Jack Kerouac Reads On the Road : Notes de route
Musique

Jack Kerouac Reads On the Road : Notes de route

Lu par trois générations, traduit dans toutes les langues, Jack Kerouac était sinon un amateur de musique, du moins de musicalité. Si son écriture ne suffisait à le prouver, un enregistrement récent nous permet d’entendre le rythme même de sa voix.

Figure emblématique de la beat generation, Jack Kerouac se refusa toujours d’en être le porte-flambeau. Ce fut à son corps défendant qu’il incarna ce mouvement pour lequel il ne manifestait aucun intérêt. Du jour au lendemain, les médias le propulsèrent sous les projecteurs, décelant chez lui tous les symptômes de l’existentialisme, du romantisme décadent particulièrement à travers tous les clichés relatifs à la drogue et l’alcool. Bien qu’il comprit les dangers de ce rôle, Kerouac fut incapable de réagir adéquatement. Cette célébrité soudaine de même que l’alcoolisme le conduisirent au bout de sa route.

Kerouac employa l’expression beat generation pour la première fois dans On the Road publié en 1955, dans l’extrait «The Jazz of the Beat Generation». Beat pour vaincu, foutu, comme les drogués en manque de came: «Man, I’m beat.» Mais beat aussi pour le roulement des baguettes sur la caisse claire, pour le rythme, pour le jazz… et pour le rythme syncopé de l’écriture. Cette manière spontanée d’écrire, que Kerouac a découvert dans les lettres de Neil Cassidy, le Dean Moriarty de On the Road.

La route, c’est la frontière, les espaces infinis, sauvages et inhabités; les mythes fondateurs de l’imaginaire américain.

Mais la route de Kerouac diffère beaucoup de la route des pionniers sans peur partis à la conquête d’un pays neuf. Différente aussi de celle de ces millions de personnes poussées vers la Californie, par la dépression économique. La route de Kerouac, c’est l’errance, le désoeuvrement. Rouler sans but, d’est en ouest, du nord au sud, dévorer les kilomètres sans arrêt, de petits boulots en petits boulots sans avenir, de femmes en femmes, de femmes en hommes, ouverts à toutes les aventures, à toutes les expériences. Sur la route, Kerouac invente un nouveau héros: le perdant magnifique, en quête de lui-même, de sa vérité intime à travers la dérive. Le thème fera école, dans les lettres et dans le cinéma. Souvenons-nous des deux motards abattus de Easy Rider, des brûleurs d’asphalte du Two Lane Blacktop de Hellman et du Paris Texas de Wenders.

«Je veux être considéré comme un poète-jazzman soufflant un long blues au cours d’un après-midi de jam-session, un dimanche. Je prends 242 chorus; mes idées varient et roulent quelquefois de chorus en chorus, ou bien à mi-chemin d’un chorus jusqu’à mi-chemin du suivant.» Trente ans après sa disparition, Jack Kerouac Reads On the Road témoigne éloquemment de l’instinctive musicalité de son écriture, de sa compréhension rythmique du (beat) jazz. Habitué du Minton’s Playhouse au moment où les boppers y développaient leur révolution musicale, Kerouac, qui a toujours senti et affirmé la parenté du be-bop et de son écriture, participait à quelques jam-sessions. Les morceaux offerts sur cet album comprennent des textes de Kerouac récités ou chantés (!) par l’auteur ainsi que quelques standards, et un On the Road interprété par Tom Waits. Le musicien David Amram, qui a souvent accompagné Kerouac lors de récital de poésie-jazz dans les boîtes de New York, crée l’environnement sonore de Orizaba 210 Blues et Washington D.C. Blues, deux des incontestables réussites de l’album. Un enregistrement-témoignage en tout point remarquable qui va droit au coeur de l’univers de Kerouac.

Jack Kerouak Reads On the Road
Jack Kerouak
Rykodisc

Bibliographie
Jack Kerouac
Avant la route (The Town and the City), sa vie à Lowell et à New York (La Table Ronde)
Sur la route, les premières aventures avec Neal Cassidy (Gallimard)
Docteur Sax, l’enfance et l’adolescence à Lowell (Gallimard)
Mexico City Blues, inspiré des Cantos d’Exra Pound, l’un de ses plus beaux livres (Bourgeois)
Les Clochards célestes, autres aventures avec Cassidy (Gallimard)

Allan Ginsberg
Howl et autres poèmes (Bourgeois)
Planet News (Bourgeois)
La Chute de l’Amérique (Flammarion)

William S. Burroughs
Le Festin nu (Gallimard)
Les Cités de la nuit écarlate (Bourgeois)

Discographie
The Jack Kerouac Collection (Rhinom Records)

Allan Ginsberg, Holy Soul Jelly Roll, Poems and Songs 1949-1993 (Rhino Records)

Lawrence Ferlinghetti, A Coney Island of the Mind (Rykodisc)