Musique

Joseph Saint-Gelais à I Musici : Pleins chants

A l’occasion des Fêtes, I Musici présente une soirée Opera buffa. Le metteur en scène JOSEPH SAINT-GELAIS explique les rapports entre le théâtre et l’art lyrique, plus nombreux qu’on ne le pense.

Pour une deuxième année consécutive, I Musici de Montréal consacre un de ses événements saisonniers à l’opéra. Comblant ainsi le vide créé par la quasi-absence d’opéra de chambre à Montréal, l’orchestre compte maintenir cette activité «lyrique» à son programme pour les prochaines années. Si le succès plutôt mitigé du Don Giovanni revisité de l’an dernier avait laissé un goût amer aux organisateurs, cette fois-ci, l’organisme a misé sur des valeurs sûres.
La distribution entièrement montréalaise mettra en scène la soprano Marie-Danielle Parent et le baryton Desmond Byrne, deux chanteurs qui ont déjà fait leurs preuves sur la scène lyrique. La mise en scène de ce spectacle placé sous le signe de l’Opera buffa est assurée par Joseph Saint-Gelais, qui n’en est pas à sa première expérience dans le domaine de l’opéra. Ayant déjà signé une demi-douzaine de productions de ce type, Saint-Gelais déplore de ne pouvoir en faire davantage.

En effet, le metteur en scène est un passionné de musique, et d’opéra en particulier. Cofondateur de Chants libres avec Pauline Vaillancourt et Reynald Tremblay, il a mis en scène leur toute première production, La Voix humaine; puis ensuite, avec cette même compagnie, Ne blâmez jamais les Bédouins et Il suffit d’un peu d’air.

Faire une scène
Même s’il s’agit de sa première mise en scène avec I Musici, Joseph Saint-Gelais connaît bien l’ensemble. «Je suis très content de travailler avec eux, c’est un orchestre merveilleux», s’emballe le metteur en scène – conquis récemment par l’enregistrement du Concerto pour clavecin et cordes de Gorecki, sous étiquette Chandos. «C’est sûr que c’est une production à petit budget, c’est leur première expérience, mais tout le monde est très enthousiaste. J’ai aussi la chance de travailler avec des chanteurs extraordinaires, très bons comédiens. On a un plaisir absolument terrible à répéter!»

Au programme, La Serva Padrona de Pergolèse, un petit opéra bouffe bien connu, charmant, plein de finesse et de rebondissements. Comme complément de la soirée, on pourra aussi entendre Il Maestro di Capella de Domenico Cimarosa et une ouvre instrumentale, la Plaisanterie musicale K. 522 de Mozart. L’histoire de La Serva est toute simple. Serbina, la servante d’Uberto, rêve de se faire épouser par son maître. Celui-ci cherchant une femme, Serbina intrigue, avec l’aide du serviteur Vespone – rôle muet -, afin de forcer son maître à l’épouser, elle. Grâce à sa ruse, elle parviendra à ses fins.

«La Serva Padrona, ça n’est pas de la grosse farce, même si c’est plein de folie, analyse Saint-Gelais. Et ce n’est surtout pas de la commedia dell’arte. A l’époque de Pergolèse, c’en était la fin. Goldoni commençait à écrire et il était contre la commedia dell’arte. Je pense que Pergolèse a peut-être été influencé par ce courant-là.» Pour donner vie à l’ouvre, Joseph Saint-Gelais essaie surtout de «faire du théâtre avec l’opéra, pour qu’on y croie, pour que les gens reçoivent quelque chose».

Le metteur en scène éclaire sa démarche en donnant l’exemple de l’air où la Serva fait ses adieux à son maître, lui disant qu’elle s’est trouvé un mari: «J’ai dit à Marie-Danielle: "Oublions qu’on est dans une comédie. Fais-le comme une cantate, il faut chanter cet air avec une sincérité presque spirituelle. Comme ça, on va rejoindre l’habileté de Serbina à faire marcher son maître, parce que si elle est très habile à faire des complots, elle est aussi forcément très habile à paraître sincère."»

Par contre, souligne Saint-Gelais avec force, il faut toujours avoir les deux pièces du puzzle. «Il y a du burlesque, il y a de la bouffonnerie, il faut les rendre, s’amuser, ne pas bouder son plaisir. Mais là où il y a une véritable émotion, il faut la jouer aussi. Pour avoir l’un, il faut avoir l’autre.» Sensible à ce qui fait l’essence d’une ouvre, qu’elle soit théâtrale ou musicale, Joseph Saint-Gelais fait toujours passer celle-ci avant les accessoires ou les machines. «Ce qui fait la modernité d’une mise en scène, c’est d’aller puiser dans l’ouvre elle-même ce qui peut nous surprendre. Pas autour de l’ouvre.»

