

Mara Tremblay : Le teint de Mara
Parazelli Éric
Photo : Benoît Aquin
Même lorsqu’elle était dans l’ombre des Maringouins, des Colocs ou des Frères à Ch’val, elle illuminait les spectateurs de son grand sourire. Depuis qu’elle nous a offert Le Chihuahua, son premier album solo, c’est tout son univers éclaté qui nous fait sourire à notre tour.
Cette année, le printemps est arrivé en février! Pas vraiment si l’on regardait dehors, mais entre nos deux oreilles, c’était tout comme. Vous savez bien, ce genre d’album qui nous sort de la routine, qui nous oblige à bousculer nos repères, et nous change des produits surgelés en nous offrant une bonne dose de fraîcheur. S’il existait un équivalent sonore qui fasse autant de bien en dedans que les rayons de soleil du printemps, il s’appellerait Le Chihuahua, comme le premier album de Mara Tremblay. Ce qu’a accompli ce petit bout de femme de vingt-neuf ans, avec l’aide de ses «hommes» et de sa chum, n’est rien de moins qu’un antidote au préfabriqué, à l’aseptisé et au calculé. Parce que le mot-clé pour décrire Mara Tremblay, c’est «spontanéité».
Patrice Duchesne, directeur artistique chez Audiogram, a été atteint du virus Mara il y a un bon bout de temps déjà. C’est en partie grâce à lui que l’on peut mettre Le Chihuahua dans nos lecteurs CD, et profiter de la fonction repeat. «À l’époque des Maringouins ou des Frères à Ch’val, pour moi, c’était toujours Mara qui volait le show. Et on voyait bien qu’elle avait la personnalité, la drive, et quelque chose de vraiment unique. Tout le monde s’en rendait compte, sauf elle. Pis, faut pas se le cacher, on est tous tombés en amour avec Mara… Sauf que moi, je me suis arrangé pour que ça dure: j’ai fait un disque avec elle! Mais j’ai pas grand mérite dans le fond; tout ce que j’ai fait, c’est lui prêter de quoi enregistrer, en lui disant de s’amuser.»
C’est justement en parlant de la petite histoire de l’album qu’on a commencé la conversation, assis à une table du Diable Vert, rue Saint-Denis: «Quand Patrice m’a appelée, j’venais de me séparer de mon chum, pis j’avais rencontré un autre gars avec qui ça marchait pas. J’étais vraiment plongée dans toutes sortes d’émotions… La torsion du cour, j’étais vraiment dedans. Moi, je l’ai tellement pas en amour, ça marche jamais… Pourtant je suis tellement passionnée et j’ai besoin d’amour au boutte, ça me fait voyager dans ma tête, ça me fait vivre! Donc les thèmes des chansons sont venus tout seuls, j’ai même pas eu à chercher.»
En fait, Mara ne cherche jamais très longtemps. La première idée, celle qui vient le plus naturellement, est nécessairement la bonne, la vraie. Et ce, tant au niveau artistique que lorsqu’elle se retrouve en entrevue. Elle ne joue pas à cache-cache. N’essaie pas de dire «la bonne affaire», celle qui lui permettrait de mieux contrôler son image. «Chu d’même!» est peut-être la phrase qui est revenue le plus souvent dans sa bouche durant les trois quarts d’heure qu’a duré notre entretien. «Moi j’pense pas à ces affaires-là. Quand je te parle, je pense pas aux milliers de lecteurs qui vont lire ce que j’viens de dire. Parce que toi, t’es témoin d’une rencontre pis tu vas écrire un papier qui témoigne d’une rencontre qu’on a eue nous deux, pas d’une rencontre entre nous pis les milliers de personnes qui vont lire. Quand je fais un show de télé, c’est pareil… Sinon c’est trop énervant et ridicule pour rien. Mais j’avoue que c’est plus facile de me représenter moi-même. Quand tu représentes un groupe, c’est ben plus stressant; quand j’étais avec Les Frères à Ch’val, j’me faisais souvent dire de faire attention à ce que je disais parce que j’étais trop spontanée. Tu peux pas être toi-même parce qu’il faut que tu te fondes dans une espèce d’image commune. Toute seule, c’est ben plus facile.»
