

Gros Mené : Ascendant poisson
Nicolas Tittley
Photo : MARTIN BUREAU
Du fond de son Lac-Saint-Jean, le chanteur iconoclaste poursuit ses explorations musicales en donnant, cette fois, dans un rock farouchement alternatif et indépendant. Un mené décapant.
La première fois qu’on a entendu parler de Gros Mené, c’était il y a un an, de la bouche du guitariste René Lussier. À l’époque, l’homme avait évoqué un projet assez bruyant l’unissant à Fred Fortin, et on salivait à l’idée d’entendre le résultat de la rencontre entre le grand maître de la guitare actuelle et l’auteur-compositeur allumé du Lac-Saint-Jean. Les deux musiciens n’auront donné qu’un seul concert, à Saint-Félicien, en compagnie du batteur Pierre Tanguay, mais l’idée de Gros Mené a fait son chemin. Depuis, le guitariste Olivier Langevin, collaborateur de Mara Tremblay, et Michel Dufour, batteur des Colocs, ont pris la relève, et le groupe s’apprête à lancer son premier album, Tue ce drum Pierre Bouchard, au début d’avril.
«Ça me fait un peu drôle de parler de ce groupe, parce que ça a commencé simplement comme un trip, on n’avait pas vraiment l’intention d’aller où que ce soit avec ça, confie Fred, joint dans le confort de son chalet-studio de Saint-Félicien. J’ai pas vu ça arriver. Au départ, c’était simplement un petit band local, un trip d’ados qui ont du fun et qui se foutent bien de ce qu’ils disent.»
Comprenez que Gros Mené n’a rien à voir avec le sympathique album solo de Fortin, bien qu’on sentait déjà, sur une pièce comme Le Scarabée, le penchant heavy du chanteur. «Mon premier album partait dans toutes les directions, alors qu’avec Gros Mené, je voulais faire quelque chose qui aurait le même groove du début à la fin, comme si on avait filmé un petit groupe de garage à un moment précis de sa vie. On a tous tripé sur le punk et la musique heavy à un moment ou un autre, et on a voulu explorer ça à fond.» Ce rock furieux, que Fortin décrit comme «baveux pis sauvage comme un tas de linge sale», respire la liberté. Plusieurs chansons ne sont en fait que des versions démo, et avec des titres de chansons comme Plotte, Bobette, Graine ou Constipé, le chanteur adopte une attitude juvénile bien assumée. «Je ne veux pas vraiment justifier ça: on ne veut pas faire de l’art», dira simplement Fortin.
Si la musique rappelle un son plutôt américain, la québécitude de Gros Mené s’affirme dès le premier couplet de Ski doo; dans un véritable orage électrique, Fortin beugle: «J’ai un ski doo qui m’donne d’la marde / Y’est noir, orange pis jaune moutarde!» Sur Constipé, sa voix tordue débite des phrases d’une absurdité incomparable, à la manière d’un Captain Beefheart saguenéen («Kessé tu veux qu’un gars fèze ben assis sur sa chaise de toilette_»). À l’exception de quelques pièces instrumentales signées Olivier Langevin, l’album suit cette voie qui opère une sorte de rencontre en terrain québécois des univers sonores de Jon Spencer et des Melvins, influences avouées et revendiquées par deux générations de Fortin. En effet, Fred affirme que Charlie, la prunelle de ses yeux à qui il avait dédié une superbe ballade sur son premier album, est un grand amateur de bruit. «Charlie, y tripe autant sur les Melvins que sur les Teletubbies», confirme Fred. On a hâte de voir quel genre de musique pourrait germer dans un cerveau nourri à ces deux mamelles. En fait, on peut déjà en avoir un aperçu, puisque Tue ce drum Pierre Bouchard s’achève sur une improvisation musicale signée par le bambin de six ans, la délirante Saku Koïvu. «Je jouais les accords de la main gauche pendant qu’il se chargeait du picking, explique Fortin. Il a aussi joué de la batterie, et il improvisait les paroles au fur et à mesure. Si cette chanson fitte aussi bien avec le reste de l’album, c’est parce qu’elle est complètement spontanée. Charlie tripe sur le bruit pis il a essayé de faire ce qu’il aimait, ce qui est exactement le but qu’on poursuit avec Gros Mené.»
On peut dire que 1999 commence bien. Après l’étonnant disque de Mara Tremblay, auquel Fortin a d’ailleurs collaboré, Gros Mené confirme l’éclosion d’un mouvement musical typiquement québécois, mais dont l’esprit s’apparente plutôt au courant indie-rock américain. Dans les années à venir, on pourrait voir un nombre croissant de petites productions indépendantes du même genre envahir nos tablettes, puisque Tue ce drum Pierre Bouchard marque la naissance d’une nouvelle étiquette québécoise, les disques de La Tribu. Fondée par Claude Larivée (du Cabaret et de la compagnie de gérance Larivée, Cabot, Champagne), La Tribu se propose de lancer des albums de nature plutôt expérimentale à prix «découverte» (six dollars de moins que le prix de détail). «C’est un projet qui me trottait dans la tête depuis un bout de temps, et disons que Gros Mené a servi d’étincelle, explique Larivée. On veut lancer des disques audacieux et abordables, mais on n’en fait pas une mission: je suis avant tout un fan, et si j’ai voulu sortir ce disque, c’est d’abord pour me faire plaisir. Je me dis que si ça me fait plaisir à moi, il y a sûrement d’autres personnes qui vont réagir de la même façon.» C’est exactement ce qu’on pense.
Le 1er avril
Au Cabaret
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Tue ce drum Pierre Bouchard sera en magasin le 6 avril.