Jan Garbarek : Sacrée soirée
Musique

Jan Garbarek : Sacrée soirée

Personne n’oserait contester la présence de Jan Garbarek au Festival International de Jazz de Montréal. Depuis les trente dernières années, le saxophoniste norvégien s’est imposé comme l’une des figures incontournables du jazz contemporain. Dès ses débuts à Oslo, il s’est illustré en accompagnant le légendaire Don Cherry (la papa de Neneh et d’Eagle Eye), alors qu’il n’avait que dix-sept ans. Depuis, sa production discographique a témoigné d’un parcours en zigzag: il s’est frotté à des musiques de toutes les époques et de tous les coins du monde. Le projet qu’il présente cette année au public montréalais – en la basilique Notre Dame, s’il vous plaît – témoigne bien de l’éclatement de sa démarche, et il ne pourrait pas être plus éloigné du jazz.

Depuis quelques années, Garbarek travaille en compagnie du réputé Hilliard Ensemble, un quatuor vocal qui se spécialise dans la musique ancienne, mais qui travaille aussi avec des compositeurs contemporains, dont le célèbre Arvö Part. De par la nature même des ouvres interprétées, les disques du Hilliard sont toujours empreints d’un esprit sacré, d’où la surprise de retrouver cette musique en vedette au FIJM. «Je pense que ça fait des années que je n’ai joué ce qu’on pourrait appeler du jazz, du moins selon ma définition personnelle, affirme Garbarek, joint chez lui, en Allemagne. Mais je pense que si tous les éléments sont là, c’est de la bonne musique, qui peut être appréciée dans n’importe quel contexte.»

En effet, Officium, le premier compact issu de la collaboration entre Garbarek et le Hilliard Ensemble, a touché un très vaste public, s’écoulant à plusieurs milliers d’exemplaires. En langage pop, on dirait qu’Officium est devenu un véritable «cross-over hit», transcendant les cercles souvent fermés des amateurs de musique ancienne. «J’ai été le premier surpris de ce succès, affirme Garbarek. Je pensais que le disque serait apprécié, mais seulement par une infime minorité d’amateurs, d’autant que le matériel que nous interprétons est très obscur, voire carrément inconnu. Tout le monde m’interroge sur les raisons qui expliqueraient ce succès, mais je dois avouer que je n’en ai absolument aucune idée»

La genèse de cette collaboration remonte à 1993, alors que Manfred Eicher, directeur de la maison de disques ECM (pour qui Garbarek et le Hilliard enregistraient séparément depuis des lunes), a eu une idée qui avait des airs d’épiphanie. À la suggestion d’Eicher, la première rencontre entre le saxophoniste et l’ensemble vocal a eu lieu au monastère de Saint-Gérold, où les deux disques issus de leur collaboration (Officium, lancé en 1994 et Mnemosyne, paru en Europe cette année) allaient plus tard être enregistrés. «Au départ, nous n’avions aucune idée préconçue, explique Garbarek. Nous voulions simplement savoir si nous étions compatibles au niveau humain et, après avoir réglé cet aspect, le Hilliard s’est rapidement mis à chanter des airs anciens, auxquels je me suis greffé après quelques minutes, lorsque je me suis senti à l’aise. Nous avons immédiatement décidé d’enregistrer dans la petite chapelle de cet ancien monastère. C’était très spontané, comme s’il s’agissait d’un concert, mais sans public. Il y a eu très peu de prises et à peu près pas de retouches, de façon à garder une certaine pureté.»

À partir d’ouvres très anciennes (certaines, comme le Beata Viscera de Pérotin, datent de 1200), et donc sujettes à interprétation, le Hilliard a ouvert des portes à Garbarek pour que celui-ci puisse improviser, devenant à l’occasion la cinquième voix de l’ensemble. Dans les notes qui accompagnent Officium, John Potter, le ténor du Hilliard, explique les nombreuses ressemblances entre la polyphonie et le jazz, deux types de musique qu’il considère comme les points de départ des deux idées les plus importantes de la musique occidentale: l’improvisation et la composition. «L’origine des interprétations qui figurent sur ce disque, et qui ne sont ni entièrement composées ni complètement improvisées, se trouve dans ces deux mêmes forces qui se sont éveillées à mille ans de distance l’une de l’autre», résume Potter.

«Plusieurs options s’offraient à moi: si je jouais trop fort, je me trouvais à enterrer les voix; et si jouais comme une voix, je me fondais complètement dans l’ensemble. Mais le plus important a été de me trouver une place entre les deux. Il y a eu un énorme travail d’improvisation, tant chez le Hilliard que dans mon jeu», affirme Garbarek. On le constate, la démarche n’est peut-être pas si éloignée de l’esprit du jazz, comme le faisait remarquer Potter, et sa place au FIJM est éminemment défendable. D’autant que les organisateurs ont eu la bonne idée de présenter le concert dans une salle très appropriée. «J’irais jusqu’à dire que la salle où nous jouons est le sixième membre du groupe. Comme nous ne sommes pas amplifiés, l’acoustique joue un rôle fondamental dans la qualité du concert. S’il y a beaucoup de spectateurs ou s’il y a du tapis, ce qui arrive parfois dans les églises, la réverbération est atténuée, et les voix perdent beaucoup de puissance.» Avec un lieu aussi magique que la basilique Notre-Dame, on peut s’attendre au concert le plus spirituel du FIJM.

Le 4 juillet à 20 h 30
À la basilique Notre-Dame
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