Paule-Andrée Cassidy : La clef des chants
L’interprète PAULE-ANDRÉE CASSIDY passe d’un répertoire chansonnier à un autre aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau. Sur son deuxième album, Méli-mélodies, elle met sa vitalité au service des rimes ludiques et loufoques de Boby Lapointe, maître incontesté du calembour. Quand poésie et grivoiserie s’acoquinent, l’imagination reprend le pouvoir!
C’est un bel après-midi d’août, à la fois léger et chaud. Depuis un moment, le Soleil fait des caprices; il embrasse discrètement la cour intérieure du Musée de la civilisation et s’éclipse fréquemment derrière de longs nuages cotonneux. Cette réserve, plutôt malvenue en cette saison, incite à croire que l’astre du jour fait la gueule, jaloux du bel hommage rendu à sa cousine la Lune par la chanteuse Paule-Andrée Cassidy. Sur une petite scène érigée dans un coin de cette terrasse bétonnée, l’interprète de Québec dévoile en effet les faces cachées de l’astre de la nuit, en reprenant des airs écrits par Vigneault, Trenet et d’autres.
Son tour de chant achevé, Paule-Andrée Cassidy me rejoint à ma table. Suave et décontractée lorsqu’elle monte sur scène, elle se révèle, en entrevue, d’une vitalité fulgurante. Elle parle d’abondance, d’un débit souvent rapide. Elle commence des phrases qu’elle ne finit pas toujours et ouvre sans cesse de nouvelles parenthèses, comme si les idées se bousculaient dans sa tête, réclamant toutes leur droit de cité.
Cette grande brune aux yeux d’un vert insaisissable a de l’énergie à revendre, pas de doute là-dessus. Elle en a d’ailleurs grandement besoin. Habituée à mener plusieurs projets de front, elle a été des Francofolies de Montréal et de Spa, est actuellement de la distribution du Théâtre lyrique du nord et, en semaine, donne deux mini-concerts par jour au Musée de la civilisation jusqu’au 27 août prochain dans le cadre de l’exposition Lunes.
Le tourbillon ne s’arrêtera pas avec l’arrivée de l’automne puisqu’elle reprendra à Montréal son spectacle de chansons de Barbara et celui intitulé Chroniques d’amours singulières tôt en octobre au Palais Montcalm. Durant ses temps libres, elle continuera à s’occuper des aspects techniques de sa carrière (elle est également sa propre gérante) et s’attachera à la promotion de Méli-mélodies, son deuxième disque paru à l’orée de l’été.
Avec un tel emploi du temps, Paule-Andrée Cassidy doit se sentir passablement dispersée. Même si elle convient qu’elle ne pourrait tenir le rythme ad vitam æternam, elle croit plutôt que c’est son public qui a du mal à suivre ses multiples changements de répertoire. L’interprète, elle, a l’habitude de vivre dans ce chaos qu’elle entretient depuis ses années de formation.
L’actrice qui chante
Petite, Paule-Andrée Cassidy se croyait destinée aux sciences. Rien de plus normal pour une enfant dont les deux parents sont mathématiciens_ Si ces derniers espéraient qu’elle se consacre aux études scientifiques, ils ont fait une légère erreur de calcul: très tôt, ils lui ont transmis la passion qu’ils nourrissaient à l’endroit des grands de la chanson tels Brel, Cora Vaucaire, Jacques Bertin ou Mercedes Sosa. À douze ans, alors que toutes ses amies trippent littéralement sur les rocks bonbon de Grease, la jeune Paule-Andrée voue une admiration inconditionnelle à Anne Sylvestre. «Même si je ne saisissais pas tout, je sentais que son propos était important», dit-elle aujourd’hui.
Ce n’est qu’après avoir découvert le théâtre au cégep qu’elle change radicalement de cap: elle s’inscrit au Conservatoire d’art dramatique de Québec. «Je ne pensais pas que je pouvais vraiment chanter à cette époque-là», soutient l’interprète. À l’école de théâtre, elle s’adonne bien sûr au jeu, mais découvre bientôt le plaisir de réciter des poèmes et apprivoise le chant. Allumée mais incapable de rentrer dans les rangs, elle quitte et revient au Conservatoire plus d’une fois. «C’était insatisfaisant de toujours travailler en vase clos, sans véritable public, explique-t-elle. Je trouve que, dans un tel contexte, on perd vite la notion de responsabilité vis-à-vis du public.»
Après s’être offert quelques stages de formation avec Carbone 14 et Omnibus (école de mime dirigée par Jean Asselin), elle renonce au théâtre et se consacre à la chanson. Son passage au Conservatoire la marque cependant suffisamment pour qu’elle se considère avant tout comme une «comédienne qui chante». «J’étais incapable de dire: "Venez écouter ma voix", raconte la chanteuse. J’invitais plutôt les gens à venir entendre une histoire. C’était ma démarche à l’époque et je pense que ce l’est encore aujourd’hui, même si, petit à petit, j’ai pris confiance en ma voix.»
