Musique

Prise de son : Bain de jouvence

Comme beaucoup de monde, je me suis précipité à Ex-Centris, le week-end dernier, parce que j’avais hâte, très hâte de voir ce que Wim Wenders avait fait avec le célèbre Buena Vista Social Club, une douzaine de vieux musiciens cubains (dont la moyenne d’âge doit largement dépasser les soixante ans), regroupés autour du guitariste américain et instigateur du projet, le non moins célèbre Ry Cooder.

En partie documentaire sur l’enregistrement de l’album solo d’Ibrahim Ferrer (un des chanteurs du collectif), en partie portrait des différents musiciens qui participent au projet, en partie concert filmé, Buena Vista Social Club – Le Film ressemble étrangement à ses protagonistes: à la fois d’une très jolie naïveté et d’un immense respect pour cette même naïveté.

Comme si tous les intervenants étrangers (et Cooder le premier) avaient réussi l’exploit de faire entrer ces musiciens dans le monde moderne, sans changer quoi que ce soit à leur personnalité, à leur perception du monde et de la vie. C’est cette fraîcheur qui constituait une grande partie du charme du disque, c’est cette même spontanéité dans le regard qui assure la réussite du film.

Avec des bonshommes comme ceux-là, personne n’a besoin d’inventer des personnages. On aurait voulu scripter des répliques de ce film, que personne n’y aurait cru tellement les vieux musiciens sont typiques et ont su rester fondamentalement naturels. Sans toutefois savoir que c’est justement ce naturel qui fait leur charme.

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Soyons tout de même francs: on n’apprend pas grand-chose dans le film de Wenders. Ni sur le processus d’enregistrement de ces disques, ni sur la façon dont les chansons ont été récoltées (parce que la plupart n’ont pas été composées spécialement pour le Buena Vista ou pour Ferrer), ni sur le lourd passé des musiciens présents.

On n’apprend rien de façon formelle; mais une image, une seule, vaut tout le film: la bonne bouille d’Ibrahim Ferrer, à la toute fin du dernier concert que le collectif a donné au réputé Carnegie Hall de New York, l’été dernier. La bonne bouille du travailleur fier du devoir accompli. La bonne bouille de celui qui, à plus de soixante-dix ans, vient de découvrir une nouvelle forme de bonheur. La bonne bouille de celui qui en a arraché, mais qui voit soudainement une éclaircie après des années de pluie passagère.

Un visage ému, mais qui en laisse si peu paraître. Un visage vieux, mais tout à coup complètement illuminé. Le Buena Vista Social Club aura servi beaucoup à ça: donner une seconde jeunesse à de vieux musiciens qui auraient mérité bien plus qu’un dernier tour de piste…

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La semaine dernière, j’ai finalement eu mon baptême de WD-40, un des groupes favoris de notre expert ès scène locale, Eric Parazelli. Depuis le temps qu’il m’achalait pour que j’assiste à un show de WD-40…

Et je n’ai pas été déçu. Trio mené par le bassiste et chanteur Alex Jones, WD-40 donne dans un rock basique (qui n’exclut pas des influences aussi diverses que le punk et le country), avec un entrain contagieux. Si, musicalement, tout va bien pour moi, c’est au niveau des textes que je suis un peu perplexe: doit-on nécessairement être aussi adolescent pour écrire des textes rock? Doit-on nécessairement être grivois? Doit-on obligatoirement parler de pipi, de caca et de poil? Peut-on parfois (et je dis bien: parfois) juste élever un peu le niveau de la conversation, sans toutefois tomber dans la grande philosophie? Juste élever un peu le niveau?

Et si je suis à ce point exigeant, c’est que je crois sincèrement qu’Alex en est capable…

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Dans sa collection Variétés, dirigée par Véronique Mortaigne, journaliste au Monde, Actes Sud vient de lancer deux bouquins: Je me souviens du rock, de Gilles Verlant; et un énième livre sur le vraiment regretté Serge Gainsbourg, écrit par un psychanalyste qui tente, grâce à sa science et à son discours assez pompeux, d’élever ce que Gainsbourg qualifiait lui-même d’art mineur au rang des majeurs. Un livre qui n’est pas fait pour les amateurs de chansons, mais pour ceux qui tripent psychanalyse.

Le bouquin de Verlant est complètement à l’inverse. En cinq jours, le journaliste belge a écrit un peu plus de cinq cents «Je me souviens»: cinq cents clichés sur le rock, sur ses histoires (la petite comme la grande), sur ses coups de toutes sortes, sur ses héros et ses conneries. Ça se lit tout seul, en une petite heure; et vous n’en retiendrez rien que vous ne sachiez probablement déjà: oui, Ozzy Osborne a déjà décapité des pigeons, Alice Cooper a déjà monté une guillotine sur scène, et Sid Vicious a déjà chanté My Way.

L’histoire du rock est effectivement faite de mille et une anecdotes. Mais celles-ci ne font pas l’histoire du rock.