Musique

Une séance de cinéma pas comme les autres : Une valse à quatre mains

Un piano, quatre mains, quatre pieds, trois pédales, quatre oreilles, quatre yeux, un film. Cette comptine un peu étrange résume très bien l’enjeu du duo CAMPION/VACHON, spécialiste de l’accompagnement de films muets. De passage à Québec, les deux interprètes nous offrent Une séance de cinéma pas comme les  autres.

Le scénario est le suivant. Au début des années 1980, Mario Vachon, étudiant pianiste à l’Université Laval, décide de s’associer avec Guy Campion, pianiste et compositeur au sein de la même institution. Quelques duos plus tard, ils passent de deux pianos à un seul, afin d’explorer le répertoire pour piano quatre mains. Après s’être attaqué à l’intégrale du répertoire d’Érik Satie, le duo, installé en France, s’intéresse à une autre oeuvre de l’excentrique compositeur, la musique d’Entracte, un film muet réalisé par de René Clair: «On a eu l’idée de travailler avec des films à partir de ce film-là, dit Mario Vachon. Ceci dit, le film est très confus et compliqué, et l’accompagnement l’est aussi. Et pour l’instant, sans vouloir être prétentieux, il n’y a que nous qui puissions l’accompagner correctement, puisque la partition n’est pas encore sortie. Guy a travaillé un an avec la fondation Érik Satie à Paris pour essayer de voir comment on pouvait accompagner le film correctement. Parce qu’au départ, la musique durait 12 minutes alors que le film en durait 23!» À la suite de plusieurs semaines de travail sur les manuscrits du compositeur, l’oeuvre originale, qui avait été écourtée avec les années, reprenait forme. Guy Campion dit à ce propos: «Je n’ai pas réinventé la partition, je l’ai reconstituée exactement comme Satie l’avait écrite pour accompagner le film. J’ai trouvé des plans et des manuscrits qui m’ont permis de découvrir comment ça se faisait, et d’écrire la partition pour piano quatre mains.» Cette première réussite a donné lieu à d’autres réalisations, dont un arrangement de la musique composée par Henry Rabaud pour le film Le Miracle des loups, que le duo a accompagné à l’auditorium du Louvre dans le cadre du centenaire du cinéma.

Équipe technique
Travailler à deux sur le même piano en suivant minutieusement le déroulement d’un film reste une entreprise qui n’est pas à la portée de tout le monde. «Quand on fait du quatre mains, dit encore Guy Campion, l faut revenir en arrière et réapprendre. Parce que c’est vraiment différent. Le deux pianos, c’est comme deux voitures qui se suivent. Celui qui est derrière suit l’autre. S’il tourne à gauche, l’autre tourne à gauche. Mais le quatre mains, c’est comme si deux personnes conduisaient la même voiture. Y en a un qui prend le volant et l’autre les pédales. C’est possible, mais on imagine tout de suite la préparation que ça demande.» En plus de cet entraînement, le duo doit sélectionner les films susceptibles d’être accompagnés. Mario Vachon dit à ce propos: «On visualise plusieurs fois le film, et on se trouve à marquer des séquences en cherchant ce qui prend le plus d’importance. Ensuite, on met une musique dessus. De cette façon, on a plein de repères, ce qui fait qu’on joue toujours de la même manière. Le film, c’est comme si on mettait un autre instrument avec nous, un instrument qui n’est pas sonore mais visuel. Cependant, il faut se donner une marge de manoeuvre. Si rendu à tel endroit on fait une cadence parfaite, on peut la faire deux fois, et reprendre à tel endroit. – Le film devient un peu notre chef d’orchestre», ajoute Guy Campion.

Action
Le programme offert par le duo à Québec regroupe donc sept courts métrages, puisés dans le répertoire restauré par Lobster Films. «Il ne reste que 20 % des films muets, affirme Mario Vachon. Tout le reste a été détruit ou s’est autodétruit. Et c’est grâce à des boîtes comme ça qu’on peut avoir des films en bonne condition. Donc c’est important de passer le message à ceux qui possèdent de vieux films, de les envoyer à ces boîtes-là avant qu’ils ne se perdent.» Deux de ces films, La Mode féminine 1920 et La Mouche acrobate, seront accompagnés par des compositions de Guy Campion. Les autres, parmi lesquels on retrouve Charlot au Music-Hall, de Charlie Chaplin, sont accompagnés par une trame sonore confectionnée à partir d’extraits souvent anonymes composés au début du siècle, extraits qui rappellent souvent la musique de salon et les ianos mécaniques. Mario Vachon explique ainsi la provenance de ces pièces: «Elles sont regroupées dans un cahier vraiment typé où l’on retrouve des titres comme I Am Ready. Elles sont écrites par des espèces de Scott Joplin inconnus. Mais, encore là, ce ne sont pas des ragtimes. C’est de la musique qui se veut parfois mélo et souvent très clichée, parce que dans les films muets tout est exagéré. Je rapprocherais ça à un collage. Pour accompagner un film il peut y avoir six ou sept compositeurs qui se retrouvent dans le même film sans que ça ne parraisse à la fin.»

Conscient de la valeur de ces films, puisqu’il ne reste que 20 % des films muets, le duo aime à recréer l’ambiance d’une époque: «C’est comme les vieux meubles», dit Mario Vachon, on regarde ceux qui sont faits maintenant, et on voit que parfois ils sont influencés par ce qui se faisait avant. Mais de voir le vrai vieux meuble, y a une présence, y a autre chose. Je pense que c’est ça qu’on transmet le mieux.» Guy Campion ajoute: «Souvent les gens nous disent: "Bon au début j’écoutais puis après cinq minutes, j’ai complètement oublié le piano." Eh bien dans ce temps-là, c’est parfait! Ça veut dire que c’est réussi. Parce que la musique n’est rien sans le film et le film n’est rien sans la musique. C’est le mélange des deux qui est intéressant.»

Les 8 et 9 septembre
Au Théâtre du Petit-Champlain

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