

Prise de son : Le lancer du disque
Laurent Saulnier
Normalement, je ne vais pas dans les lancements de disques. Je n’ai rien à y faire. Pour moi, aller dans un lancement pour embrasser sur ses deux joues une relationniste n’est pas le fin du fin en matière de divertissement. Pour moi, aller dans un lancement pour serrer des mains n’est pas la plus grande jouissance au monde. Et je ne me suis jamais fait photographier avec l’artiste qui venait de lancer son album. Pas ma tasse de thé.
La semaine dernière, j’ai cependant fait une exception à ma règle. Je suis allé au lancement de Grand Parleur petit faiseur, le très attendu deuxième album du Gaspésien Kevin Parent.
J’y suis allé parce que j’aime bien Kevin. Mais aussi parce que je savais qu’il ferait une courte prestation. Qui s’est extrêmement bien déroulée. Tout au long de l’enregistrement, de la confection de Grand Parleur, jamais Kevin ne m’est apparu aussi heureux que lorsqu’il a chanté ses quatre ou cinq chansons au lancement. Surtout que la mise en place (sur le belvédère, en face du chalet du Mont-Royal), avec la scène qui surplombait la ville, était très réussie.
Il fallait voir son grand sourire, ses coups d’oil complices au bassiste Mario Légaré pendant que celui-ci exécutait son solo dans la chanson Psychologue, ses grimaces de bonheur adressées à son guitariste Jean-Claude Marsan, un des Ti-mononks de Plume. Il fallait entendre la nouvelle aisance avec laquelle il s’adressait au public entre les chansons.
Grand Parleur petit faiseur finalement paru, Kevin Parent semble avoir laissé ses démons derrière lui. Il est de retour sur scène, son habitat naturel, un de ses plus grands plaisirs dans la vie. Même si, lors du lancement, il ne jouait que pour les médias, il l’a fait avec une joie bien sentie. Et c’est probablement ce qui faisait le plus plaisir à voir. Plus que la parution de son deuxième album, c’est de voir que Kevin réussit encore à être heureux lorsqu’il monte sur les planches.
Ce qui augure extrêmement bien pour sa Carte blanche des FrancoFolies, programmée le 19 juin, à la salle Wilfrid-Pelletier.
Grand Parleur petit faiseur était la semaine dernière – et est encore cette semaine – le talk of the town dans l’industrie musicale québécoise. Impossible de décrocher le téléphone sans qu’on me demande ce que j’en pense. Impossible de croiser quelqu’un sans que cette question revienne sans arrêt. La dernière fois qu’un disque québécois a été un événement à ce point, c’était, je crois, lors de la parution du Dôme de Jean Leloup.
Si Grand Parleur est un réel événement, c’est d’abord parce qu’il fait suite à Pigeon d’argile, écoulé à plus de trois cents vingt cinq mille exemplaires. Mais surtout parce que Kevin Parent a une tête de cochon, et dit tout haut ce que bien des gens pensent tout bas. Kevin Parent n’est surtout pas politically correct. Lorsqu’il a une crotte sur le cour, comptez sur lui pour le dire. Ça donne des entrevues juteuses, ça donne des entrevues bizarres où on ne sait plus ce que l’on doit écrire et ce qui doit rester entre nous.
Dans le petit monde de la musique au Québec, Kevin est souvent regardé un peu de travers, comme un insecte étrange, qu’on ne sait trop comment prendre. Doit-on lui pincer les ailes pour le retenir ou, au contraire, le laisser complètement aller? Doit-on lui ouvrir les pattes pour regarder comment il est fait, ou n’est-ce pas mieux de l’ignorer, se réservant ainsi continuellement des surprises?
Kevin n’apporte pas de solutions. Il suscite les questions.
Dernière chose sur Kevin Parent. Malgré son succès exceptionnel, il possède – comme me disait Martin – un atout essentiel dans son métier d’auteur-compositeur-interprète: on relate avec lui. Même si ses textes sont souvent très personnels, même s’il parle souvent de ses bébittes à lui, on ne peut faire autrement que d’y voir nos bébittes à nous aussi. Renier ce fait, c’est renier ses propres problèmes.
Prenez, par exemple, Fréquenter l’oubli, le premier extrait de Grand Parleur petit faiseur. Qui ne s’est jamais trouvé dans cette situation? Qui ne s’est jamais dit: «Il y a plein de choses que je pourrais faire pour chasser l’ennui / Au lieu de boire tous les soirs en regardant passer ma vie»?
Cette force d’identification, elle est rare. Sans vouloir déplaire à qui que ce soit, est-ce que je peux la trouver, moi, chez Vilain Pingouin? RudeLuck? Dubmatique? Laurence Jalbert? Vous, peut-être. Moi, rarement autant que chez Kevin Parent.