

Yann Tiersen : Tenir le phare
Nicolas Tittley
Lorsqu’on a découvert Yann Tiersen sur Le Phare, il y a un an et demi, il y a d’abord eu le choc de la musique: loin des clichés du rock, le musicien breton traçait les contours d’un univers très personnel avec de subtiles touches de violon, de piano, d’accordéon ou de piano jouet, le tout formant un drôle de mélange de nostalgie gitane et de bretonnerie pluvieuse. On a bien senti que des voix traversaient ce paysage, mais elles se fondaient aux autres bruits du Phare: ceux des pas dans la rue, d’une roue de bicyclette qui tourne, des grillons qui crient dans la nuit, des haubans qui sifflent et des mâts qui craquent dans le vent. «Lorsque je travaille, j’aime bien que les morceaux que je compose aient un lien avec la réalité que je vis, qu’ils servent de journal personnel en quelque sorte, explique Tiersen, joint à Paris. Sur le disque, je trouve que ces bruits marquent une transition, mais, lors de l’écriture, ils me servent à rattacher les pièces à la réalité. Quand j’ai composé Le Quartier, par exemple, j’ai installé deux micros à la fenêtre pour capter les bruits de l’extérieur.»
On imagine aisément le compositeur solitaire accoudé au rebord d’une fenêtre avec vue, esquissant les premières notes de La Noyée, de L’Arrivée sur l’île ou de la superbe Les Bras de mer, autant d’évocations de sa Bretagne natale.
Sur Tout est calme, récent mini-album sorti en complément du Phare (dont il reprend d’ailleurs quelques titres), le même sentiment revient, mais on sent une subtile ouverture: bien que toujours loin du rock, Tiersen travaille maintenant avec les membres du groupe Married Monk, qui l’accompagnent en tournée. Entre-temps, on l’a aussi vu remixer À ton étoile de Noir Désir et collaborer avec Neil Hannon de Divine Comedy. Bref, le solitaire sort de sa coquille. «J’ai travaillé longtemps tout seul; en fait, sur mes trois premiers albums, je joue de tous les instruments. Mais, au fil des rencontres, j’ai croisé des gens avec qui j’avais envie de travailler, dont Sacha Toorop (également batteur de Dominique A) et les gars de Married Monk, qui m’ont permis d’ouvrir les choses.»
Formé au Conservatoire, Tiersen n’a pourtant rien d’un académicien, pas plus qu’il n’est, comme on l’a dit, soumis aux diktats étouffants du rock indépendant. En fait, il exprime le meilleur des deux mondes. «Il y a des instruments que je maîtrise mieux parce que je les pratique depuis l’enfance, comme le piano et le violon. Mais à treize ans, je me suis mis à la guitare, j’ai joué dans un groupe, et c’est ça, plus que mes années de Conservatoire, qui m’a donné le goût de faire de la musique. À cette époque, j’avais abandonné le piano. J’avais désappris les tics, mais j’avais gardé la technique, alors ça m’a permis d’aborder ces instruments d’une toute nouvelle façon, beaucoup plus libre.»
Si Le Phare nous montrait un chanteur plutôt modeste, voire gêné, qui semblait préférer son rôle d’instrumentiste en donnant les voix à d’autres (notamment Claire Pichet et Dominique A), Tout est calme marque l’arrivée de Yann Tiersen, le chanteur. La voix, discrète, est à peine chantée, mais c’est la sienne. «Sur Le Phare, les chansons sont surtout en anglais, pour des raisons purement mélodiques, et je ne sentais pas vraiment le besoin de les chanter; à l’époque, je pensais que Claire et Dominique s’en chargeraient beaucoup mieux que moi. Mais quand je me suis mis à écrire de plus en plus de chansons en français, c’est devenu plus personnel, et je ne pouvais plus imaginer que quelqu’un d’autre que moi puisse les chanter.»
Les 4 et 5 août à 19 h
Au Monument-National
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