

Taraf de Haïdouks : Jeu de lautari
Lelièvre Denys
Comme avec la musique celtique l’an dernier, le Festival d’été de Québec offre cette année un créneau très intéressant avec la «route des gitans». Nous pourrons entendre, entre autres, Thierry Robin-Gitans (France), le Kocani Orkestar (Macédoine) et le Taraf de Haïdouks (Roumanie). Qu’est-ce qui nous fascine tant dans cette musique? L’énergie sans doute, mais aussi ce mélange de joie et de nostalgie, ce sens de la fête, cette connaissance de la route.
Si vous avez vu le film Latcho Drom, alors vous connaissez le Taraf de Haïdouks. Le groupe vient du petit village roumain de Clejani, bourg de Valachie, situé à quarante kilomètres de Bucarest. Douze musiciens âgés entre 18 et 74 ans mélangent de vieilles chansons d’amour avec des arrangements plus modernes de ballades médiévales, de mélodies tsiganes et de danses folkloriques des Balkans. Nicolas Neacsu et Ion Manole (voix et violon) sont les patriarches du Taraf et en assument la direction. Ils proviennent tous deux de familles «lautari», musiciens chargés de garder la tradition, même s’ils n’hésitent pas à actualiser le contenu des ballades. La Ballade du Conductator retrace ainsi l’hiver de la Révolution roumaine. Dans Latcho Drom, Neacsu interprète la chanson en regardant la chute de Ceaucescu à la télévision.
La journaliste Éliane Azoulay, qui vient de faire paraître un livre intitulé Musiques du monde, cerne bien la différence entre les membres plus âgés et les plus jeunes de la troupe: «Comme les autres jeunes, ils ont un certain goût pour les thèmes véloces et syncopés menés par le cymbalum, sorte de cithare à cordes d’acier frappées par de petits maillets. Alors que leurs pères cultivent la spontanéité, eux fignolent les arrangements à coups d’influences glanées un peu partout: ici un brin de mélodie indienne entendue dans un feuilleton télé, là un soupçon de lambada récupéré à la radio…» C’est ainsi que nous pouvons entendre Marius, fils de Manole, sur Sînt Jenat de Stephan Eicher. Ionitsa, neveu de Manole, est amateur de flamenco et de jazz.
Sur le nouvel album, Dumbala Dumba, le Taraf de Haïdouks a invité des musiciens de villages avoisinants. D’abord, les «lautari» du village de Mîrsa avec leur style vocal caractéristique. Ils improvisent selon le modèle appel-réponse autour d’un canevas de départ. Ensuite, Napoléon et ses amis, qui appartiennent aux groupes les plus démunis: les «ursari», rattachés à l’ancienne fraternité des dompteurs d’ours. Puis, Viorica Rudareasa, chanteuse exceptionnelle, la première à se joindre au groupe. Enfin, Rosioru, le maître des crooners de Valachie.
L’album offre des pièces instrumentales dont les solistes se révèlent de grands virtuoses, notamment Caliu (violon) et Costica (accordéon). Viorica chante la ballade Mesteru Manole. Elle retient les grandes lignes de l’histoire, mais donne à la chanson une dimension plus rythmique. La légende de Mason Manole concerne le sacrifice d’une femme en rapport avec la construction d’un bâtiment public. Padure, verde, Padure est une chanson d’amour chantée par Mitica Cacurica. Les paroles sont en roumain, mais il chante la chanson avec le rythme et le feeling tsigane. Dans Catar O Birto Mai Opre, Napoléon donne un bel exemple de ces lamentations entrecoupées par des passages narratifs, et accompagnées surtout par la percussion.
Le 30 mai dernier, l’un des plus célèbres quatuors à cordes de musique contemporaine, le Kronos Quartet, jouait au Royal Festival Hall de Londres avec Taraf de Haïdouks. A nous maintenant d’accueillir le groupe!
Le 14 juillet
A Place d’Youville