement légers qu’on a du mal à ne pas s’envoler (Le Keur sambo, Il fait chaud). «Il y a une phrase sur mon disque qui dit: "Je suis à l’aise sur belles mélodies ou quand le rythme pousse un cri.> C’est ce que je voulais faire. Je suis contre les étiquettes. Pour moi, Je zappe et je mate est une petite prouesse artistique, un jeu d’écriture. Je peux donc aussi bien parler de problèmes comme dans Les Flammes du mal, qui était sur la bande sonore de Ma 6-té va cracker (qui sera projeté pour la première et peut-être la dernière fois à Montréal, au cinéma Impérial, le 24 juin) que m’éclater artistiquement sur un morceau comme Je zappe.»

«Quand je fais un rap pour faire réfléchir les gens, j’aime bien que les gens réfléchissent. Quand je fais un rap pour faire danser, je veux que les gens dansent. Quand je fais un rap pour les faire pleurer, je veux qu’ils pleurent.» Pour ce faire, Passi raconte son histoire, ses histoires, des histoires. Pas de raps revendicateurs, pas de slogans hurlés sans arrêt. «Moi, je ne donne que du naturel. Je n’essaie pas de copier personne. Certains rappeurs croient qu’il suffit d’enfiler un survêtement pour être un rappeur. Moi, je n’ai pas d’uniforme. Tu peux me voir en costard-cravate ou en survêtement blanc avec les baskets et tout. Ce qui importe, pour moi, ce n’est pas la panoplie, les grands pantalons ou les dents en or. Ce qui compte, c’est ce que tu as dans ta tête, ce que tu dégages dans tes morceaux, ce dont tu parles. Le rap est une musique sur laquelle tu peux t’éclater, tu peux danser. Mais c’est aussi une musique à messages, et il y a des choses dont tu te dois de parler.»

Cela dit, Passi refuse complètement de jouer au moralisateur, refuse de donner des leçons. «On me demande souvent comment régler certains problèmes de la banlieue. Tout de suite, je réponds que ce n’est pas mon boulot. Moi, je vous dis comment ça se passe, je vous dis ce que je vis. Je ne suis pas le leader de telle opinion. Je décris la situation et je dis pourquoi je la décris ainsi. Le premier album de Ministère Amer était intitulé Pourquoi tant de haine?. C’est une question que l’on se posait et que l’on adressait à tout le monde. On ne peut non plus ressasser sans arrêt les problèmes que l’on a vécus, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient et qui l’on est.»

Lorsque j’ai joint Passi à Paris, il amorçait les répétitions en vue de sa première grande tournée. Nerveux, il l’était certainement. Mais excité aussi. «Ce qui est bien, c’est que je vais découvrir mon public, raconte le rappeur. On ne cherche pas à donner que ce qu’il y a sur l’album. J’essaie de donner un peu plus, puisque les gens qui viennent me voir connaissent déjà l’album.»

Cette nervosité ne l’empêche cependant pas d’être cool, relaxe. On a connu son débit sur Les Tentations; au téléphone, il est très semblable. On sent que ça doit en prendre beaucoup au rappeur avant de monter sur ses grands chevaux. Par exemple, lorsque je lui mentionne qu’avec le succès qu’a connu son album, il doit quand même ressentir un peu de pression, il avoue que «oui, mais tout ça doit aussi se faire dans le fun. Il faut s’éclater. Il faut oublier la pression, il faut donner ce qu’on a à donner aux gens qui viennent nous voir, parce qu’eux, la pression, ils s’en foutent complètement. Ils viennent nous voir sur scène. Il faut se dire que ce n’est pas grave, la pression. On y va pour le public. Et ça, c’est important.»

Le 19 juin à 21 h
Avec Dubmatique
Au Métropolis

Le 21 juin à 23 h
Avec Sans Pression
Au Spectrum
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