Jean-Pierre Ferland : Cordes sensibles
Musique

Jean-Pierre Ferland : Cordes sensibles

Quatre ans après Écoute pas ça, un album que des milliers d’oreilles ont amoureusement écouté, JEAN-PIERRE FERLAND vient nous chanter que L’amour c’est de l’ouvrage. Au boulot! Entrevue.

Deux cents vies ne lui suffiraient pas pour dire tout ce que la vie lui souffle à l’oreille. Et qu’est-ce que la vie sinon une vaste affaire de cour? Jean-Pierre Ferland observe et caresse les multiples visages de l’amour, montre l’amour sous toutes ses coutures et toutes ses sutures. Un amour qui se permet de rimer avec toujours, et parfois même – pourquoi pas? – avec l’aneth, les jours courts ou les rognures de patates.

L’amour c’est de l’ouvrage, album encore tout chaud et constat exigeant, vient s’ajouter à la discographie étoffée de Jean-Pierre Ferland. Neuf nouvelles chansons d’amour ou de panne d’amour, puisées quelque part entre l’éternel et le quotidien, plus un jam session croqué sur le vif. Le prolongement d’Écoute pas ça, de toute évidence, bien que mille nouvelles teintes s’en dégagent au fil des écoutes.

Accord majeur
Pourquoi changer les joueurs quand une équipe touche droit au but, le cour, en l’occurrence? Pour habiller les mots, il était tout naturel de refaire appel aux Alain Leblanc, Bob Cohen et Richard Bélanger, les compères qui avaient ficelé, en 1995, cette belle histoire chargée d’effluves de parfums de femmes et de cabane à sucre: «A l’occasion du précédent disque, nous avons vraiment formé un groupe. Un groupe avec lequel j’ai déjà travaillé pendant quatre années, en studio et en spectacle. Moi, au fond, je suis le chanteur du groupe!», explique Ferland depuis St-Norbert, à la veille du lancement de son album.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le band à Ferland a visé juste. Au lendemain d’Écoute pas ça, qui s’est envolé des rayons des disquaires, lui et ses acolytes ont baladé leurs guitares d’une scène à l’autre pendant près de trois ans. Deux cents spectacles plus loin, la cohésion était grande et l’amitié décuplée. La route s’étirait comme une invitation: «Nous avons eu tellement de succès avec Écoute pas ça… Il faut avancer, bien sûr, mais il faut conserver ce qu’on a trouvé, aussi. Nous avons gardé ce que nous aimions le plus, puis nous avons développé, en nous laissant aller complètement. Ça a été un beau trip, encore une fois. Entre nous, il y a tellement d’amitié, tellement de plaisir, jamais un mot plus haut que l’autre. C’est toujours tellement facile…»

Les guitares sont à l’honneur, ici encore: « La guitare, c’est le plus bel instrument du monde. J’ai passé une partie de ma vie à composer et à chanter avec un pianiste, mais depuis cinq ans, je travaille uniquement avec des guitares. C’est ça qui m’attire, tout simplement.»

Si les guitares acoustiques ont partout leur place, elles partagent la vedette avec des guitares électriques doucement étonnantes, capables de créer des textures tantôt incisives, tantôt aériennes. Jusqu’à conférer une ambiance carrément planante à la chanson Le tonnerre, les éclairs, dont les arrangements sont des plus actuels. Aussi, l’apport d’une batterie intelligente et efficace donne un peu plus de tonus à cet album-ci, alors que les chours, très présents, y ajoutent un caractère presque méditatif.

A prime abord, les mélodies peuvent paraître un brin moins inspirées que celles de leurs grandes sours, mais elles viennent bientôt se nicher en nous comme des oiseaux agiles et majestueux. C’est qu’au fil des ans et des disques, Ferland a développé une manière bien à lui d’embrasser la musique. Une grande liberté dans la forme et une façon d’enfiler les mots là où on ne les attend pas, un art qui s’apprivoise, ici plus que jamais.

La rivière coule de source, elle emprunte moins de détours qu’auparavant. Depuis la plume jusqu’aux lèvres: «Plus on chante, plus la voix est bonne. Et on peut s’amuser dans notre chant. Quand on débute, qu’est-ce qui nous donne le trac? L’idée de ne pas être prêts, de penser aux paroles, à la musique, à projeter comme il faut. Tandis qu’au bout d’un certain temps, on ne pense plus qu’à chanter. Tout le reste est secondaire, ne reste plus que le plaisir de chanter.»

Un plaisir qui attendra quelque peu, cependant, Jean-Pierre Ferland s’étant sérieusement blessé à la jambe à la suite d’une vilaine chute en motoneige. Les spectacles, qui devaient commencer la semaine dernière, ne prendront l’affiche qu’en septembre prochain. Parions que son public, des plus fidèles, patientera jusque là pour aller se faire chanter la pomme.

