Musique

D.J. Maüs : La souris qui rugissait

Sa drum’n’bass rythme les nuits de Montréal et s’étend peu à peu un peu partout sur le globe. Après quelques escales en Europe, MAÜS débarque à Québec pour la toute première fois dans le cadre du festival Envol et macadam. Quand le rythme s’accorde au féminin…

Son premier album de mixtes, Intersections (Haute Couture), s’est vendu à 800 exemplaires au cours des premières semaines qui ont suivi sa sortie, en mars, et a commencé à faire des petits. Étrange d’imaginer qu’un HMV de Medecine Hat pourrait faire jouer cette musique sur laquelle les Montréalais peuvent se défouler chaque samedi soir? Au contraire. La drum’n’bass riche, intelligente et énergique de D.J. Maüs est peut-être exactement ce dont le genre a besoin pour atteindre un auditoire plus large.

Comme toujours, l’énergie et l’enthousiasme de D.J. Maüs (pseudonyme de Louise Gauvreau) débordent de sa frêle cage thoracique. Elle ne pourrait être plus heureuse du fait que sa passion pour les breakbeats semble en faire la sensation de l’heure. Pour elle, ça signifie que la drum’n’bass poursuit son évolution rapide et vorace. «Parfois, les gens m’abordent pour me parler de mon travail et s’excusent du fait qu’ils n’en connaissent pas tout. Mais s’il est toujours neuf, toujours changeant, comment le pourraient-ils? Même moi, je ne sais pas toujours exactement ce que je fais.»

Mais en revanche, Maüs sait pourquoi elle aime ce qu’elle fait. Le travail de la D.J. a toujours consisté à prendre ce qui est déjà là et à en faire quelque chose de neuf. Ça remonte à la tradition des sound systems jamaïcains des années 60 et 70. «Les musiciens enregistraient une version instrumentale de leur dernier hit sur vinyle pour que les MC’s puissent jammer dessus dans les clubs. Comme ça, tout le monde pouvait participer. Ces versions instrumentales donnaient l’occasion à chaque MC de faire partie du processus et permettaient à l’artiste de faire entrer ses chansons dans les clubs avant même que les pirates de la radio aient mis la main dessus.»

De fait, dans le cas de la jungle et de la drum’n’bass, nécessité fait loi. Maüs relate en riant l’un des mythes créateurs à la base de sa musique: «Mes racines musicales sont surtout à Londres, bien sûr. Le old school/hardcore a té accéléré, couplé avec des trucs provenant de vieux MC’s ragga et, sans avertissement, on se retrouve avec ce hip-house-ragga-acid-house complètement dingue mélangé avec du rave sur les amphets.»

«Avec l’avènement de la jungle, c’est devenu quelque chose d’à part parce c’était tellement hard. La drogue et la culture elle-même devenaient plus dures et plus noires. C’est là qu’a eu lieu la séparation d’avec les événements house. C’était comme ces bonnes vieilles soirées dansantes: les filles, talons hauts rouges et minijupe, se frottaient sur des gars en veston Armani; les trompettes, le MC qui criait "big up au D.J." et des paroles ragga, les réactions qu’on espérait de la part de la foule quand les chansons frappaient fort…»

«Des imitations d’Armani, ajoute-t-elle, parce qu’on parle de la rue, après tout.»

Trafic d’influence
Quand Maüs voit mon regard s’allumer au récit de ces soirées apparemment très excitantes, elle s’empresse de me rassurer, me disant que je ne trouverai pas ce genre de plaisir dans les coulisses de la rue Saint-Laurent avant longtemps. Ces jours-ci, la drum’n’bass semble avoir fait sa place à elle. Maüs cite en exemple Amsterdam, où un concert jungle est souvent précédé d’un groupe punk et où divers genres sont joués dans des espaces différents lors d’un même événement. «J’aimerais qu’il y ait plus de soirées où l’on peut entendre différents styles de musique tout en arrivant à conserver une vibe fluide et homogène du début à la fin.»

Il y a de l’espoir – Maüs dit qu’elle reçoit de plus en plus la visite de punk qui trouvent quelque chose de trash dans ses beats. Ce qui ne veut pas dire que le punk/hardcore occupe une place de choix dans son palmarès…

«Je mixe des trucs dansants avec ma drum’n’bass parce que le reggae est mon premier amour. J’en écoute depuis l’âge de 12 ans», dit-elle, confessant du même souffle une véritable passion pour Marvin Gaye et des crooners comme Tony Bennett. (Frank? demandai-je. «Dean»,réplique-t-elle, fermement.) Aussi ne peut-elle vivre sans ses classiques de l’électronica; Squarepusher, Aphex Twin et Photek demeurent parmi ses plus grandes influences.

Maüs ne perd pas de temps à faire remarquer qu’elle n’est pas le seul D.J.-créateur qui se fait un nom en butinant parmi les styles musicaux. «Ram le fait aussi, bien sûr, avec ses rythmes indiens sensuels. Tout comme Amon Tobin avec sa bossa nova.»
En plus de tisser plus rapidement des mixtes encore plus complexes, Maüs a passé un bout de temps en studio avec Olivier Baier, pour créer quelque chose de neuf. Pas d’échantillonnages, cette fois. «Après l’enregistrement d’Intersections, je suis devenue une mordue de studio. Ça m’a surprise. Tous les musiciens ne sont pas de bons showmans et tous les D.J.’s ne sont pas de bons musiciens, bien sûr. Je ne sais pas encore comment je vais créer à partir de scratches en studio – ce sera peut-être emmerdant. Mais je pense que la chose la plus importante, pour moi, c’est de faire quelque chose dont je suis fière, de vraiment prendre le temps de m’asseoir et de travailler jusqu’à ce que je sois satisfaite.»

Le corps à la fête
La pression qu’exercent les médias, les fans et les argentiers de l’industrie est un incitatif pour un D.J. qui est prêt à produire à tout prix et à toute allure, confirme Maüs. Et c’est peut-être pourquoi la plupart des produits qu’on retrouve sur les tablettes ne sont pas exploités à la mesure de leur potentiel, hasarde-t-elle.

Même si elle a passé la majeure partie de son temps en studio au printemps, Maüs demeurait toutefois fort inspirée par ses prestations live. «Depuis l’album, les choses sont un peu différentes et je n’ai plus beaucoup de temps.» Avant même la tournée Montréal Electronic Groove (MEG), qui l’a menée à Prague, Lisbonne, Berlin et Barcelone, au tout début de l’été, elle avait eu droit à une presse considérable, incluant les pages centrales de la revue CODA, en France

Bien sûr, elle est une fille un autre magazine français n’a pu s’empêcher de l’appeler «djette» et de préciser qu’elle est jolie. Il mentionne même son poids! Malgré tout, être une femme D.J. a ses avantages, assure Maüs. «Mon utérus réagit au son de la basse. C’est vrai; je crois vraiment à ces choses. Mais pour en parler convenablement, il faudrait que j’écrive un livre.»

Maüs offrira sa toute première prestation à Québec au Kashmir dans le cadre du festival Envol et macadam. L’histoire de Ram se reproduira-t-elle? Les noctambules d’ici auront-ils le coup de foudre pour la souris qui rugit? À suivre…
(Traduction: Alexandre Vigneault)

Le 7 août
Au Kashmir