Art Ensemble of Chicago : Transport en commun
Musique

Art Ensemble of Chicago : Transport en commun

Au mois d’août 1966, le multi-instrumentiste Roscoe Mitchell, alors âgé de vingt-six ans, mit sur pied un sextet de jazz agité et chaotique qui incluait le trompettiste Lester Bowie et le bassiste Malachi Favors (le percussionniste Famadou Don Moye s’y est greffé quatre ans plus tard) afin d’enregistrer l’album Sound. Le prologue du Art Ensemble of Chicago. La philosophie avant-gardiste de cet album s’inscrivait dans la grande remise en question du jazz du moment. De toute cette fécondité naquit une importante colonie qui comptait dans ses rangs les Archie Shepp, Don Cherry, Ornette Coleman, etc. De ce sentiment d’appartenance s’est formée l’AACM (Association for the Advancement of Creative Music), une coopérative qui visait à stimuler la visibilité et la diffusion des musiques afro-américaines, initiative qui tenait ses origines dans le groupe-école de l’expérimental Muhal Richard Abrams.

Une période turbulente, à cause des luttes pour l’égalité raciale, pour les droits civils, etc.; bref, pendant un certain temps, les musiciens associés à l’AACM furent perçus comme des membres des Black Panthers. Quarante-cinq albums, mêlant références et parodies (maquillage, déguisement, mime, textes), sérieux et humour, ont marqué le périple de l’AEC depuis cette entrée en matière. Une étonnante collision de personnalités et de styles.

Beaucoup de choses ont évidemment changé. Alors j’ai appelé Famadou Don Moye chez lui, question de mettre les pendules à l’heure. «Toute la merde politique de cette époque explique en grande partie qui nous sommes aujourd’hui comme groupe. On a tenté de nous impliquer politiquement avec une réthorique sociale et des slogans, mais aucun d’entre nous n’avait une quelconque expérience du fait politique, de déclarer Moye. Black Power, ça ne veut plus rien dire. Nous n’avons pas besoin de dire Black Power, juste à le vivre, pour nous c’est suffisant. Il ne reste plus grand-chose de tout cela aujourd’hui, mais the game doesn’t change, the players change. Nous sommes vieux, et nous allons éventuellement mourir.

Le problème, c’est qu’il n’y a plus assez de jeunes pour assurer la relève, plus assez d’endroits où ils peuvent créer, et c’est imputable en grande partie à la commercialisation de la musique. Il existe des écoles de jazz, mais encore là, c’est surtout de la théorie. Alors, pour les jeunes, il reste la rue, et le hip-hop qu’on y fait, puisque la rue est la seule solution de rechange qui reste. Les jeunes Noirs ont instauré cela à partir de rien. Ils n’ont même pas d’instruments. C’est donc une nouvelle tradition qui prend racine, et c’est à nous, les plus vieux, de les comprendre.»

L’Art Ensemble of Chicago a connu son vrai départ en juin 1969, l’année où le groupe vendit tous ses avoirs personnels, y compris les meubles, pour s’exiler à Paris. La femme de Bowie, la chanteuse Fontella Bass, et leurs deux enfant ont suivi. En banlieue de la Ville lumière, ils ont fait pas moins de douze albums en dix-huit mois! En accueillant Moye dans ses rangs, la formation s’est ouverte aux percussions africaines, un tournant majeur dans le son du groupe. De retour aux États-Unis, fin 71, les quatre musiciens se sont organisés: Moye administre la coopérative et cherche les contrats, tandis que Bowie les négocie; bref, chacun a son expertise à apporter au collectif. «Nous ne sommes pas un groupe, affirmait Bowie durant cette période, où un leader dirige les autres quant à la façon de faire.» Aujourd’hui, avec une remarquable longévité, l’AEC continue de fonctionner de cette façon.

«Nous sommes toujours ensemble simplement parce que nous laissons à tous les membres le temps de s’impliquer dans leurs projets personnels. Joseph (Jarman) nous avait d’ailleurs quittés pour s’engager davantage dans ses choses à lui. Si, par exemple, Lester accepte une offre de se produire en concert – et on le sait toujours six mois à l’avance – au lieu de jouer avec nous, et qu’il peut gagner cinq fois plus, pourquoi l’en empêcher? Nous n’engagerons pas un substitut à moins que quelqu’un soit malade, nous allons simplement reporter le concert. It’s just business.»

Le quarante-cinquième et plus récent disque s’intitule Coming Home Jamaïca: «Nous sommes allés en Jamaïque pendant deux mois pour nous imprégner de la culture, et avons répété tous les jours, puis fait l’enregistrement. On ne retrouve aucun musicien jamaïcain sur l’album parce que nous n’avions tout simplement pas les moyens d’en engager. C’est ausi bête que cela. Mais lorsque nous avons fait l’album Soweto, il y avait des Sud-Africains, et il en sera de même pour le prochain, mais cette fois, nous irons à Porto Rico collaborer avec des portoricains.»

Le 9 juillet à 18 h
Au Spectrum
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