

Woodstock 99 : Une fois n’est pas coutume
Laurent Saulnier
Photo : Laurent Saulnier
pour le diaporama
Pour sa troisième édition (69, 94 et 99), le festival américain a vu encore plus grand. Au grand plaisir des faits divers, mais au détriment de la musique…
Le plus beau moment, pour moi, de ce Woodstock 99 s’est déroulé dimanche midi. Je terminais mon premier vrai petit déjeuner de ce festival (grilled-cheese, salade de fruits, café) et descendais vers la scène principale sous un soleil de plomb, pour la troisième journée consécutive. Soudainement, des haut-parleurs de cette grande scène, une chanson: Woodstock, par Crosby, Stills, Nash & Young. Ç’a duré trois minutes et demie, et ce fut un concentré de bonheur.
Parce que, il faut bien le dire, le reste n’était vraiment pas à l’avenant. Évidemment, je n’étais pas au Woodstock original, celui de 69 (pas plus qu’à celui de 94, soit dit en passant); il m’est donc impossible de faire de véritables comparaisons; mais, chose certaine, la culture véhiculée par le Woodstock 99 n’a rien, mais strictement rien à voir avec celle de 69. Je ne vous dirai pas laquelle est la meilleure, mais je crois que vous allez comprendre assez rapidement.
S’il y a une culture mise de l’avant en 99, c’est certainement celle des «jocks», vous savez, celle des joueurs de football ou de basketball collégiaux américains, pour qui la grande réussite relève d’un exploit finalement assez peu recommandable: lorsqu’ils demandent à une fille de leur montrer ses seins, elle le fait! C’est d’ailleurs la phrase la plus entendue au cours de ces trois jours: «Show your tits!»
C’est cette culture qui a propulsé un groupe comme Limp Bizkit, pourtant l’un des plus morons de toute la scène alternative américaine (malgré la haute tenue de leur single Nookie). Limp Bizkit qui, sur scène, plutôt que de tenter de calmer les ardeurs des quelque 200 000 personnes présentes, a tout fait pour mettre le feu aux poudres et inciter les gens à faire le plus de grabuge possible. C’est cette culture qui peut se vanter d’être, comme un gars l’a si bien écrit à la main sur sa camisole blanche, 100% White thrash.
Pour le reste, vous le savez déjà, oui, des tout-nus, il y en avait. Oui, il y a eu des problèmes de conduites d’eau assez graves, qui ont créé le débordement des toilettes portatives, et oui, ça puait énormément dimanche. Des kiosques de bouffe (enfin, si on peut appeler ça comme ça: de hot-dogs, de pizza, de hamburgers, de frites, etc.), il y en avait sur au moins un kilomètre. De la bière? Oui, mais pas tant que ça. De la drogue? Oui, aussi. Mais pas tant que ça non plus. Pas plus que dans n’importe quelle grande ville qui compte 200 000 habitants, avec une moyenne d’âge se situant autour de vingt ans.
Et la musique?
Honnêtement, malgré la qualité générale du son et des changements de scène très rapides (rarement plus de vingt minutes), il n’y a pas pire place pour écouter de la musique que dans une immense foule. La plupart des festivaliers l’ont compris bien avant moi: ceux-ci semblaient être à Woodstock 99 beaucoup plus pour l’immense party que pour vraiment écouter de la musique. Le vrai événement, c’était cette foule.
