Amon Tobin : Couper-coller
Musique

Amon Tobin : Couper-coller

Plusieurs considèrent Amon Tobin, un des joyaux de l’étiquette Ninja Tune, comme un visionnaire de l’ère de l’échantillonnage. En deux albums, il a repoussé les limites de cette technique pour donner naissance à une ouvre dense, qui fourmille de trouvailles sonores, et qui plaît autant aux amateurs de jazz innovateur qu’aux fanas d’électronique expérimental.

Bricolage et Permutation: deux titres d’albums (le premier sorti en 1997, le second, au printemps dernier) qui laissent supposer une démarche en constante évolution. Le jeune producteur-D.J.-musicien de vingt-six ans confirme cette observation, à l’autre bout du fil, de sa chambre d’hôtel de Vancouver où il accompagne ses collègues Mixmaster Morris (The Irresistible Force) et Jonah Sharp (Spacetime Continuum) dans la nouvelle tournée Ninja Tune, qui passera par Montréal (à la toute petite salle Isart) pour une soirée déjà à guichets fermés, le 2 octobre: «Je vois chacun de mes nouveaux projets comme une évolution par rapport au précédent. C’est un processus d’apprentissage constant; lorsque je travaille sur des morceaux, il y a parfois des sons ou des idées qui émergent et je peux m’en servir pour d’autres productions. Je ne fais que suivre la direction que mon travail m’impose.»

«Bricolage était construit autour des rythmes et des percussions, et aussi la recherche d’un spectre sonore varié, explique un Amon Tobin posé et sympathique, alors que Permutation est résolument axé sur les échantillonnages de batterie. Mon travail de production est très minutieux, parfois mes échantillonnages sont très courts, avec beaucoup de programmation pour en changer la nature. Je ne peux évidemment pas prendre le crédit pour les sons que j’échantillonne, mais plutôt pour la façon dont je les manipule. Et je crois que la manipulation des sons, acoustiques ou électroniques, est la base de la créativité.»

Il y a longtemps que le bricoleur sonore d’origine brésilienne, maintenant installé à Londres, manipule les sons. Son premier sampler, il l’a eu à dix-sept ans. Une machine rudimentaire qui ne lui permettait d’échantillonner que deux secondes de matériel à la fois… «J’étais complètement fasciné par le fait de pouvoir enregistrer immédiatement un son et de le transformer pour obtenir une texture différente, se rappelle Tobin. Ensuite j’ai eu un échantillonneur plus puissant; imagine, je pouvais numériser huit séquences à la fois… C’était très laborieux, mais le processus de création m’amenait à faire des erreurs et m’obligeait à les résoudre; j’ai donc progressé très rapidement. J’ai fait tout mon premier album (sous le nom de Cujo) avec cet appareil rudimentaire. Et quand la technologie m’a permis de faire plus facilement ce que je voulais, ce fut très excitant.»
Malgré des outils de plus en plus évolués, Tobin laisse une place de choix au hasard, bien qu’une forte impression de rigueur ressorte de ses compositions: «En général, avant même de sélectionner mes échantillonnages, j’ai une idée assez précise des pièces que je compose. Évidemment, il est a peu près impossible de trouver exactement les sons pour représenter les mélodies que j’ai en tête. Alors je pige à gauche et à droite et je me retrouve parfois avec la bonne sonorité, mais collée à d’autres sons auxquel je n’avais pas pensé. Et je vois ça comme un réel avantage car ça me pousse à transformer ces "parasites" de façon à ce qu’ils aient un impact positif sur la pièce. L’idée, c’est d’être capable de s’adapter aux situations inattendues; ça permet d’avancer.»

Avant l’entrevue, la relationniste de presse m’avait bien averti: «Et surtout, pas de questions sur l’influence musicale de ses origines ethniques. Il est pus capable…» C’est qu’à peu près tous les journalistes ont laissé entendre que les rythmes latins que l’on retrouve sur ses disques étaient le fruit de son enfance sud-américaine et de ses multiples voyages. Mais essayez d’empêcher un journaliste de poser une question et il trouvera le moyen de le faire quand même… «Je suis effectivement un peu tanné… Le fait que j’utilise des rythmes latins, explique Tobin, n’a rien à voir avec mes origines ethniques ou mes voyages, comme bien des journalistes voudraient le laisser croire. C’est simplement que je trouve les sonorités latines très puissantes et je crois qu’on devrait les utiliser davantage. Même si je venais de Suède, j’utiliserais des rythmes latins…» Voilà qui est clair…

Si vous êtes parmi les mécontents qui n’ont pu se procurer de billets, consolez-vous, selon Ninja Tune Montréal, Tobin devrait être de retour derrière ses platines d’ici quelques mois.

Le 2 octobre
A Isart
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The Irresistible Force
It’s Tomorrow Already (Ninja Tune/Outside)
Imaginez l’état dans lequel vous êtes au petit matin, lorsque les forces opposées et irrésistibles du sommeil et de l’éveil cherchent à vous contrôler. L’ambient techno de Mixmaster Morris (l’homme derrière le pseudonyme The Irresistible Force) arrive à recréer parfaitement cet état mystérieux de chimère et d’appel timide à l’action, grâce à des échantillonnages agréablement flous et sensuels, une rythmique dub flottante et quelques voix sorties des limbes. Même si It’s Tomorrow Already est le premier disque de MMM pour Ninja Tune, le bonhomme est là depuis un bail, avec deux autres albums derrière lui (Flying High et Global Chillage), et il n’est pas surprenant de voir des virtuoses comme DJ Food, Fila Brazillia et Amon Tobin collaborer au maxi des remix de la pièce Nepalese Bliss, également disponible. Une caresse de soixante minutes. Le 2 octobre, à Isart.
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