Vilain Pingouin : Déglaçage
Musique

Vilain Pingouin : Déglaçage

On a bavardé pendant un bon quarante-cinq minutes. Rudy Caya, à l’autre bout du fil, n’avait ni à défendre ni à expliquer le nouvel album de Vilain Pingouin, Y’é quelle heure?, le troisième du quintette, depuis la trêve de quatre ans que le groupe s’est lui-même imposée. Car il ne s’agit pas d’un retour, mais, au dire de Caya, d’une «continuité logique» des deux albums précédents.

On pourrait tergiverser longtemps sur la pertinence actuelle des Pingouins, considérant l’évolution flagrante du paysage musical au Québec depuis 94. Lorsque Vilain Pingouin chantait Sous la pluie, Je marche seul ou Salut, salaud!, il n’y avait pas de Bran Van 3000, de Lili Fatale ou de succès pour Dubmatique. Il y avait Les Parfaits Salauds. Il y avait Les B.B. Une petite remise en question peut-être? «Les bands sont maintenant plus internationaux, d’admettre Caya. Tu peux jouer devant du monde deux cents fois, cinq cents fois, à un moment donné… Là, on a repris goût à ça. On s’occupe toujours autant de nos fans, mais on leur demandera pas d’appeler à la radio pour faire jouer la toune. Si elle joue, tant mieux. On est juste plus relax.»

Vilain Pingouin, si l’on se fie à Y’é quelle heure?, est resté fidèle à sa forme première. Celle d’un rock à texte visant la classe moyenne, un rock organique et in your face, vindicatif dans sa prose, mais pas à tout prix: «On a échangé la mandoline pour le banjo, parce qu’on trouve que c’est un instrument moins cute. Cependant, on ne voulait pas désavouer notre ancien son. On a juste changé de bassiste, et Michel (Bertrand) a inspiré une certaine discipline qui manquait dans le groupe. Nous, on est cinq gars. Cinq ego différents. Leloup, lui, c’est pas compliqué: il a changé de son simplement en changeant de band!» dit-il, sans aucune animosité envers son homologue.
«Est-ce qu’on est plus agressifs, plus mordants? Je dirais qu’on est plus sûrs de nous autres. Ces quatre années-là ont servi, crois-moi. On a fait des quasi-faillites personnelles, des burn-out, des blondes se sont chicanées, etc. Mais ça a fait du bien», de confier le chanteur de trente-sept ans, maintenant père de deux enfants.

«Moi, je vois une évolution. Les refrains sont plus accrocheurs; l’approche, plus populaire dans les mélodies; le son, plus corrosif, et les guitares, plus fuzzées. Il y a des beats beaucoup plus ronds que ce que les Pingouins faisaient avant, et ça, je l’ai appris en travaillant avec Pierre Hébert, Kenny Pearson et Rick Haworth (sur son album solo Mourir de rire, paru en 1995). Veux, veux-pas, quand tu travailles avec ces gars-là, t’apprends de la première à la dernière minute.»

Je le faisais remarquer à Caya, et il s’est empressé d’acquiescer: les textes du nouvel album, paru en avril dernier, sont sans aucun doute les plus consistants qu’il ait écrits. Toujours ce goût de gueuler, de pourfendre, d’agiter le drapeau fleurdelisé, mais toujours aussi cette compassion pour l’humain. Une transparence qui l’honore, même si parfois le clou est déjà pas mal enfoncé: «Y a personne qui pourra faire disparaître notre langue tant qu’on va y croire.»

Le 31 octobre
Au Spectrum