Pour replacer les choses dans une juste perspective, disons que la plupart des groupes présents, on les a déjà vus à Montréal et dans de bien meilleures conditions, et cela même si j’ai régulièrement réussi à me faufiler assez près de la scène. À côté du site de Woodstock 99, le Centre Molson a l’intimité du Bistro à Jojo… Vous comprendrez donc que je n’ai pas assister là à des concerts mémorables…
Pour vous donner un exemple, j’ai passé la fin de ma soirée de samedi dans le fin fond de la foule. Je n’ai donc pas vraiment vu Limp Bizkit, Rage Against the Machine et Metallica. Trop loin. En fait, de cet endroit, même l’écran géant avait l’air d’une minuscule télé. Mais je les ai entendus. J’ai entendu toutes les niaiseries de Fred Durst, le chanteur de Limp Bizkit. J’ai entendu Rage, et il me semble que le groupe groove plus, est moins carré qu’avant. J’ai entendu presque tout le show de Metallica (qui avait l’air, bien évidemment, en grande forme…), qui a commencé avec sa reprise légendaire de So What?, jusqu’à ce que les haut-parleurs de relais flanchent…
Vendredi soir, lorsque je suis arrivé, j’avais plus de courage. Ou peut-être plus d’inconscience. En fait, plus la soirée avançait, plus je m’approchais de la scène principale. The Offspring – on va finir par vraiment les aimer… – a livré un excellent concert. Et l’attitude de Dexter Holland, le chanteur, tranchait radicalement avec tous les Limp Bizkit de la planète. Il a été le seul à préciser que Woodstock 99, c’était autant pour les filles que pour les gars, et que si celles-ci voulaient faire du crowd-surfing, ce n’était pas une raison pour tenter de leur poigner les seins à pleines mains ou de baisser leurs pantalons. Respect.
Tout de suite après, Korn a enchaîné dans un déluge sonore lourd, puissant, pas très subtil, mais terriblement efficace. Sûrement un des groupes que la foule de Woodstock attendait le plus. Est-ce utile de préciser qu’après la tempête Korn, Bush a eu un peu de difficulté à rameuter les troupes? Est-ce nécessaire d’ajouter que seules les filles semblaient prendre leur pied rien qu’à voir le chanteur Gavin Rossdale? Peut-être même est-ce pour cette raison que j’ai réussi à regarder le show de Bush du mosh-pit, qui brassait, oui, mais jamais autant que le lendemain.
En fait, le mosh-pit était plus impressionnant par son étendue que par son intensité. Imaginez quelque chose comme deux ou trois (peut-être même quatre…) patinoires du Centre Molson collées, et vous aurez une petite idée de la surface occupée par le mosh-pit. Vu de haut, sur les côtés, c’était fascinant. Une gigantesque marmite humaine qui va dans tous les sens en même temps. À l’intérieur, c’était encore pas si mal.
Le lendemain dans la journée, rien de bien mémorable. The Tragically Hip a livré un concert nettement en dessous de ce qu’il sait faire. Gordon Downie, le chanteur, semblait complètement perdu. Le groupe de Kingston était suivi de Kid Rock, un autre apôtre de cette fameuse «jock culture», mêlant assez adroitement métal et rap, blues et hip-hop, avec une agressivité sans cesse renouvelée. Quant à Wyclef Jean, il a sûrement réservé à Woodstock une de ses pires performances à vie n’interprétant, que très peu de ses propres chansons (dont `Til November), rendant hommage à Jimi Hendrix (bâillements) et invitant on ne sait qui à chanter Piece of my Heart pour saluer une autre grande disparue des années 70: Janis Joplin.
Everclear n’a jamais été aussi heavy que samedi après-midi et Ice Cube n’a pas bougé d’un poil depuis sa dernière visite à Montréal, il y a bien huit ou neuf ans. La journée de dimanche s’est amorcée tranquillement avec le vieux Willie Nelson (qui ne joue pas très bien de la guitare, mais on s’en fout un peu, sa voix nous suffit), avant que la scène ne soit envahie par le Brian Setzer Orchestra qui a réussi à faire vraiment danser la foule, autrement qu’en se poussaillant dans le mosh-pit. Everlast, quant à lui, a proposé un bien drôle de set, hésitant entre le hip-hop old-school et son néo-hip-hop mâtiné de blues. Vers quatre heure, le présentateur a annoncé que la pluie s’en venait. Bon temps pour partir…
Plusieurs heures plus tard, je franchissais la frontière au poste de Lacolle. Interrogatoire serré et fouille en règle de la voiture. Alors que les agents des douanes terminaient l’inspection de ma voiture, j’entends dans le walkie-talkie de l’un deux: «Je t’en envoie un autre pour l’opération Woodstock…»
Honnêtement, on ne m’y reprendra plus…