L’art total
Après avoir étudié la musique aux conservatoires de Montréal et de Québec, ainsi qu’à l’école Vincent-d’Indy, Saint-Gelais a pu profiter d’une immersion totale en milieu lyrique… «J’étais une sorte de stagiaire à l’Opéra de Bordeaux, durant un an. J’ai pu assister à toutes les répétitions, réunions et représentations de l’année, en plus de rayonner un peu partout en Europe pour voir d’autres productions, quand il y avait des pauses.»

Il en a développé un amour intense de l’opéra, qui continue toujours de l’habiter. «C’est sûr que j’aime beaucoup le théâtre, mais je trouve que pour un metteur en scène, l’opéra est beaucoup plus puissant. Quand les sentiments sont exacerbés, ils le sont plus encore, à cause de la musique. Si on pense à Elektra de Strauss, jamais la tragédie de Sophocle ne pourrait rendre d’une façon aussi gigantesque la puissance d’une passion, sans la musique. C’est infiniment plus fort pour moi.» Ce serait l’art total, alors? «Oui, et c’est vraiment pour ça que j’aime l’opéra.»

Dans La Serva Padrona, Marie-Danielle Parent incarnera Serbina, et Desmond Byrne jouera le rôle d’Uberto. Le rôle muet sera tenu par Claude Tremblay. Il Maestro di Capella (le maître de chapelle) de Cimarosa sera interprété par Desmond Byrne. La scénographie est l’ouvre de Daniel Ross. Yuli Turovsky dirigera les instrumentistes d’I Musici de Montréal.

Les jeudi 17 et vendredi 18 décembre, à 20 h
Au Monument-National

Cédérom I Musici/Micro-Intel, Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns
I Musici connaît bien Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns. En plus de l’avoir donné en concert, l’orchestre de chambre l’a déjà enregistré, en 1993, avec les pianistes David Owen Norris et Gregory Chaverdian. Cette fois-ci, l’ensemble nous propose une autre expérience du Carnaval, même s’il s’agit toujours de l’enregistrement de 1993: un audiorom (un cédérom + un CD audio) pédagogique, Je joue, je crée avec Le Carnaval des animaux. Le cédérom s’adresse aux enfants de 6 à 9 ans et poursuit des objectifs bien précis. Il veut d’abord placer l’enfant dans un environnement stimulant, lui permettre de découvrir la musique classique, susciter ses réactions affectives et intellectuelles par l’écoute de la musique et des contes qui s’y rattachent, l’inviter à exprimer par le mouvement les sensations musicales – grâce à des animations pouvant être réalisées par l’enfant lui-même, dans le «Studio d’animation» -, le familiariser avec les différents agencements sonores et, finalement, lui fournir un cadre l’incitant à réfléchir et à exprimer ses émotions face à l’univers sonore du Carnaval. Pour I Musici, ce projet de cédérom éducatif vise entre autres à développer – presque dans l’ouf! – un jeune public sensible à la musique classique. Outre les objectifs, il s’agit d’un très joli cadeau. Mais attention: chaque école primaire de la Communauté urbaine de Montréal recevra, d’ici la fin décembre, une copie du cédérom.

Disque

Catherine Perrin, clavecin 24 Préludes (Atma)
La claveciniste et animatrice de radio Catherine Perrin offre elle aussi une expérience particulière à ceux et celles qui vont écouter son disque: le télescopage de cinq siècles de Préludes de clavecin, à travers une sorte de récital recomposé sous forme de suites. Suites de préludes? Eh oui! Chaque suite fait se rencontrer différents compositeurs, tels Rameau (1683-1764), Haendel (1685-1759), Sweelinck (1562-1621) et Bach (1685-1750); ou d’Anglebert (1628-1691), Bull (1652-1628), Gelfand (né en 1959) et Bach… Surprenante au premier abord, mais très convaincante lorsqu’on s’y attarde, cette idée se trouve presque à mi-chemin entre l’interprétation et la composition. L’intelligence que Catherine Perrin met au service de la musique rend cet enregistrement fort intéressant, en plus d’être bien interprété.