Faire simple
Même si elle porte la responsabilité du Chihuahua sur ses frêles épaules, ce disque, elle ne l’a pas fait en solitaire. Ses textes, Mara les a écrits la plupart du temps avec sa grande chum Françoise Guyaux. «Des fois on s’appelait, pis on allait écrire ensemble dans un café. On riait tellement, si tu savais les phrases qu’on a pu sortir… C’est une des personnes qui me connaît le mieux, donc ça marchait super bien. Des fois elle m’aidait à trouver le mot exact qui correspondait à mes sentiments parce que moi j’étais trop aveuglée, j’étais encore dedans. C’était comme ma psychologue…» Et des mots exacts, elles en ont trouvé en masse! Combien de fois avez-vous entendu des textes aussi limpides, aussi simples, mais en même temps aussi révélateurs de la mécanique du cour féminin? Comme dans Le Bateau, une des pièces crève-cour du disque: «J’ai pus de place dans ton bateau / Quand tu penses à moi j’te fais pus assez chaud / Pas besoin de fermer les rideaux / On partage yenq’ le lit quand on fait dodo». Ou comme dans la jubilatoire Tout nue avec toi: «On existe seulement quand je dors / Dans mes rêves tu m’prends encore plus fort / Pardonne-moi si les rares fois qu’j’te vois / J’pense yenq’ à être tout nue avec toi».
«Moi j’aime pas les textes compliqués, explique simplement Mara. Y a ben des grands mots qui sont moins précis que des mots simples… Moi, j’aime la naïveté; ce qui me fait pleurer et m’émeut le plus, c’est la mer, la nature, les étoiles, l’amour, les petites choses de la vie… Je pense que quand c’est ça qui te touche, t’as pas besoin de faire des grandes pirouettes philosophiques. Les poètes, les écrivains pis les chansonniers qui m’atteignent le plus, c’est ceux qui sont capables d’exprimer des sentiments simples avec le moins de mots possible. T’es pas obligé d’en mettre trop pour être poète…»
Faites un test autour de vous. Demandez aux gens ce qu’ils pensent des chansons de Mara Tremblay. Il y a de fortes chances que vous puissiez les séparer en deux clans: ceux qui adorent et ceux qui détestent! Ce qui fait le charme pour les uns (la simplicité, la touche country, la voix naturelle donc imparfaite, la bizarrerie et la diversité des influences musicales) donne de l’urticaire aux autres. «Je comprends très bien que c’est pas tout le monde qui aime ça. Au départ, c’était le trip de quelques personnes, c’est normal que ça soit pas le trip de tout le monde. Mais je me serais pas empêchée de faire ces affaires-là juste parce qu’il y a du monde qui n’aime pas ça… Pis pour ce qui est de ma voix, c’est sûr que ça va s’améliorer, j’avais jamais fait ça avant. Pis ceux qui s’en plaignent, ben y ont juste à pas m’écouter!»
Les boys
Parmi ces quelques personnes dont parle Mara, il y a Olivier Langevin, guitariste inspiré d’à peine vingt ans, et coréalisateur de l’album, également repéré du côté de chez Gros Mené: «Y m’a tellement fait triper musicalement! Il m’a ouvert l’oreille, j’écoute mieux les sons, les textures de guitares; ma vision de la musique s’est élargie grâce de ses influences différentes des miennes.» Il y a aussi François Lalonde, qui a travaillé avec Leloup, Lhasa, Les Frères à Ch’val, Dédé Traké, etc., qui a enregistré chez lui les cordes et la voix fragile de Mara: «Comme il me connaissait très bien, j’savais qu’il serait capable de m’entendre chanter croche, pis de voir que ça pouvait quand même être beau. Y aurait pas fallu que je me retrouve dans un studio professionnel, avec un réalisateur qui me fasse recommencer parce que je chantais faux…» Et, bien sûr, l’incontournable Fred Fortin, qui a, entre autres, joué de la basse sur plusieurs pièces tout en fournissant son fameux chalet de Saint-Félicien pour que les chansons du Chihuahua mûrissent dans de meilleures conditions plutôt qu’au milieu de l’asphalte et du béton montréalais: «J’ai essayé de faire la piste de voix d’Emmène-moi au lac dans un studio à Montréal. J’ai jamais été capable de la faire! Y avait juste une petite fenêtre qui donnait sur un building… Ça fait qu’on a choisi une prise que j’avais faite tout croche chez Fred. Là-bas, j’y étais déjà, au lac, et y avait plein de fenêtres qui donnaient sur la nature. Y avait pas de questions à se poser.» C’est aussi avec Fred qu’elle chante la traditionnelle Ah! Quelle tristesse qui clôt l’album: «On avait une bouteille de whisky à l’érable pis on chantait face à face ben saouls tous les deux! C’était ça que ça prenait; moi, j’voulais une ambiance de fin de party, ben chauds dans la cuisine… C’est ça qu’on a fait!»
