

France D’Amour : Le silence est d’art
Louise Dugas
Photo : Jean-François Bérubé
Avec son troisième album, la chanteuse amorce un virage qui en a étonné plus d’un. La suite, sur scène, cette semaine.
Il y a sur Le Silence des roses, le dernier album de France D’Amour, un cinquième de seconde de silence – oh, peut-être un dixième -, qui jaillit au milieu des guitares de Si j’ai tort, un rock gonflé à bloc, et qui résume à lui seul ce que l’artiste a traversé depuis Déchaînée (1994): les amours qu’elle a perdues, l’estime de soi qu’elle a gagnée, et la femme qu’elle est devenue: «J’ai encore peur de ce que je suis / A part ça… (silence) de personne…»
«Ben, c’est beau que t’accroches à cette phrase-là, m’a dit la belle France, après que nous nous soyons attablées dans un resto mexicain, parce que je crois vraiment que la seule personne qu’il faille craindre, c’est soi-même. Si quelqu’un entrait ici et me disait que je suis la pire chanteuse du monde, ou si toi, tu me répétais ce que t’as écrit dans ta critique, que ma voix est insupportable dans les aigus (en haussant le ton): ça n’aurait aucun effet sur moi. Mais si je me mettais à douter et à me dire: "Elle a peut-être raison", ben là, j’serais faite…»
«Les aigus»… Je l’imaginais tapant du pied depuis des semaines et attendant le moment propice pour me les flanquer à la figure. Devant tant de témérité, j’ai dû admettre que le mot «insupportable» n’était pas fin fin et que, des fois, on ne se regarde pas écrire, mais qu’en ce qui avait trait aux hautes fréquences, là, je n’y pouvais rien. «Ton disque, par exemple, je l’ai aimé, France, et je l’ai écrit. J’ai même dit qu’il m’avait touchée.»
Fiou, elle s’en souvenait.
Aussi bien le redire, Le Silence des roses est un disque de rock mature, audacieux, opulent, l’une des plus belles surprises de l’année. C’est Steven Drake, guitariste du groupe The Odds et époux de la Montréalaise Kim Bingham (Me Mom and Morgentaler), qui l’a réalisé. La décision de s’adjoindre ses services n’a toutefois pas été facile à prendre, selon France. «J’avais fait confiance à plein de gens pour mes deux premiers albums, et j’étais pognée avec ça. Je me disais qu’ils allaient sans doute être fâchés si je ne les reprenais pas sur mon troisième. Y en a d’ailleurs qui me font la baboune. J’avais écouté une dizaine de disques pour dénicher un réalisateur, et j’aimais celui des Odds, à cause des mélodies à la Beatles et du son, semblable à celui de Radiohead. J’ai appelé Steven, et on a cliqué tout de suite. Sauf que le disque a coûté une beurrée! Ce gars-là vient de Los Angeles, et il est en train de réaliser le prochain Marcy Playground; c’est pas le genre à abaisser ses critères parce qu’il est au Québec. Heureusement que Kevin (Parent, qui est aussi chez Tacca Musique) vend beaucoup d’albums, parce que je sentirais de la pression…»
Steven Drake, qui a déjà travaillé avec les Tragically Hip, a donné tant de liberté à la chanteuse que celle-ci a fini par coréaliser l’album. «Je voulais de l’accordéon et des trompettes, ben j’en mettais, même si je savais que ça n’allait pas jouer à la radio, même si ça ne faisait pas "France D’amour". Steve était ouvert à tout, parce qu’il n’avait pas de préjugés à mon égard.»
Son prochain album, je ne serais pas surprise qu’elle le réalise en entier, comme Sheryl Crow. En nomination dans trois catégories (interprète féminine, auteur-compositeur et album rock de l’année) au prochain Gala de l’ADISQ, l’artiste n’a pas fini d’ouvrir sa boîte à malice. En une heure et demie, elle m’a parlé de poésie, de Billie Holiday, qu’elle découvre, de Lou Rawls, qu’elle adore, de Rickie Lee Jones, qu’elle vénère, du chanteur jazz Louis Jordan, de Picasso et de Modigliani. Et ce n’était pas pour m’impressionner. «Je ne renie pas l’étiquette de rockeuse, mais je ne suis pas juste ça.» France est aussi une auteure-compositrice. Une femme qui croit en la fidélité et en l’honneur. Et une mère qui, la nuit, quand son chum et son fils sont couchés, peint des visages sombres aux yeux cernés. «J’suis sûre que j’ai été peintre dans une autre vie. Ça m’vient plus facilement que d’écrire des chansons…»
Lors de son dernier spectacle aux FrancoFolies, je pouvais déjà mesurer le chemin qu’elle avait parcouru. Elle n’était plus enrobée de cuir, mais vêtue d’une jolie robe noire, en voile. (Elle osait donc se montrer fragile…) Elle ne courait plus d’un bout à l’autre de la scène, comme Pat Benatar, mais tenait son public en haleine, bien plantée devant son micro, entre le guitariste Jason Lang et le batteur Magella Cormier (ceux-ci seront de nouveau sur scène avec elle). «C’est effrayant les gens qui m’ont dit après le show: "J’savais pas que t’étais drôle de même."»
«Chaque personne évolue à son rythme, poursuit-elle. Certaines naissent avec un talent incroyable. Moi, je fais partie de celles qui apprennent tranquillement. A vrai dire, je viens tout juste de commencer.»
Les 15, 16 et 17 octobre
Au Cabaret