L’encre de tes cieux
L’écriture est souple, quelquefois naïve, loin de la phrase ciselée parfois privilégiée par Ferland au cours de sa carrière (on pense à des titres comme La grande mélodie, par exemple). Mais la démarche est la même. Le chantre du cour veut en attiser les flammes, celles qui naissent au hasard de la nuit comme celles qui grelottent au bout des années: «Si j’osais ce que j’veux dire / Je s’rais un hibou / Je sortirais tous les soirs / Je mettrais le feu partout / Et je r’viendrais chez nous.»

L’amour a pour engrais les attentions, les intentions, un sens de la responsabilité, aussi. Les nouvelles pièces ne sont pas tombées des nues. Elles prennent racine dans la démarche et le courage. Il en fallait, du courage, pour entamer J’ai toujours peur de te perdre, une expérience d’écriture bien particulière. Il s’agit d’une collaboration avec son vieux copain Buddy Fasano, le mæstro derrière les orchestrations de l’album Jaune: «Buddy est atteint d’un cancer. Il est vraiment en fin de vie. Un jour, il m’a téléphoné pour me demander d’écrire des paroles sur sa dernière musique à vie…»

A ces mots, un silence parcourt l’entrevue. L’émotion est crue. Puis l’artiste raconte qu’avant de se mettre à la tâche, il a demandé à son ami ce qui lui faisait le plus peur à l’approche de la mort. Ce dernier lui a répondu que c’était l’idée de quitter sa femme. La chanson est née là, dans la douleur et l’urgence, après cent tentatives; Ferland en est satisfait comme d’un mal nécessaire et magnifique: «J’ai toujours peur de t’perdre / J’ai toujours peur de toi / Qui marche sur la grève / Hormis moi dans tes rêves / J’ai toujours peur de t’perdre.»

Tes visages
Ferland nous a aussi habitués à des textes surprenants, tour à tour amusants et profonds, où l’amour exprimé n’est pas à l’endroit de la femme, mais n’en est pas moins vrai. J’aime un homme, des mots qui perdent toute équivoque dans la bouche de Jean-Pierre Ferland, est sans doute l’une des chansons les plus touchantes de l’album: «Que les femmes me pardonnent / Si aujourd’hui j’aime un homme / Si j’ai un homme dans ma vie.» Que les femmes se rassurent, surtout: «Il faut avoir ma réputation pour dire ça… En fait, c’est probablement la plus belle chanson d’amitié que j’ai écrite dans ma vie.»

Un autre type de relation extra-amoureuse a inspiré la chanson La fana. Il y est question d’une fan suspendue à ses lèvres soir après soir, qui «connaît mes chansons par cour / tant les ratées que les meilleures». Et la fan d’entre les fans, c’est nulle autre que la maman, bien sûr: «C’est mon idole / Une belle femme aux cheveux blancs / Merci maman.» Double témoignage d’amour pour sa mère aujourd’hui décédée, mais aussi pour ceux qui n’ont jamais douté de lui: «Voilà des chansons qui viennent au monde d’un coup sec. Ça m’a pris une demi-heure à l’écrire. C’était tout à fait naturel. J’y parle de ma mère, mais je m’adresse aussi à mon public. Il y a des gens qui me suivent depuis des années, qui sont présents, depuis trente-cinq ans, à tous mes concerts. Il était à peu près temps que je leur dise merci.»

Le cour à l’ouvrage
L’amour c’est de l’ouvrage, donc. Et si le jeu en vaut la chandelle, aimer demeure une discipline à quotient de difficulté très élevé: «Oh oui, c’est d’l’ouvrage! Il faut travailler très fort pour le conserver. Pour l’obtenir, d’abord, et ensuite pour le faire durer. Ça vaut la peine, mais c’est laborieux. Il faut faire abstraction de soi très souvent, faire des sacrifices.»
Avec le temps, on parvient à la face cachée de l’amour, la plus lointaine et la plus belle, celle qui donne un sens au non-sens d’un «univers dégueulasse»: «De toute façon, il y a rien que ça qui est intéressant au monde.»

Même clopin-clopant, le chanteur garde sourire et bon moral. Bien entendu, les planches le tentent et sa patience est mise à rude épreuve, mais les chansons le précèdent, éclatantes de santé, comme une invitation à cent fois sur le métier remettre notre ouvrage.

Voici l’album libre d’un artiste qui n’a rien à prouver et ne s’en donne plus qu’à cour joie.
Écoutez ça.

L’amour c’est de l’ouvrage
Jean-Pierre Ferland
(GSI)