Et comment ne pas parler de l’alléchante chanson Le Spaghetti à papa, une authentique recette paternelle: «Je savais que j’voulais en faire une toune, mais je lui ai pas dit. C’est juste après qu’il a fini de me dicter la recette au téléphone que je lui ai dit ce que je voulais en faire… Ça fait qu’après, chaque fois que je l’appelais, il me demandait si c’était pour une chanson!» Ou du magnifique clip pour Le Teint de Linda, réalisé par Robin Aubert, la seule pièce de l’album mettant en scène un personnage fictif, et pour qui Mara n’a pas hésité à se mettre dans la peau de cette danseuse aux cicatrices révélatrices: «J’avais pas envie que quelqu’un d’autre joue Linda, pis j’avais surtout pas envie de faire du lipsync… Robin a encore mieux compris ma toune que moi! Tout l’univers qu’il a apporté, ses images, la façon d’imaginer Linda, ça dépassait ce que j’aurais pu moi-même imaginer. Nos sensibilités se rejoignent beaucoup. Mais, au début, il avait peur que je joue, vu que j’étais pas comédienne. À un moment donné, je l’ai engueulé, j’y ai dit de me faire confiance, pis qu’en plus, lui non plus en avait pas fait beaucoup, des clips…»
Mais sur scène, comme on a pu s’en rendre compte le 19 mars dernier, et comme on répétera l’expérience le 23 avril, au Cabaret, ne comptez pas sur Mara pour «faker» des émotions. «C’est pas du théâtre que je fais…, conclut-elle. J’suis là pour jouer mes tounes, j’ai pas envie de me faire une mise en scène pis d’apprendre des textes pour présenter mes chansons. J’me dis que les gens vont me prendre comme je suis, pis comme j’ai pas l’habitude de parler entre mes tounes, je trouve ça comique parce que je leur parle comme je te parle à toi. Je suis pas consciente des attentes que le public a… Pour moi, ils sont surtout là pour écouter de la musique, et pour qu’on se rencontre.» Tout ce qu’elle est, ce qu’elle a à dire et à chanter, vous l’aurez sans détours ni artifices. Vous n’aurez droit qu’aux «vraies affaires», rien de moins… et beaucoup plus!
Le 23 avril
Au Cabaret
Pour entendre un extrait de l’album Le Chihuahua en RealAudio et voir le clip Le Teint de Linda en RealVideo, consultez Voir en ligne (www.voir.ca).
MaRadio me fait Tremblay!
Histoire de gars
Dans le cadre du Radiothon de CIBL (101, 5FM), et une semaine après son spectacle au Cabaret, Mara Tremblay y retourne, le 30 avril, pour un concert intitulé MaRadio me fait Tremblay; la chanteuse trash-country sera entourée de ses amis musiciens et d’anciens compagnons de groupes. Parmi ceux-ci, Polo des Frères à Ch’val, les deux ex-Frères Thibaud de Corta et François Lalonde (ce dernier amènera également sa formation Hi-Peace), Joe Beaudoin, Fred Fortin, Rock Larue, Mononc’ Serge, Les Chiens, Martin Lapalme, Yves Desrosiers, Claude Mackenzie, Dan Thouin, Marc Déry et, la seule autre fille de la soirée, Ève Cournoyer. On a profité de l’occasion pour lâcher un coup de fil à trois représentants des précédents bands de Mara, question d’avoir leurs impressions sur la pétillante auteure-compositeure-interprète.
Joe Beaudoin, guitariste des Maringouins, un groupe reprenant des chansons de La Bolduc, avec lequel Mara a tenu la basse pendant trois ans: «Elle avait vraiment une bonne présence sur scène, et, en plus, elle avait une grosse basse Fender jazz… Avec la grosseur qu’elle a, c’était assez impressionnant! Pour nous autres, c’était un plus au niveau visuel. Y avait pas juste trois gars poche sur scène… Pour ce qui est de son album, il y a des chansons que j’aime beaucoup et d’autres moins, mais j’aime son écriture simple, et l’originalité de tout ça. Je trouve ça intéressant qu’elle arrive avec un produit osé qui ne ressemble pas à ce que font les Américains.»
Mononc’ Serge, qui a connu Mara à l’époque du premier album des Colocs, auquel elle a participé: «Son album, je l’trouve ben l’fun! C’est assez déboussolant, c’est un genre qu’on n’a jamais entendu, et c’est très varié. J’aime bien cette façon très brute qu’elle a de mettre sur papier ce qu’elle ressent. On dirait qu’elle n’a pas de filtre par rapport à ses sentiments. Et on entend souvent des chanteurs qui ne misent pas nécessairement sur les performances vocales, mais c’est plus rare chez les chanteuses.»
Polo, des Frères à Ch’val, avec qui Mara a tenu le violon et la mandoline: «Pour moi, ce n’est pas surprenant qu’elle ait son propre band aujourd’hui; lorsqu’elle était avec les Frères, elle prenait sa place en masse. Et son album, c’est tout à fait elle, c’est authentiquement Mara. De toute façon, elle n’aurait pas pu faire quelque chose de corporate, elle est trop vraie pour ça.»
Le 30 avril
Au Cabaret
Info: (514) 526-2581