La Constellation : Chansons de geste
Musique

La Constellation : Chansons de geste

Moins d’un an après la sortie de son premier album, La Constellation est à l’orée d’un premier virage important. À l’heure du bilan, le groupe hip-hop le plus populaire de Québec fait un pas en arrière, mais c’est pour prendre un nouvel élan et mieux foncer dans le tas_

Le 8 juillet dernier, La Constellation montait sur la scène Molson Dry du Festival d’été. Tout comme Sans Pression, Rainmen, Shades of Culture et Fonky Family, le duo prenait place dans la caravane hip-hop qui sillonne le Québec depuis le début du mois de juillet. Ce concert devait en quelque sorte consacrer Onze (Jérôme Allard) et 2 Faces (Francis Belleau), qui forment sans aucun doute le groupe rap le plus en vue de la capitale. En effet, depuis sa signature avec l’étiquette Tacca (Kevin Parent, Jorane, France D’Amour), La Constellation s’est hissé dans le peloton de tête du hip-hop québécois, écoulant près de quinze mille exemplaires de son premier album intitulé Dualité.

Contre toute attente, l’entrée en scène des rappeurs de Québec n’a pas suscité que des bravos et des hourras. Une partie de l’imposante foule massée au Parc de la francophonie a hué copieusement le duo originaire de Saint-Nicolas. Quelque peu décontenancés, Onze et 2 Faces ont connu des moments difficiles derrière leurs micros, mais sont tout de même parvenus à calmer le jeu. Les détracteurs du groupe n’ont cependant pas lâché prise aussi facilement; en plus de crier leur désaveu, ils ont lancé des projectiles en direction du duo. Une paire de tomates bien mûres se sont même écrasées aux pieds des deux MC’s.

Le lendemain de l’incident, 2 Faces était d’une humeur particulièrement changeante. Sa surprenante désinvolture se transformait rapidement en une colère bouillonnante. «On s’y attendait un peu, avouait le MC. Québec, c’est notre ville, mais on ne fait pas l’unanimité. Il y a beaucoup de tension; on a eu des accrochages avec quelques groupes et il y a cette rivalité rive-sud/rive-nord qui a toujours existé. Tout le monde se connaît, tout le monde essaie de faire mieux que l’autre, de se faire connaître avant l’autre», racontait le rappeur, qui met le geste sur le compte d’une guerre de clans nourrie par une jalousie malsaine et malvenue.

Dualité
Cette mésaventure ne fait pas que mettre en lumière des conflits demeurés latents ou peu médiatisés jusqu’à ce jour, elle bouscule sérieusement les idéaux de paix et d’unité que la culture rap professe plus souvent qu’autrement. 2 Faces n’est d’ailleurs pas tendre à ce sujet: «Les histoires d’union dans le hip-hop, c’est de la bullshit! Tout le monde parle dans le dos de tout le monde. Dès que tu as le dos tourné, il y a quelqu’un avec un poignard dans la main, prêt à frapper. Ça a toujours été comme ça et ce sera toujours comme ça. C’est la mentalité qui vient avec le hip-hop.»

L’instant d’après, le MC modérait ses transports. Le discours unificateur véhiculé par nombre d’artistes découle selon lui d’une volonté réelle. «Ce sont de vraies intentions», affirmait 2 Faces; mais dans les faits, tout le monde se «bitche». L’incident des tomates n’est qu’un épisode de plus de cette guerre de clans. Il croit d’ailleurs que le geste a été posé par d’anciens compagnons d’armes, des gens de Québec avec qui Onze et lui ont déjà fait des concerts, ce qui l’enrage et l’attriste en même temps.

2 Faces n’en veut à personne de ne pas aimer ce que fait La Constellation, il critique seulement la façon dont certains manifestent leur sentiment. «Crier chou, c’est correct; mais quand t’es motivé au point d’amener une tomate pour la lancer, c’est que tu as des comptes à régler. C’est de la haine. Et je trouve cela très lâche de faire ça de loin, avec un projectile.»

«Quand on est sorti de scène, on en a parlé avec les autres groupes [de la caravane hip-hop]. Tout le monde prenait ça avec un grain de sel, parce que tout le monde a déjà vécu cette game-là dans le hip-hop. Nous, c’est arrivé au Festival d’été», a laissé tomber le MC, sans animosité, mais avec une pointe d’amertume.

La quête
Malgré l’incident, Onze et 2 Faces ne se remettent pas en cause. Quelques heures avant le concert du Festival d’été, le duo traçait d’ailleurs un bilan plutôt positif des neuf mois qui se sont écoulés depuis la sortie de Dualité, au mois de novembre dernier. «On a acquis beaucoup d’expérience et ça ne s’achète pas», résumait 2 Faces.

Les deux gars de Québec ont de quoi être fiers, en effet. Avec leur premier disque, ils ont prouvé sans l’ombre d’un doute que le hip-hop avait droit de cité en dehors de Montréal. Alors que leur tube Le 7e Jour les imposait parmi les têtes d’affiche du hip-hop d’ici, des chansons comme Berceau de l’Amérique ou Légende du Nord prouvaient qu’il est possible d’intégrer intelligemment une dimension proprement québécoise à la culture rap. Et si on a reproché à Onze et 2 Faces de calquer les Marseillais de IAM, personne n’a mis en doute leur capacité à écrire des rimes solides ni l’efficacité de leur «flow».

