

Marie-Claire Séguin : Minute papillon!
Hélène Pedneault
Photo : Jean-François Bérubé
Créer un monde est aussi fastidieux que créer le monde. Et ça prend plus que sept jours. Demandez à Marie-Claire Séguin… A la fin de son dernier spectacle, Présence, il y a deux ans, elle ne se doutait pas du tout qu’elle venait de commencer à écrire le prochain. Avant de sortir de scène, elle chantait Montréal mauve: «Entre ta peau et la mienne, je choisis les deux.» Une simple phrase, et voilà que le fil d’Ariane se déroule et l’entraîne dans un labyrinthe d’émotions imprévues. Cette chanson, elle la chante pourtant depuis dix ans. Pourquoi se met-elle soudain à résonner autrement? Les voies de la création sont impénétrables. Ce soir-là, c’est la jumelle qui chante cette phrase et qui ne veut pas se résoudre au sacrifice de l’une ou de l’autre partie du même tout. Mais jumelle de qui? De son frère, de l’homme en son frère, ou de toutes les femmes de la terre?
Un peu plus tard, Marie-Claire Séguin se demande pourquoi elle n’a jamais pu chanter jusqu’au bout Un bel di vedremo, le grand air de l’opéra Madame Butterfly de Puccini. Elle dit: «En fait, je n’essayais même pas de la chanter, je la pleurais! Alors j’ai décidé de savoir pourquoi cette chanson provoquait une telle émotion en moi. Et pendant six mois, j’ai écrit. Je n’écrivais pas des lignes de chansons, j’écrivais entre les lignes. Je n’avais jamais fait une démarche créative comme ça. Dans Présence, j’avais pris goût à raconter des histoires. Alors, j’ai pris Butterfly par la main, comme une petite sour, et je l’ai emmenée en voyage avec moi. J’ai cessé d’avoir peur, et j’ai découvert que le chemin vers la conscience qu’est la création est la chose qui me passionne le plus au monde parce que c’est fondamentalement vivant et plein de surprises. Et ce n’est jamais ce qu’on cherche qu’on trouve!»
Mais comme l’a dit Suzanne Jacob: «On cherche ce qu’on trouve.» Et Marie-Claire Séguin a rencontré dans sa quête des personnages surprenants, qui ne seraient jamais apparus dans sa vie si elle avait écrit un disque au lieu d’un spectacle: Iphigénie, la grand-mère, Margareta, Eve, la petite orpheline chinoise Mayming, «fille non réclamée de l’humanité», et la sorcière Baba Yaga. Et chacun de ces personnages a donné son univers à l’ensemble de l’ouvre. Ces femmes disent, avec Marie-Claire: «Moi, je suis la fille d’un monde qui n’a jamais donné sa place au féminin. Butterfly cherche l’amour absolu, mais elle se trompe de sujet. Il ne faut jamais oublier que Butterfly a été, d’abord et avant tout, une femme vendue. Je ne veux plus qu’elle meure à la fin de son histoire. Je veux dire qu’il est possible qu’une femme attende un homme sans être en exil d’elle-même. C’est donc aussi un voyage dans l’identité. Y a-t-il une autre destination dans la vie? En écrivant ce spectacle, j’ai découvert ma propre féminité. Je suis faite de masculin et de féminin, et la véritable Humanité ne se trouve que dans l’équilibre. L’Humanité est donc encore à faire. J’ai découvert aussi qu’il est bon de rentrer chez soi…»
Chez soi, pour Marie-Claire Séguin, c’est revenir dans sa peau, dans sa création, elle qui avait donné toute la place à l’interprète dans Présence. De ce nouveau spectacle, elle a écrit toutes les musiques seule, et les textes en collaboration avec Véronique Bleau. Et malgré le poids du monde, Séguin a réussi l’exploit de faire un spectacle drôle et grave, étonnamment léger, probablement taillé dans de l’aile de papillon…
Séguin et Butterfly ont fait un spectacle exigeant qui ressemble davantage à un théâtre musical pour une seule chanteuse qu’à un spectacle conventionnel de chansons. Ils sont rares les artistes qui prennent de tels risques sur scène, qui osent s’attaquer à la forme du spectacle en ne proposant que du matériel neuf. Ils sont si rares qu’il faut absolument être dans la salle quand ça arrive…
Et comme le chante la joyeuse sorcière Baba Yaga dans un grand éclat de rire: «Et que la peur aille se faire voir ailleurs!…» Ainsi soit-elle.
Du 9 au 13 février
A la Cinquième salle de la PdA