

Painkiller : Sport extrême
Nicolas Tittley
De tous les spectacles présentés au Festival de Jazz cette année, celui de Painkiller est sans aucun doute le plus extrême. Une soirée en compagnie de ce trio d’improvisateurs bruitistes, formé du saxophoniste John Zorn, du batteur Mick Harris et du légendaire bassiste Bill Laswell, devrait être classée dans la catégorie du bungee attaché aux dents, du vélo de descente naturiste ou de la chasse à l’ours à mains nues. «C’est certainement le projet le plus extrême auquel j’aie participé, mais il s’agit pour moi de l’aboutissement d’une progression naturelleª, explique Laswell. Au début des années 80, j’ai travaillé avec Fred Frith au sein d’un groupe qui s’appelait Massacre, l’un des premiers groupes à avoir utilisé l’improvisation électrique. Plus tard, j’ai joué avec Last Exit, certainement l’un des groupes de noise les plus bruyants de son époque.» Au même moment, Zorn formait Naked City et le mouvement grindcore émergeait, avec à sa tête Napalm Death, le groupe de Mick Harris. ª
La rencontre entre un membre influent de l’avant garde new-yorkaise (Zorn), un musicien et réalisateur fasciné par le dub et le hip-hop (Laswell) et un avatar des musiques métalliques nihilistes (Harris) n’est donc pas si étonnante. Chacun de leur côté, ces trois musiciens ont exploré la frontière qui sépare la musique du bruit absolu, prenant d’énormes libertés par rapport aux conceptions traditionnelles de la musique. «Je crois que les groupes de Mick Harris, que ce soit Napalm Death ou Scorn, étaient à des années-lumière du métal traditionnel qui s’appuie sur des racines blues-rock. C’est un artiste conceptuel qui a exploré des facettes du rythme qui sont plus près de la musique ambiante et du hip hop instrumental que du métal.» ª
Painkiller n’est que l’un des nombreux projets auxquels participent les trois musiciens; aussi ses apparitions sont-elles rares. Le groupe a tout de même réussi à enregistrer trois albums (Guts of a Virgin, Buried Secrets et le double Execution Ground, ainsi qu’un live enregistré au Japon, en compagnie d’invités comme Yamatsuka Eye et Keiji Haino). Tzadik Records, l’étiquette de John Zorn, vient d’ailleurs de rééditer tous ces enregistrements en un seul coffret, immortalisant ainsi des heures de musiques aussi agressives que spontanées. «Je n’ai pas écouté le coffret, car pour moi, Painkiller est quelque chose qui se vit en direct, mais je peux dire qu’en général, je suis satisfait de ce qu’on a mis sur disque , explique Laswell. Pour moi, ce sont ces instants de spontanéité pure qui devraient être archivés sur disques et non la répétition bête de motifs connus.»ª
Si les ouvres de Painkiller reposent essentiellement sur l’improvisation et la recherche du bruit absolu, le groupe a néanmoins développé et affiné son langage au fil des ans. Des salves ultra rapides de Guts of a Virgin aux lentes et longues constructions teintées de dub et d’échantillonnages d’Execution Ground, le groupe poursuit sa quête d’émotions fortes à travers le bruit. «Je ne sais pas encore quel genre de spectacle on va donner, car on n’a jamais vraiment intellectualisé notre démarche, lance Laswell. Tout ce que je peux dire, c’est que nous aurons un invité spécial, un jeune D.J. de chez vous qui s’appelle A-Trak, qui risque d’apporter une couleur différente. Le reste dépend beaucoup de la réaction du public et de l’ambiance lors du concert.»
ªCertains puristes pourront être offusqués de la présence d’un groupe aussi agressif que Painkiller au Festival de Jazz, surtout dans une série aussi prestigieuse que celle des Grands Concerts. Mais les organisateurs du Festival (qui discutent actuellement avec Laswell d’un projet spécial pour leur édition de fin du millénaire) viennent de faire un beau coup, en intégrant un élément vraiment subversif à un événement qui pourrait sombrer dans l’académisme. «Je crois que la présence de Painkiller est très saine pour un Festival comme celui de Montréal. C’est une sorte d’hygiène positive: même si lors de nos concerts, la moitié de la salle s’enfuit en courant, l’autre moitié est complètement enthousiaste.» Peu importe ce qu’on peut penser de la musique, Painkiller force les gens à réévaluer leur rapport à la musique et à créer un dialogue.
Le 8 juillet à 18 h
Au Théâtre Maisonneuve
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