

Musique en Nouvelle-France : Il était une foi…
Marie-Ève Bouchard
C’est principalement grâce aux Relations des Jésuites et aux registres des différentes communautés religieuses que l’histoire de la musique au Québec a pu être reconstituée en partie. Ces documents, véritables annales de la musique sacrée, montrent notamment l’importance du chant grégorien dans la colonie, utilisé non seulement lors des services religieux, mais aussi en tant que moyen d’évangélisation. Willy Amtmann, dans son ouvrage La Musique au Québec: 1600-1875, souligne en effet certains traits communs entre ces chants liturgiques et les incantations indiennes, traits qui auraient attiré les «sauvages»: «L’Indien comprenait donc davantage la musique rituelle que celle plus expressive, plus sensuelle, plus mélodique et plus rythmée de la chanson profane. Les prêtres eurent tôt fait de reconnaître le penchant des Indiens pour la musique, et l’exploitèrent abondamment dans l’oeuvre d’évangélisation.»
C’est également aux Jésuites, aux Récollets, aux Ursulines et aux Augustines qu’était confiée l’éducation musicale des enfants amérindiens et européens. Éducation qui consistait à apprendre le solfège et à écrire des pièces grégoriennes. Le père Paul Le Jeune, supérieur des Jésuites et professeur de musique au milieu du XVIIe siècle, a d’ailleurs traduit en langue indigène certains chants liturgiques. L’enseignement instrumental sera quant à lui beaucoup plus présent au XVIIIe siècle, et sera dispensé entre autres par les Ursulines qui enseignaient la viole, la guitare et la harpe et par les Augustines de l’Hôpital général qui enseignaient entre autres l’accordéon à leurs pensionnaires. Il faut rappeler qu’à cette époque, l’apprentissage de la musique faisait partie de l’éducation de toute jeune fille digne de ce nom, comme le mentionne Marie de l’Incarnation dans une lettre datée du 3 septembre 1640: «Agnès Chablikuchich nous fut donnée… Elle a fait de très grands progrès auprès de nous, tant dans la connaissance des mystères que dans les bonnes moeurs… à lire, à jouer de la viole.» Certains instruments comme l’orgue, le serpent et la basse de clairon étaient également utilisés à l’église, bien que les oeuvres à prédominance vocale aient été plus courantes, particulièrement le motet et la cantate.
Sacré profane!
En ce qui concerne la musique profane, il est navrant de constater que la plupart des voyageurs n’ont pas mentionné cet aspect de la vie sociale dans leurs chroniques. Lacune que les religieux n’ont pas su combler, vu leur manque d’intérêt pour le genre ainsi que leur méfiance face à la danse et leur réticence face à certaines chansons populaires plutôt vulgaires. Ainsi, Mgr de Pontbriand recommandait aux prêtres d’Acadie de ne pas accorder l’absolution à «tous ceux qui auraient dansé les dimanches et jours de fête après le coucher du soleil, et encore moins si l’on avait chanté des chansons grivoises».ª Ces chansons, apportées par les colons et soldats venus de Normandie, d’Île de France, du Poitou, du Saintonge et de Basse-Loire, se sont perpétuées de génération en génération, au grand étonnement des folkloristes français qui ont pu retrouver chez nous certains airs presque disparus en France.
D’autre part, il semble que malgré les restrictions de l’Église, les premiers Québécois aient dansé le menuet, la gavotte et le tambourin lors des bals, fêtes et mariages célébrés dans la colonie. Ces événements populaires sont toutefois loin de se comparer aux ballets de Lully et de Rameau ou encore aux opéras alors créés en France, et il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle avant que la musique symphonique atteigne les rives de Québec, et le XIXe siècle avant que des troupes ambulantes viennent présenter des opéras. La Nouvelle-France s’est donc contentée de ses musiciens amateurs, qui s’occupaient d’interpréter les oeuvres apportées de France et d’enseigner leur art selon les traités de composition et méthodes de Rameau, de Nivers ou de Hotteterre.
Pour une idée véritablement musicale de notre histoire, il est possible de se procurer les disques officiels des Fêtes de la Nouvelle-France 1998 qui offrent une grande variété d’oeuvres profanes (chansons folkloriques, amérindiennes et airs baroques) joués par des interprètes fort compétents. Pour ce qui est de la musique sacrée, le disque d’Antoine Bouchard, L’Orgue classique français en Nouvelle-France, qui contient des ouvres de Nivers, de Le Bègue, de Marchand et du Livre d’orgue de Montréal, me semble un choix fort pertinent. Finalement, L’Ensemble Nouvelle-France a également produit plusieurs disques de qualité dont Femmes corps et âmes (1996) et Victoire & Réjouissances à Québec (1997).
Les Fêtes de la Nouvelle-France
Jusqu’au 8 août
En différents lieux
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