Même si La Constellation brille toujours de mille feux et continue à défendre son album sur scène, le duo s’apprête à négocier l’un des virages les plus importants de sa jeune carrière. Le groupe ne se sépare pas, mais 2 Faces a décidé de lancer un album solo. Entre les nombreux concerts que La Constellation doit donner dans différents festivals, avec la caravane hip-hop ou dans le cadre du Grand Pique-nique de Kevin Parent, l’aîné du groupe se terre dans un studio montréalais. Son album, sur lequel Onze figurera à titre d’invité, assure-t-il, devrait paraître dès l’automne prochain.

Pourquoi ne pas consolider la position de La Constellation sur l’échiquier musical québécois avant de se lancer en solo? Parce que la meilleure façon d’imposer un artiste, un groupe ou un clan dans le milieu hip-hop, c’est justement de le faire voir sous toutes ses coutures. L’énorme succès remporté par IAM n’a pas empêché Akhénaton, Khéops, Shurik’N et, récemment, Freeman, de tenter l’aventure en solo. C’est l’extraordinaire effervescence qui règne dans le milieu rap qui oblige les artistes à agir de la sorte, croit 2 Faces.

«Le rap est tellement actuel, les groupes poussent comme de la mauvaise herbe, juge le MC. Il faut demeurer actif et se tenir à jour. Si on saturait trop avec La Constellation, à un moment donné, les gens n’en pourraient plus. En variant le produit tout en restant près de la même source, on peut se permettre d’être présent sur la scène continuellement», évalue-t-il.

«On est un groupe, mais il y a deux têtes. Il y a des trucs que Francis a le goût de faire et qui me tentent plus ou moins», rajoute Onze, sans oublier de souligner que lui aussi nourrit des projets auxquels son partenaire s’intéresse moins. «C’est du hip-hop qu’on fait, on n’est pas mariés», s’exclame 2 Faces. «Quand tu travailles seul, tu n’as pas de comptes à rendre. Tu peux aller jusqu’au bout, ta liberté est infinie. [_] On ne se dissocie pas, précise le musicien. C’est seulement l’individualité après la dualité_»

Un pas de plus
Les deux MC’s de La Constellation sont à la croisée des chemins, mais il n’est pas question pour eux de remettre en question leur association. Les chansons qu’ils travaillent ensemble ne sont pas prêtes? Qu’à cela ne tienne, ils reviendront plus forts dans un an ou un peu plus. D’ici là, leurs aventures solos respectives (Onze travaille aussi à un disque, même s’il est moins avancé que 2 Faces) auront permis aux fans du duo de découvrir de nouvelles facettes du talent et des personnalités des deux rappeurs de Québec.

Ces derniers ne sont d’ailleurs pas à la veille de se retirer à l’ombre des projecteurs, ils ont encore de nombreux engagements à remplir cet été. Parmi les concerts prévus au calendrier, il y a bien sûr ce grand pique-nique auquel Kevin Parent a convié La Constellation. Le groupe est-il anxieux à l’idée de remonter sur scène à Québec? Il semblerait que non: «Ce ne sera pas le même public avec Kevin Parent, souligne 2 Faces, on ne sera pas confronté au milieu hip-hop jaloux_»

Le MC lance d’ailleurs un avertissement à ses détracteurs: en solo ou en duo, Onze et lui reviendront «plus forts avec le doigt plus haut_»

Le 22 juillet
À l’Agora du Vieux-Port
Voir calendrier Rock & PopFiche TechniqueNom: La Constellation. Duo formé de Jérôme Allard (Onze), 19 ans, et de Francis Belleau (2 Faces), 20 ans.Lieu de naissance: Saint-Nicolas, rive sud de QuébecDiscographie: Dualité, enregistré à Toronto et paru en novembre 1998 sur étiquette Tacca. Historique: Jérôme et Francis sont devenus copains à l’adolescence. À l’époque, Jérôme participe au collectif Preshapack, précurseur du rap à Québec. Lorsque le collectif se démantèle, les deux MC’s forment Eleventh Reflektah et font du rap en anglais pendant trois ans. Ils changent ensuite le nom de leur groupe pour La Constellation et se mettent à rapper dans la langue de MC Solar. Influences: Jérôme et Francis ne jurent d’abord que par le hip-hop américain. Illmatic de NAS et The infamous de Mobb Deep figurent au sommet de leur palmarès. C’est en découvrant la bande sonore du film La Haine, de Mathieu Kassovitz, que les deux MC’s de Québec comprennent qu’il est possible de faire du rap en français.Philosophie: Francis et Jérôme n’ont rien des bad boys qui peuplent le rap américain, mais ils ne font tout de même pas de la musique pour enfants. Tandis que Jérôme met de l’avant l’expression carpe diem (saisir le jour), Francis se reconnaît dans une phrase de la Fonky Family, citée dans la chanson Le 7e Jour: «L’argent, la boisson, la fumée et les femmes.» «Quand t’as tout ça, t’es heureux, non?», dit-il.