Patricia Barber : Ici et maintenant
Musique

Patricia Barber : Ici et maintenant

«Il y a plusieurs années, j’ai confié à des amis que je quitterais le vingtième siècle en hurlant ma déception. À travers tous nos concepts et nos idéaux, il y a eu la modernité. Où cela nous a-t-il menés au juste? Il y a donc une contradiction. Je suis tellement fascinée par le siècle ans qu’on vient de traverser. Et les cent prochaines années seront aussi déterminantes, même si on nage dans l’incertitude. C’est en grande partie pour cela que j’ai intitulé mon album Modern Cool.»

Patricia Barber émet des opinions sur le capitalisme, l’économie, la politique; mais peut aussi brillamment soulever le désespoir et la passion chez l’humain. C’est sa force. La quintessence de son art, c’est de faire écho aux peintres, aux écrivains, aux poètes, et parfois aux musiciens qui hurlent eux aussi. C’est la poétesse Maya Angelou qu’elle a mise en musique sur Café Blue, son intrigant et bouleversant compact, paru il y a quatre ans. Mais c’est aussi Samuel Beckett, Henri Bresson, Cézanne, E. E. Cummings, Sam Sheppard, la liste est longue. Ce qui fait de Patricia Barber l’une des musiciennes parmi les plus énigmatiques, nonobstant le genre, c’est son intarissable source créatrice. Avec trois albums aussi marginaux que novateurs, surtout Café Blue et Modern Cool, elle a attiré toute l’attention sur elle. Toute!

Les médias capotent, les dithyrambes abondent, tous s’entendent pour affirmer que Barber est une artiste majeure, à la fois percutante et lucide. Quand on lit que Café Blue est «un des dix meilleurs enregistrements de jazz vocal de tous les temps», que Café Blue est un album «to die for»: on a vraiment réussi à capter l’attention. Curieusement, sans même savoir ce que le reste de la planète en pensait, Voir a fait de Café Blue et Modern Cool ses albums jazz de l’année. Simple coïncidence?

«C’est probablement cette attention qui me donne le goût de la solitude. J’ai fréquemment besoin de me retrouver dans ma ferme du Midwest (elle habite Chicago) pour cela. J’ai un gros calendrier sur lequel je marque de couleur mes dates de tournées, et c’est fait spécifiquement pour que je ne sois pas partie trop longtemps. Je suis très jalouse de ma solitude. Mes besoins sont dorénavant différents.»

Dans cette ferme, Patricia Barber a écrit la moité des textes de Modern Cool, en plus d’y signer toutes les musiques. Dès les premiers instants de cette odyssée sonore, sur Touch of Trash, elle appose sa voix douce sur un jazz difforme au climat austère (complété par la trompette de Dave Douglas), et laisse ces mots au passage: «Masculine resolve with a feminine plan / Domination an submission / She smells the gas then lights the match.» Barber affiche sa préférence sexuelle subtilement, au point d’adapter She’s a Lady (Paul Anka) dans une version langoureuse et sensuelle à mourir. Du même coup, elle propulse la version poilue de Tom Jones aux calendes grecques…

«Après la sortie de Café Blue, j’avais déjà écrit pas mal toutes les chansons de Modern Cool. Je n’ai donc pas vécu l’angoisse de faire mieux que mon précédent, même s’il avait unanimement rallié la critique. Il y a un lien très audible dans la progression entre ces deux albums. Ce que Café Blue a instauré, Modern Cool l’a développé. Il y a une émotion dans le timbre de ma voix qui suscite une certaine intimité, et j’essaie de la marier à une discipline dans ma façon de rendre les chansons. J’aime la tension qui en découle, au point d’en oublier la forme. Finalement, la plus grande différence avec Café Blue, c’est que j’ai renforcé l’aspect composition. C’est devenu ma grande motivation. C’est ce qui me donne le goût de me lever le matin.»

Patricia Barber est une pianiste timide en concert. Ce qu’elle avoue sans problème. Lors de sa seule escale à Montréal, il y a deux étés, la pianiste de quarante-trois ans, concentrée dans sa bulle, évitait le regard de la foule. Un inconfort qu’on oublie vite dès que sa douce folie s’installe.

«Ce que j’ai voulu faire ressentir à travers la musique de Modern Cool, c’est que rien ne fonctionne aujourd’hui. Nous sommes devenus plus ou moins matérialistes. C’est, pour moi, une chose positive que d’évoquer les bonnes valeurs qui semblent oubliées, comme, par exemple, le sens de la mélodie. Oui, la nostalgie est une bonne chose. C’est pourquoi mon prochain disque en sera un de standards du jazz. Ce n’est pas ma compagnie de disques qui l’a voulu ainsi, c’est moi. Et la raison de cela, c’est que je ne voulais pas être mise en marché comme une interprète de vieux classiques. Mais, au demeurant, je préfère être une artiste qui fait du jazz pour notre époque, aujourd’hui et maintenant.»

Le 4 juillet à 21 h
Au Spectrum
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