

Stephan Eicher : Bonheur d’occasion
Laurent Saulnier
Disons-le tout net, dès le départ: à la suite de Mille Vies, on n’attendait plus grand-chose de Stephan Eicher. Comme si le chanteur suisse appartenait à une époque aujourd’hui, malheureusement, révolue. Lorsque Louanges, son tout nouveau compact, est arrivé sur mon bureau, j’étais encore sceptique, malgré l’accueil plus que favorable qu’il avait reçu dans la presse européenne. Il me fallait l’entendre pour le croire, même si en regardant la pochette, un nom saute aux yeux: Malcolm Burn, réalisateur. «Il y a une tendance dans la musique moderne autour de Malcolm Burn, Pierre Marchand ou Daniel Lanois: tous des Canadiens! dit Eicher, joint à Nyon, en Suisse, alors qu’il se préparait à faire sa balance de son en vue du concert du soir, au chic Paléo Festival. Ces gens ont un don pour enregistrer les voix, et je me disais qu’ils savaient des trucs que je ne savais pas. Dès le départ, j’ai averti Malcolm que j’étais pour l’épier et tout lui piquer. Et j’ai vraiment appris plein de choses.»
Dès les premières écoutes de Louanges, l’évidence nous saute aux yeux: Eicher est non seulement de retour, mais il est vraiment en bonne forme. Il retrouve ses collaborateurs habituels (Philippe Djian aux textes, Achim Meier aux claviers, etc.) et fait entrer de nouveaux membres dans sa famille, grâce, particulièrement, à Burn: «Non seulement Bill Dillon a joué de la guitare sur l’album, mais il a accepté de partir en tournée avec nous, dit Eicher. Ça nous a un peu surpris parce que, normalement, Dillon refuse de faire de la tournée…»
Cela dit, il ne faut pas croire que le son de Louanges est entièrement différent de ce que l’on connaît d’Eicher. On y retrouve certaines odeurs celtiques (Ce peu d’amour). On reconnaît immédiatement cette tessiture vocale unique, qui n’est pas sans rappeler Bob Dylan dans une chanson comme Le même nez. Malgré la richesse instrumentale de Louanges, on retrouve également cet amour indéfectible pour les guitares, instrument de base d’à peu près toute la discographie d’Eicher.
Ni totalement pareil, ni radicalement différent, Louanges assure cependant une réelle continuité dans l’ouvre du Suisse, en ligne droite avec Carcassonne ou Engelberg. Et c’est le mal-aimé Mille Vies qui fait tache: «C’est un disque d’un mec tout seul. Il faut même, je crois, l’écouter avec un casque pour l’apprécier. Mille Vies, c’est du concentré. Mais tout cela était voulu. Lorsque je me suis assis avec Djian pour écrire cet album, on s’est dit que ce compact s’adresserait aux vrais fans curieux. On voulait essayer autre chose. On s’est même mis des interdictions: les trois accords habituels, ou le mot "amour", par exemple.»
Dans le fond, ce qui a le plus changé chez Stephan Eicher, ce n’est pas la musique ni les textes, mais bien l’attitude. Je ne crois pas qu’aujourd’hui il monterait sur scène avec un miroir comme élément de décor, comme à l’époque d’Engelberg. Il serait facile de faire l’équation: échec de Mille Vies = ego revenu à des proportions plus normales. Mais il faut peut-être aller chercher un peu plus loin géographiquement. Au cours des dernières années, Eicher a beaucoup délaissé ses confortables marchés de l’Europe francophone et du Québec pour tourner, en formation réduite, en Afrique et en Asie. Disons que ça change les perspectives: «Effectivement, j’ai eu ma période diva, avouait le chanteur à Anne-Marie Paquotte de Télérama. D’accord, me suis-je dit, tu fais ta rock-star, et ça te mène où? Tout cela n’a qu’une importance relative.»
Un mois plus tard, le discours est le même, tourné vers une petite humilité finalement retrouvée: «J’ai le meilleur boulot du monde. Je m’amuse, et je suis payé en plus!» Même ça, il y a quatre ou cinq ans, Eicher ne l’aurait, je crois, jamais avoué. Et même s’il a toujours été un homme de scène, je ne suis pas convaincu qu’à cette époque, il aurait accepté de faire un second concert gratuit à l’extérieur…
Le 31 juillet à 19 h
Au Spectrum
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