

Kevin Parent : Sans détour
Laurent Saulnier
Photo : Benoît Aquin
Il a un physique de bûcheron, mais une âme de psychologue. Méfiant des journalistes, insécure quant à son propre travail, le chanteur gaspésien a bûché fort pour accoucher d’un second disque. Petit parleur, grand faiseur.
Le métier de journaliste culturel est varié. Chacun le fait à sa façon. Tous ont cependant un point commun: lorsqu’on fait de longues entrevues, on cherche souvent la vraie personne derrière l’ouvre. Sans tomber dans le potinage de vitesse ou, pire, le potinage artistique, on tente de trouver ce qui inspire l’artiste, ce qui le fait vibrer, souvent à partir de son travail même. On essaie de faire des liens entre ce que l’artiste vit et ce qu’il écrit, dessine, chante ou joue.
Le cas de Kevin Parent est assez sidérant à ce niveau. Pour plusieurs, c’est un enfant gâté qui ne veut rien savoir de la promotion en général. Si l’on se fie à ce qu’on a lu, Kevin préférerait aller chez le dentiste plutôt que donner une entrevue. Le chanteur gaspésien aurait plus de plaisir pendant un enterrement que pendant une session chez un photographe. Ce qui est, ne nous le cachons pas non plus, partiellement vrai.
Ce qu’on oublie souvent de dire, par contre, c’est que lorsqu’il accepte, il répond vraiment aux questions, si elles sont bonnes. Il ne se cache pas derrière des évidences ni des faux-fuyants. Il répond sans détour, et sa franchise, même si c’est un cliché de le souligner, l’honore vraiment. Peu de chanteurs disent autant que lui ce qu’ils pensent, à part, peut-être, Jean Leloup. «Le problème, c’est que lorsque j’ouvre ma gueule, tout est écrit, tout est immortalisé. Je ne peux pas avoir une conversation avec un journaliste sans que ce que je déclare soit enregistré, puis imprimé. Je comprends que je ne puisse pas avoir de droit de regard sur ce qui est publié, mais ça me fait chier.»
Avec Kevin, on n’a cependant pas bien loin à chercher pour trouver le vrai Kevin derrière le Parent de Grand Parleur Petit Faiseur, son deuxième album déjà écoulé à plus de deux cent mille exemplaires moins de quatre mois après sa parution. Le Kevin Parent que l’on retrouve sur disque est exactement le même que dans la vie de tous les jours. Il suffit d’écouter ses deux albums, et vous avez une bonne, très bonne idée de l’homme qu’il est. «C’est ce que je me dis aussi. Au moins, lorsque j’écris mes chansons, j’ai le temps d’analyser mes textes, mot à mot. J’ai un droit de regard sur mes textes. J’ai le temps d’exprimer ce que j’ai envie que le monde sache, ce que mois j’ai le goût de dire. Oui, je fais de la musique pour évacuer beaucoup d’émotions et de la pression. Il faut que je me décharge de plusieurs incertitudes que mon quotidien ne me permet pas d’évacuer. D’autre part, je dis ce que je pense et certaines personnes vont le capter, et ça va leur faire du bien.»
Kevin Parent est un homme qui cherche. Qui se cherche. Contrairement à la plupart des autres mâles, Kevin Parent est un introspectif. Son travail, il le fait d’abord et avant tout sur lui-même. Sans être égocentrique, il essaie surtout de se comprendre lui-même, et il est le sujet de chacune de ses chansons. Sans être nombriliste, il se considère probablement comme une des grandes énigmes de l’univers. Il désire se découvrir avant de partir à la découverte du reste du monde. Il cherche à se comprendre avant de conquérir le reste de la société. «Ça ne me dérange pas de me mettre à nu sur un album parce que le contexte est là. Il y a un début, un développement, une conclusion. J’ai le temps de voir l’ensemble. Si l’on me juge à partir de ça, c’est pas grave.»
