Gaston Miron-Tout un chacun : Pièces d'identité
Musique

Gaston Miron-Tout un chacun : Pièces d’identité

Un an et des poussières après que l’auteur de L’Homme rapaillé ait cassé sa pipe, il n’y avait plus guère, ces temps-ci, hors de l’écrit, que les images pathétiques de La Nuit de la poésie, film déglingué, pour nous rappeler la mémoire fugace de Gaston Miron.

Cette tête de fonctionnaire, qui affirma qu’au-delà du salut collectif, le salut individuel de chacun résidait aussi dans la force de son identité, fut poète et, prêchant pour sa paroisse, théoricien et éditeur de poésie. Voilà qui est rare.

Quoique considéré par beaucoup comme notre poète contemporain le plus signifiant, les mots de Miron n’ont presque jamais franchi la barrière du son. Voilà qui est désormais réparé.

Dédié aux textes de Miron,Tout un chacun apparaît comme un collectif initié et mené par Nathalie Lessard, récitante et interprète, appuyée côté musique par une dizaine de musiciens et d’interprètes dont deux musiciens essentiels, Philippe Mius d’Entremont, violoncelliste, André Daneau, harmonica et pieds, et l’orchestrateur (minimal) Philippe Venne.

L’album ouvre sur un violoncelle seul enchaîné sur un récitatif qui justifie le titre de l’album. D’emblée, on se félicite d’avoir choisi des arrangements minimaux et signifiants pour soutenir les stances de Miron. Rien de plus métrique que le tapement du pied, rien de plus évocateur de l’état de vivant que le violoncelle. Loin du folklore, les podorythmes et l’harmonica de André Daneau s’avèrent secs et modernes.

L’ensemble possède certes un petit caractère expérimental, concret. Quelques musiques presque autonomes cassent judicieusement la succession des textes, d’autres ponctuent discrètement des textes récités, il n’est certes pas là question de chansons. Ce sont des musiques errantes, non-identifiables, assorties aux humeurs du texte. Chuchotements, charme et affolement, Nathalie Lessard s’avère une récitante plus que convaincante qui, dans les moments d’intensité dramatique, Lisbonne, dans la transparence naturelle, Fait divers et Seule et seul, et lorsque la stance s’aligne parfaitement au rythme des musiques, démontre d’authentiques talents de comédienne. La Marche à l’amour avec ses superpositions de voix et de langues brillantes et avec son rendu excessif s’avère la plus belle réussite de l’album. Piètre lecteur, comme tant de poètes jadis entendus, Miron avait bien besoin de cette interprète qui oscille judicieusement entre le jeu et la récitation. De passage sur l’album, Beaucarne, de loin le plus simple, laisse un texte qui semble lui appartenir.

De ci de là, quelques mots sonnent mal, on tergiverse parfois sur la langue, quelques méninges se creusent un peu, mais cette nouvelle façon de prendre contact avec la poésie rêche de Miron existe. Elle est belle et bien.

Soulevons quelques questions. L’Hexagone a-t-il envisagé de faire de cet album un support multimédia? Et, puisque ces gens pauvres ont ramé sans subvention pour l’amour de l’art, comment se fait-il que Louise Beaudoin, qui radote placidement les grandeurs de la culture québécoise, n’ait pas trouvé moyen de soutenir ce témoignage sur l’un des plus grands porte-étendards de l’indépendance? Était-elle à Paris ou à Jardins d’aujourd’hui?

Tout un chacun
Nathalie Lessard
(Indépendant)