Il y a deux semaines, dans ces mêmes pages, je vous racontais comment Dan (à moins qu’il ne faille désormais l’appeler Daniel, vu sa nouvelle vie…) Bigras était un être excessif. Que pour lui, les demi-mesures n’existaient simplement pas. Dans son nouveau show, qu’il présentait la semaine dernière au Corona et où il sera en supplémentaires ce week-end (les 26 et 27), on en a eu un exemple flagrant.
Vers le début de la deuxième partie, Bigras enfile son saxophone et interprète The Messiah Will Come Again de Roy Buchanan, une vraie bonne toune, un des premiers slows sur lesquels j’ai dansé. Sauf que Buchanan jouait la mélodie à la guitare. Pas au saxophone. Là, pendant les beaucoup trop longues minutes qu’a duré cette chanson, Bigras avait juste l’air du sans-dessein à Pierre Dumont. Full kétaine.
Puis, quarante minutes plus tard, il finit son show avec le classique Avec le temps de Ferré. Quatre minutes de pur bonheur. Une interprétation comme seul Bigras peut parfois les faire: inspirée, vivante, poignante, tripante. Le genre d’interprétation qui fait presque oublier tous les malheurs précédents. Un Bigras, encore une fois, aux extrêmes, incapable d’être bien au centre de la route.
Dans cette deuxième partie, on a aussi droit au fameux boogie endiablé où Bigras tente de jouer le plus vite possible; sauf que cette fois, il le fait en duo avec son claviériste. Un numéro qui a toujours eu un petit côté cirque, qui a toujours fonctionné et qui fonctionnera probablement toujours, à cause de son côté exhibitionniste. Sauf que Bigras, qui veut toujours pousser la chose le plus loin possible, le fait avec un tel plaisir qu’il va falloir surveiller attentivement son prochain spectacle: cette fois, non seulement il va faire aller ses doigts encore plus vite sur le clavier, mais il le fera fort probablement en jonglant!
Heureusement pour nous, spectateurs, la première partie du show est plus équilibrée et vraiment meilleure. On y retrouve les vieux complices (Maurice Soso Williams à la basse et à la voix qui donne des frissons, Paule Magnan à la guitare lourde, Christian Laflamme aux percussions), mais aussi de nouveaux amis: Francis Filion à la batterie et Pierre Desjardins aux claviers. C’est dans cette portion du spectacle que Bigras sort ses bons vieux succès: Tue-moi, Pourquoi tu veux, La Bête humaine, Ange animal, etc. C’est dans cette portion du spectacle que Bigras parle le plus, qu’il est le plus chaleureux. C’est dans cette portion du spectacle qu’il interprète Le Déserteur de Boris Vian, comme un chant de guerre, accompagné uniquement de tambours.
C’est dans cette portion du show qu’on s’aperçoit que Dan était vraiment un diminutif de Daniel…
***
Samedi soir, au Spectrum, nous avions tous hâte de voir le trio britannique Placebo, qui en était à son premier – et sûrement pas son dernier – passage montréalais, sur la lancée de son deuxième et glorieux album, Without You I’m Nothing, qui inclut ce qui aurait dû être un succès monstrueux n’eût été de la moumounerie récurrente de nos chères radios montréalaises: l’excellente Pure Morning.
Placebo, c’est du rock des années 90. Avec le relent des années 80 qu’il faut (qui a dit The Cure?), avec l’énergie et la férocité laissées par les punks des grands chemins, avec la solide volonté mélodique typiquement britannique. Un groupe fort dominé par un drôle de chanteur. Voulez-vous bien me dire comment Brian Molko, avec la voix de canard qu’il a, s’est un jour réveillé en se disant qu’il serait chanteur dans un groupe rock? Depuis Geddy Lee avec Rush, je ne crois pas avoir entendu une voix aussi… étrange?
Tout de suite après Placebo, le groupe américain Stabbing Westward nous a servi son rock lourd vaguement industriel, sorti directement du berceau de Trent Reznor et Nine Inch Nails, mais en beaucoup plus faible. Comme tous les succédanés, de toute façon…
***
Les trois jeunots du groupe australien Silverchair étaient au Spectrum, lundi soir, histoire de nous présenter sur scène le contenu de leur troisième – et meilleur – album, Neon Ballroom. Première constatation: le groupe était bien meilleur que la dernière fois que je l’avais vu, il y a quatre ans, au Café Campus. C’était particulièrement vrai lorsque le groupe interprétait ses nouvelles chansons, où le leader Daniel Johns chante beaucoup plus qu’il ne crie. Deuxième constatation: si les critiques rock de la planète se font l’immense plaisir d’entonner la marche funèbre du rock depuis des années, nous sommes les seuls. Mille kids étaient fous de joie de pouvoir enfin se défouler sur un rock lourd (parfois même lourdaud), sur une grosse guitare puissante et une section rythmique qui ne se contente pas de jouer en arrière-plan. Une bonne soirée de rock. Ça fait changement, non?
***
Deux mots sur Mara Tremblay qui était au Cabaret, vendredi soir: spontanée et incontournable.