Cette recherche demande, effectivement, un minimum de solitude. Un minimum de respect de soi-même, et que les autres respectent cette intimité. Attention, je ne cherche pas à défendre Kevin, il est assez grand pour le faire lui-même. La seule chose que je dis, c’est qu’à trop se dévoiler, il perd de cette acuité sur lui. A trop en montrer, il va finir par ne plus avoir de sujet…
Si son travail commence d’abord par lui, il n’est cependant pas seul. Kevin Parent, malgré sa réputation de grand sauvage, est un homme civilisé. Son travail, c’est aussi beaucoup lui dans la société. Lui vis-à-vis des autres. Les filles qu’il a fréquentées. Son fils. Ses amis. Son monde de la Gaspésie. Les gens de sa compagnie de disques. Ses «boss». Ses relations d’amitié. Ses chums de gars et de filles. Kevin n’est jamais seul dans son univers. Réécoutez Si seul: «Je me sens si seul pourtant c’est même pas le cas.»
«Lorsque le jour du lancement de Grand Parleur est arrivé, je prenais vraiment conscience de la façon dont j’aurais aimé être encadré et quelle sorte d’encadrement j’avais eus. C’est là que j’ai commencé à pointer les autres du doigt. Dans le fin fond, c’est peut-être parce que j’étais insécure face à mes propres chansons. Je ne me trouvais pas très original. Je trouvais que j’avais des faiblesses dans les textes, dans la musique. Au lieu de l’assumer, moi, comme auteur-compositeur, j’étais porté à blâmer ceux qui m’entouraient. En quelque sorte, c’était une erreur de ma part. Une question d’orgueil. Encore une fois.»
Partout sur ses deux albums (Pigeon d’argile, son premier que tout le monde connaît par cour, s’est écoulé à plus de trois cent quelques mille copies…), il n’est question que de ça: un homme face aux autres humains. Presque contre. De Boomerang à Maudite Jalousie, en passant par Tu pourras dire et Father on the Go, le même sujet, avec des traitements différents, un angle différent, une vision différente. Mais partout le même unique sujet. «Tu sais, c’est peut-être bon de s’analyser, de se critiquer. Mais, à un moment donné, c’est peut-être trop. En bout de ligne, c’est encore et toujours le public qui décide…»
Là-bas
J’ai eu la chance, l’automne dernier, de passer un week-end avec Kevin, chez lui, en Gaspésie. A cette époque, il subissait beaucoup de pression pour que son deuxième album paraisse au plus vite. Le public, lui réclamait, sa maison de disques le pressait, tout le monde aurait aimé avoir un nouveau disque de Kevin à mettre sous le sapin de Noël. Tout le monde, sauf lui. «Toutes les fois que quelqu’un me demandait si l’album s’en venait, je me disais toujours, dans ma tête: "Donne-moi une chance. Je ne suis pas Gainsbourg." Mais il y a beaucoup d’orgueil là-dedans. Tu sais, on s’adapte à tout ce qui nous arrive, mais ça prend le temps. Tout comme ça en prend pour s’en départir. Quand le succès nous arrive, ça prend du temps à s’y ajuster. Quand on s’y ajuste, ça va prendre du temps à s’en départir. Peut-être qu’il y en a qui sont plus brillants que d’autres et qui peuvent s’adapter rapidement. Moi, je suis peut-être en train de faire ce genre de prise de conscience.»
Kevin Parent avait perdu beaucoup de sa confiance. Il avait entre les mains la grande majorité des chansons qui composeront Grand Parleur Petit Faiseur (Sébastien Toupin, qui a conçu la magnifique pochette, était même très avancé dans son travail…), mais il lui manquait un seul petit élément: la certitude qu’il avait entre les mains le meilleur disque possible.
Kevin voulait que je lui donne mon avis sur les textes. C’était la raison officielle. Officieusement, il voulait surtout, je crois, que je le rassure. Nous avons travaillé toute la fin de semaine sur des ajustements, des changements somme toute assez mineurs dans ses textes. Rien de bien grave. Il savait ce qu’il voulait dire, il savait comment il voulait le dire, ne lui restait qu’à aller chercher l’approbation de quelques personnes pour être sûr qu’il était sur le bon chemin.
