Musique

Arthur H, Pour madame X : Gueule d’atmosphère

L’amitié est faite de rencontres qui, dans le cas d’ARTHUR H, donnent lieu à de somptueux duos, et après Ute Lemper ou Brigitte Fontaine, c’est accompagné de la chanteuse LHASA que le chanteur s’adonne à cet exercice sur Pour madame  X.

Le barman essuie machinalement le zinc du comptoir au bout duquel est affalé un type qui n’a pas bougé depuis bientôt une heure. Au fond de la salle, le pianiste entame les premières mesures d’un standard de Billie Holiday que personne n’écoute, et les cendres de sa clope collée à ses lèvres tombent sur les touches de son clavier. Une vieille prostituée du quartier pousse la porte dans l’aspiration de l’épaisse fumée ambiante. Elle vient comme tous les soirs ingurgiter son gin tonic avant de rentrer seule chez elle. Alors que je la regarde se remaquiller, j’aperçois derrière elle la silhouette d’Arthur H sous une lumière tamisée.

Alors que je m’assieds, le téléphone sonne et me réveille. Toute cette mise en scène pleine de clichés n’était qu’un rêve. C’est en fait de sa chambred’ hôtel qu’Arthur H réponds à quelques questions. Les clichés qui poursuivent ce saltimbanque sont certes communs, mais certains stéréotypes ont parfois des origines justifiés. Alors cette image de dandy noctambule correspond-elle au personnage? "J’aime, bien sûr, beaucoup la nuit, mais je préfère la nuit lumineuse à la nuit glauque et il est préférable de garder la tête à l’endroit…", commentera-t-il de sa voix râpeuse. Une voix éraillée, presque indolente, et qui sied si bien à ses mélodies pittoresques et à ses textes aux univers ensorceleurs. La musique d’Arthur H peut apparaître empreinte de nostalgie et cet aspect traditionnel le fait appartenir à un groupe de chanteurs (Thomas Fersen, Kent…) qui redonnent son identité à la musique française. "J’aime et je ne peux pas nier un héritage très fort de la chanson française, mais s’il fallait généraliser je dirais que mes influences musicales sont les musiques du XXe siècle (rire), mes sources d’inspiration sont infinies. Il m’intéresse beaucoup plus d’aller de l’avant, de toujours défricher de façon déterminée, et de faire de la musique moderne. Il vaut mieux évoluer que de rester sur place avec des toiles d’araignée qui vous poussent sous les bras…"

H sur X
Pour madame X, son dernier album fraîchement sorti sous un emballage sobre et élégant, apparaît comme une synthèse des précédents, combinant les sonorités et les atmosphères chères à notre musicien. Un enregistrement sur lequel on retrouve les complices de toujours: le fidèle Anglo-Écossais Brad Scott et John Handelsman, autre acolyte du Bachi-Bouzouk Band en charge des cuivres sur les premiers albums. Une notion de groupe qui a son importance pour la cohérence de la musique: "Il s’agit fondamentalement d’un travail d’équipe, de personnes qui mettent tout leur coeur dans cette musique par amitié."

Et l’amitié est faite de rencontres qui, dans le cas d’Arthur H, donnent lieu à de somptueux duos. Après Ute Lemper ou Brigitte Fontaine, c’est accompagné de la chanteuse Lhasa que monsieur H s’adonne à cet exercice. Une complicité entre deux artistes avec chacun leur univers respectif très profond, et l’alchimie opère merveilleusement sur le titre Indiana Lullaby et caractérise bien les talents de caméléon du personnage.

Car Arthur aime surprendre et apparaître là où on ne l’attend pas, n’hésitant pas à travestir sa musique d’influences diverses et ce nouvel album n’échappe pas à la règle. Des sonorités orientales sur un Mystic Rumba qui porte bien son nom, aux grooves endiablés sur Inséparables mais… ou Les Pieds-nickelés, deux pures merveilles de l’album pleines de guitares virevoltantes et de rythmes audacieux, l’artiste satisfait ainsi ses curiosités sonores et l’éclectisme de sa démarche artistique.

Et cet univers fantasmagorique empreint de magie et de volupté prend toute son ampleur sur scène. Des spectacles aux allures de cabaret surréaliste où s’entrecroisent tous ces personnages extravagants et mystérieux, entre un chauffard aveugle, un trompettiste criminel ou même le général de Gaulle en pleine pérégrination intersidérale. Ne tenant pas rigueur de la lourde hérédité scénique de son père, Arthur H impose son style en concert: "Je ne me suis jamais posé de questions. La comparaison était systématique, mais en étant particulière et très différente de celle de Jacques Higelin, ma musique s’est finalement imposée." Sa poésie atypique et ses textes construits comme de véritables petits scénarios ("en concert j’essaie aussi de théâtraliser ma musique") nous invitent à un voyage cosmique qui laisse libre cours à l’imagination.

Un voyage fascinant qui se termine avec Mystérieuses colères, sorte de berceuse où l’on retrouve toute la charge onirique de son inspiration qui nous renvoie à nos rêves éveillés, la boucle devenant ainsi bouclée…

Pour madame X
Arthur H
(Polydor/Universal)