

Richard Desjardins : Les racines du cour
François Tremblay
Photo : Les Impresarii
Boom Boom, comme le bruit qui nous réveille en pleine nuit, comme un signal qui sort le lunatique de sa torpeur. Une onomatopée pour les battements paisibles du cour, ou pour ses sautes d’humeur. Boom Boom, c’est aussi le bruit des bombes, c’est aussi la chanson-titre du nouvel album de Richard Desjardins, son premier depuis presque neuf ans.
Desjardins est un gars de band qui tâte du cinéma et qui, en 1990, devient l’un de nos plus grands poètes, un de ces chansonniers qui vous retournent l’âme comme l’avaient fait les Leclerc et Vigneault avant lui. Ce coup de cour provoqué par la chanson-titre de l’album Tu m’aimes-tu? s’est rapidement étendu à travers toute la francophonie. C’est dire que la suite était attendue. Mais le chanteur n’est pas du genre à laisser des projets en plan. D’abord, il ressort Les Derniers Humains, un album fabuleux enregistré précédemment qui n’avait connu qu’une distribution limitée. Puis, il prend la route avec son piano, sa guitare et une vingtaine de chansons. Il donne ensuite au public un témoignage de cette équipée en lançant l’album Richard Desjardins au Club Soda. «Mais encore…», se disaient les fans. Oh! ils en auront, des nouvelles chansons de Desjardins, seulement il les fera avec son groupe, les gars d’Abbittibbi, à qui il avait jadis promis de remettre ça quand le vent serait favorable. Et le revoilà au sein d’un groupe. Abbittibbi nous donnera Chaude était la nuit, une longue tournée et un souvenir en forme d’album concert (Abbittibbi Live), qui sortira en 1996.
Le coup du destin
Ne restait plus qu’à attendre le retour du Desjardins tel que nous l’avions découvert, cavalier solitaire traversant sur son piano sauvage notre paysage chansonnier. Dire qu’on aurait pu l’attendre jusqu’au début du prochain millénaire! C’est qu’il s’était réservé la dernière année pour travailler sur un documentaire intitulé L’Erreur boréale. Un film réalisé avec l’ONF qui devait porter un regard sur les conséquences de la déforestation. «J’étais supposé faire un film sur la forêt et les choses ont tourné au vinaigre une semaine avant le début du tournage.» Le chanteur fait une pause avant de s’asseoir en tailleur dans le fauteuil de cuir sur lequel il siège depuis un long moment. Bouffée de clope avant d’enchaîner: «Il était écrit sur le contrat de réalisation qu’en cas de litige ou de divergence entre le producteur et le réalisateur, c’était l’opinion du producteur qui prévalait. Moi, je leur rappelle qu’on m’a invité pour que je donne mon opinion sur le sujet et on me répond qu’il n’y aura pas de problème. J’ai dit: "C’est correct, s’il n’y a pas de problème, je n’ai pas d’affaire à signer. Si le texte est factice, pourquoi ma signature serait réelle?" Je savais que ceux qui me disaient qu’il n’y aurait pas de problème étaient sincères, mais je savais aussi qu’ils avaient des boss et qu’on s’attaquait à un sujet épineux bourré d’enjeux économiques et politiques. L’industrie du bois, c’est une business de dix milliards, c’est plus gros que l’électricité.» Le chanteur se contentera d’ajouter que le film fut malgré tout complété en août dernier et ne s’étendra pas davantage sur la manière dont les imbroglios se sont résolus. En revanche, il décrira la suite de ses aventures. «Je ne savais pas trop si je faisais une bonne affaire, mais mes chums cinéastes m’ont tous dit qu’ils avaient signé ce contrat-là. J’avais peur de passer pour une prima donna dans le milieu, mais bon… Bref, je me suis retrouvé avec une année complète devant moi. Au bout de deux jours, je commençais à tourner en rond, alors j’ai décidé de faire un album. J’avais des pinottes pour vivre raisonnablement pendant un an alors j’ai décidé de refaire mes classes et de réviser ma technique. Les gars d’Abbittibbi m’avaient fait le message: "T’es ben bon solo, mais comme musicien d’orchestre, t’en as encore à apprendre." Ils m’ont dit que je pourrais être moins niaiseux à la guitare pis ça ne nuirait à personne.» On remarque, dès la première chanson, le travail accompli par la complexité des arpèges de Señorita.
«La musique est moins slack, poursuit Desjardins, et j’ai aussi développé mon jeu de piano, j’ai commencé à être capable d’ajouter des voix à l’instrument. Les idées sont plus développées aussi parce que j’avais juste ça à faire, poursuit-il en riant. J’ai eu aussi plus de temps pour écrire. Dans ce métier-là, si t’arrives à travailler deux heures par jour, c’est beau; parce que t’es souvent obligé de faire le smatte ici et là. Faut dire aussi que je suis allé en Abitibi dans le chalet de mon père, qui est devenu le mien, et là t’as vraiment pas autre chose à faire…»
Discours et méthode
L’album en question ne s’aborde pas aussi aisément que Tu m’aimes-tu?; il est comme son auteur, exigeant, mais terriblement gratifiant pour peu qu’on s’imprègne des mélodies et des textes aux images tantôt violentes, tantôt caressantes. «Je me suis rendu compte d’une chose: quand t’écris, tu sais pas où tu t’en vas», dira l’auteur au sujet de ses textes. Une des preuves tangibles étant le texte écrit par correspondance avec son complice Michel X Côté: «Je lui ai fait entendre la musique de La maison est ouverte et je lui ai dit ce que je voulais, que c’était une cavalcade et que je voudrais ouvrir le show avec. Plus tard, il m’a faxé ce qui est devenu le dernier couplet: Les femmes corsaires ont mis le feu aux galères de la nuit/l’armateur aux enfers, le capitaine au fer. Je trouvais que c’était dans le ton: mettons nos bottes de pirate et plongeons. Bref, on a monté le texte en cinq ou six échanges.»
Le moment était venu de demander s’il existait une ou plusieurs méthodes Desjardins. De demander s’il considérait que certaines chansons seraient mieux habillées de guitares ou d’envolées pianistiques. «C’est rare que le texte vient avant la musique. Sur Boom Boom, il y a le poème de Patrice Desbiens, La Caissière populaire, qui est arrivé avant, et il avait juste besoin d’une petite descente de lit, l’affaire de quelques heures. Sinon, il y a des textes comme Charcoal qui sont construits à partir d’un paquet de bouts de phrases que tu ramasses au fil des ans. Là, tu t’installes pis tu te prépares un Roulette russe, t’enchaînes avec un Pearl Harbor pis tu te mets à écrire.» Soudain, le chanteur éclate de rire et annonce: «J’ai vu dans un petit bar de Chapais un drink qui s’appelait Gaz d’avion. J’ai jamais osé demandé ce qu’il y avait dedans.» Charcoal, le texte-collage en question, est une sorte de litanie apocalyptique explosant au visage du nouveau millénaire. Et, toujours dans le rayon brûlots, ce texte de Desbiens (La Caissière populaire), déjà mentionné, une charge en règle contre le système et la bureaucratie; l’âge de la machine assassinée. Il y a aussi l’amour et ses déchirures, comme dans Söreen, et l’amour révélation comme dans L’Effet Lisa. Quand on lui demande si, au fond, il ne célèbre pas toujours le même objet d’amour, Desjardins se contente de hausser les épaules en souriant. Peut-être que oui, peut-être que non, la plume et les élans du cour ne se contrôlent pas. Et nous savons qu’il le sait.
Boom Boom
Richard Desjardins
(Foukinic/BMG)