Il serait cependant faux de croire que Kevin Parent n’a pas de pudeur. Au contraire. Son écriture est toujours dictée par ce sentiment qui l’empêche régulièrement d’aller trop loin. S’il veut se satisfaire avant quiconque, il pense aussi régulièrement à ses amis de Gaspésie. Il fait attention à l’image qu’il va projeter vis-à-vis de ses copains d’enfance. Il ne veut surtout pas qu’ils croient qu’il se prend pour un autre. C’est pour cette raison qu’il a fallu qu’on se batte un peu lorsqu’on a fait notre première page couverture avec lui, il y a trois ans, où on le voyait crucifié. Kevin ne voulait pas: «Qu’est-ce qu’ils vont dire dans mon bout s’ils voient ça?»
Pendant le week-end, nous nous sommes penchés sur la chanson Psychologue. Je lui disais que ce mot était difficile à chanter, qu’il devrait peut-être en employer d’autres. Lui ne voulait pas. Pour Kevin, il était important que les gens de Gaspésie n’aient plus peur du mot «psychologue» et de tout ce qu’il implique. Que le mot se chante bien ou pas n’avait plus beaucoup d’importance. Cette chanson, pour lui, possédait certainement une signification autre que la chanson en elle-même. Elle trouvait, soudainement, un sens social fort, marqué par un gars du coin qui veut profondément aider son prochain de façon subtile, mais assez concrète tout de même. Selon lui, apprivoiser le mot «psychologue» était un premier pas vers l’acceptation de son rôle thérapeutique.
«C’est sûr que je fais attention à mon monde là-bas. Je ne veux pas m’éloigner des valeurs qu’on m’a offertes là-bas. On m’apporte là-bas une fraîcheur, de l’espace, une tranquillité d’esprit. Si, en échange, je peux apporter un peu de réconfort spirituel, un peu de support. Ou peut-être juste briser des tabous. Les gens de chez nous sont généreux et chaleureux, ils ont de bonnes valeurs, mais, en quelque part, quand tu es toujours dans le clan… Ce que j’écris, c’est par où je suis passé. Si ça m’a fait du bien, ça me fait plaisir d’essayer de le partager avec ceux qui veulent le prendre. Ceux qui ne veulent pas le prendre, je m’en fous.»
Des mots qui sonnent
Kevin, il est comme ça. Un peu superstitieux, jamais superficiel. Il demande à tout le monde son signe astrologique, y fait souvent référence, mais il en rigole bien. Il cherche le mot juste, mais va régulièrement vers le plus simple, le plus près de son langage personnel, pour ne pas buter dessus ou, plus bêtement, pour être certain d’être compris par tous. «Je n’ai pas tant de mots que ça. Écoute, on ne se le cachera pas, j’écris avec des mots simples. C’est souvent les mêmes mots qui reviennent. Je joue à un jeu, là…»
Écoutez Les Doigts sur Grand Parleur… Dans cette chanson, qui fait exception, on s’aperçoit de façon assez évidente qu’il pourrait, s’il le voulait, pousser la poésie un peu plus loin. Trouver un autre vocabulaire, d’autres images pour dire ce qu’il a à dire. Mais il ne le veut pas. Kevin tient mordicus à être compris par tous. Il tient encore à ce que son langage soit le plus clair possible, le plus compréhensible par le plus de monde possible. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas chercher, dans les deux albums de Kevin, la métaphore qui tue, l’image forte qui vous fera tomber par terre. Un jour, peut-être, il s’y mettra. Mais, comme il le dit lui-même, il n’est pas encore rendu là.
«Si je me lançais dans la grande poésie, quelque chose de très intérieur, je n’aurais plus ce feeling d’appartenance que j’ai présentement et que j’aime. Parce que je ne l’ai jamais eu auparavant. Parce que j’ai toujours douté de moi-même. Est-ce que je fitte sur cette planète? Est-ce que j’ai le droit de vivre, moi? Est-ce que je dois toujours vivre avec des remords, de la culpabilité, un sentiment d’infériorité? En disant librement ce que je pense, on m’a offert un sentiment d’appartenance. Pour moi, c’est plus que valorisant, c’est nourrissant, c’est très réconfortant. C’est comme si j’avais eu froid pendant des années, et que, tout à coup, on m’ait apporté une couverture pour me tenir au chaud. Depuis le lancement de mon premier disque, je vis avec cette couverture. C’est le fun.»
Les 23, 24, 29, 30 octobre
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