

Pauline Julien (1928-1998) : Le doux chagrin
François Desmeules
La première fois que je rencontrai Pauline Julien, elle était de fort mauvais poil, son dernier album était passé totalement inaperçu et, pire, le Québec venait de subir sa rebuffade politique annuelle. On était loin du temps où les stations services offraient certains de ses disques en prime aux clients fidèles. Exaspérée et méfiante, elle annonça qu’elle songeait à abandonner le métier. Elle tint à peu près parole et le chemin de la chanson pour elle s’est achevé un petit peu trop tôt.
Interprète exigeante, les chansons qu’elle a composées se comptent sur les doigts d’une seule main. Heureusement, son répertoire, outre les classiques de Vigneault et des chansonniers, recèle bon nombre de pièces uniques. Car, comme on le sait, Pauline Julien aima aussi les poètes. Cette vaste et chaleureuse maison en ruine, ravagée par l’avènement du disque compact, n’est soutenue que par deux compilations presque conséquentes. L’une, fort économique et sans prétention, est certes la plus authentique.
Il est utile de dire que, outre ses Sept péchés capitaux fort sombres de Brecht, le grand chef-d’ouvre de Pauline Julien demeurera Où peut-on vous toucher?, 33 tours paru discrètement à la fin des années 80 chez Auvidis et qui lui valut le prix Charles-Cros. Julien y évoque avec pudeur la condition féminine des cheveux blancs jusqu’à la filiation maternelle et, moment particulièrement poignant, ses amis disparus. Ajouter au-dessus de cette poignée de chansons deux titres: Non tu n’a pas de nom et Mommy, l’une des rares chansons du Québec dans laquelle deux revendications, féministe et nationaliste, aient jamais pu se rencontrer. On pourrait d’ailleurs déplorer qu’on ait si peu souligné son apport essentiel au féminisme québécois, ne serait-ce que par sa seule présence aux côtés des monuments d’une chanson politique et poétique outrancièrement dominée par des hommes.
La dernière fois que j’ai rencontré Pauline Julien, elle traversait la rue. Le Québec venait de subir une autre rebuffade et je crois, justement, qu’elle s’en allait chercher une médaille. Entre-temps, elle écrivit un beau livre, une succession d’instants de vie fugaces, écrits, probablement, dans un crépuscule baigné de larmes. Rétrospectivement, Il fut un temps où on se voyait beaucoup (Lanctôt éditeur) sonne comme un testament: famille, enfance, voyages, chanson et théâtre y sont traités sur le ton de l’anecdote. Une existence peut-elle tenir en si peu de mots? On y retrouve avec joie une femme douée pour l’amitié, avouant des libertés qui, aujourd’hui comme hier, feront frémir les bien-pensants de tous âges… Son plaisir de vivre fait envie, radieux comme le sourire contrit qui transparaît à travers le lyrisme de chaque page. Pauline Julien avait atteint l’âge où l’on a des morts dans son paysage. L’hommage rendu à Suzanne Guité dans ces pages rappelle qu’elle sut constamment leur rester fidèle.
Ses funérailles furent d’une grande tristesse. L’amertume sans borne ressentie par deux générations devant la perpétuelle défaite de l’idéal nationaliste était palpable. Le Québec pendait comme une main cassée dans cette réunion de vieux cours purs et d’anciens combattants. On a dit, à juste titre, qu’avec elle s’éteignait une certaine manière de faire de la politique en chantant. Sa mort n’annonce pas pour autant la fin de la chanson engagée.
Cette femme qui s’imposait, par devoir de mémoire, des efforts dont elle n’était plus capable, en fixant l’heure du départ, aura fait preuve d’une classe exceptionnelle.
Pauline Julien chante Brecht et Weill
(Fonovox)
Québec Love
(Dist. Unidisc)
Les Refrains d’abord
(Fonovox)