Cette dualité comédienne/chanteuse chez Paule-Andrée Cassidy, le titre de son premier album, La Voix actée, la souligne clairement. Sur ce disque paru en 1995, on découvre une voix singulièrement grave et un répertoire étonnamment varié. L’interprète y chante Vian, Ferré ou Anne Sylvestre, mais pige volontiers parmi les titres moins connus de ces auteurs; à la surprise générale, elle dépoussière également des chansons de Bruant et de Fragson datant du début du siècle. C’est également sur ce disque que Paule-Andrée Cassidy fait une première incursion chez Boby Lapointe, roi du calembour auquel elle vient de consacrer son deuxième album.
Enfantillages
«Méli-mélodies, c’est une bande d’adultes qui jouent aux enfants», lance Paule-Andrée Cassidy, pour expliquer la douce folie qui règne sur le disque lancé en juin dernier. Il y a quelque chose d’enfantin, en effet, dans ces relectures des chansonnettes loufoques ou grivoises signées Boby Lapointe. La chanteuse s’y montre coquine, sournoise ou fantaisiste, tandis que les arrangements imaginés par Martin Bélanger et Serge Lacasse se font souvent espiègles – pensons entre autres aux chours miaulés qui animent la chanson Méli-mélodie.
Même si dans certains cas (La Maman des poissons, par exemple), l’interprète et sa bande flirtent dangereusement avec la chanson pour enfants, ils ont habilement évité cet écueil sur lequel risquent de s’échouer tous ceux qui se frottent aux textes bourrés de jeux de mots de l’auteur décédé en 1972. «On ne voulait pas tomber là-dedans, indique Paule-Andrée Cassidy. Les chansons de Boby Lapointe font trop de sens pour être considérées comme des chansons pour enfants.»
Sous l’impulsion des musiciens de Québec, les chansons du vieux rimailleur de Pézenas ont également subi une réjouissante cure de jouvence. Délaissant le ton anecdotique caractéristique des versions enregistrées par Boby Lapointe, Paule-Andrée Cassidy insuffle coquetterie et sensualité à des pièces comme Léna ou Comprend qui peut. Du point de vue musical, l’équipe a eu du cran. Rendue dans un esprit tango, la célèbre Framboise se fait parfois lascive. Montées sur des boucles rythmiques et de doux arrangements reggae, les incessantes allitérations de Ta Katie t’a quitté en viennent presque à bercer l’oreille. Mais la palme de l’audace revient sans aucun doute à cette version «hip-pop» de la fameuse T’as pas, t’as pas tout dit.
«Quand je choisis une chanson, il faut que je vois ce que je peux lui apporter», commente Paule-Andrée Cassidy, qui affirme avoir été hantée par cette question tout au long de l’enregistrement de Méli-mélodies. Si elle aborde le répertoire avec un respect certain, elle n’a pas du tout envie de chanter pour un public âgé qui voudrait se rappeler des souvenirs. «Ça a sa place, concède-t-elle, mais ce n’est pas ce que je veux faire en tant qu’interprète.»
«Je trouve dommage que le métier d’interprète soit dénigré, poursuit-elle. On dirait que les gens se sentent obligés d’être auteur-compositeur-interprète, comme si le reste n’avait pas de valeur. Il y a de belles chansons qui ne sont plus chantées, pourquoi ne les fait-on pas?», s’interroge celle qui s’est attaquée aux chansons de Boby Lapointe avec la conviction que leur vitalité pouvait encore nous toucher.
Énergique et obstinée lorsqu’il s’agit de prouver au monde que les chansons anciennes ont encore du sens, Paule-Andrée Cassidy n’a pas du tout l’intention d’abandonner le répertoire (elle soulignera d’ailleurs l’anniversaire de naissance de Jacques Prévert en février 2000). Toutefois, il faut s’attendre à ce qu’elle crée de plus en plus de chansons originales, ouvres de jeunes auteurs de Québec comme Stéphane Robitaille ou Marie-Christine Lê-Huu. «Je m’aperçois que j’ai du plaisir à faire cela et je n’ai pas envie de m’en priver.»
Mais avant de se lancer dans l’enregistrement de chansons inédites, Paule-Andrée Cassidy a beaucoup de pain sur la planche. Au moment de mettre sous presse, elle nous annonçait d’ailleurs qu’elle reprenait son spectacle de chansons de Boby Lapointe le 29 août prochain aux Oiseaux de passage, une toute nouvelle boîte à chansons située à Limoilou. Il faut saisir l’occasion au vol, puisque Paule-Andrée Cassidy et sa bande ne reprennent pas souvent ce tour de chant divertissant où costumes, maquillages et théâtre viennent épauler des textes fort comiques et même parfois gaillards.
Méli-mélodies
Chansons de Boby Lapointe
Paule-Andrée Cassidy
(Transit/Interdisc)
En spectacle le 29 août, à 15 heures et à 20 heures
Aux Oiseaux de passage
499, 4e Avenue