La France aurait-elle pu être à l’origine du rap? Si le pays n’était pas si centré sur Paris, si la culture savante n’y était pas montée sur un piédestal au détriment de la culture anonyme, dite populaire, et si on ne s’y cantonnait pas dans un français unique, parisien, ç’aurait été possible. Voilà, en gros, ce que pensent les Fabulous Trobadors, ce duo français provenant de Toulouse, donnant dans une musique située quelque part entre folklore et rap. L’histoire tend à leur donner raison.
"Je ne chante pas mes peines/D’autres en ont bien plus que moi"
Bien avant l’arrivée du rap, Claude Sicre, l’un des Fabulous, trouvait, en ce que l’on se plaît aujourd’hui à nommer le rap occitan, la forme musicale qu’il avait cherchée depuis longtemps: une espèce de pendant du blues rural états-unien, une musique simple qui traduirait le quotidien de son milieu, qui lui permettrait l’instantanéité de la performance de par sa simple instrumentation (voix-tambourin) et qui lui permettrait même d’interagir avec les gens de la rue ou de militer tout en chantant.
Or à ses débuts, à l’orée des années 80, on comprenait mal sa démarche. On ne saisissait pas très bien le flot de paroles qu’il débitait et on s’arrêtait souvent au fait qu’il mélangeait le français avec d’autres langues, pourtant présentes en France. "J’étais marqué par des traditions africaines, berbères, de tout le nord-est du Brésil, par les joutes orales des troubadours médiévaux aussi, mais les médias et le public ne s’y sont intéressés que quand il y a eu le rap, explique Claude Sicre, depuis son domicile, à Toulouse. Une musique qui est très dépouillée ne pouvait intéresser la France qu’à partir du moment où elle avait un modèle ailleurs qui lui prouvait qu’une telle musique pouvait exister."
C’est en 1987 que Sicre fait la rencontre de Jean-Marc Enjalbert, alias Ange B., un chanteur et bruiteur remarquable, qui peut aussi bien imiter le son des percussions que ceux des scratches, de la basse ou des cuivres. Unissant leurs efforts, les deux comparses, issus de deux générations différentes, donnent naissance aux Fabulous Trobadors. Ils s’amusent à leurs joutes vocales, chantant tantôt leurs dialogues dans une forme répétée, tantôt les improvisant. Leur public, d’abord mince, ira grandissant. Et quand le rap fera son entrée en France, ils seront lancés pour de bon. Associés de près au mouvement, ils accoucheront d’un premier album en 1992, "pour promouvoir nos spectacles et non le contraire, comme c’est le cas dans le milieu", précise Sicre.
"Je chante les premiers jours/D’une épopée qui naît sous vos yeux"
Deux albums plus tard, force est de constater que la France a succombé au charme des Fabulous. Le duo a eu droit à quelques tubes, mais surtout à des oreilles attentives qui se sont intéressées à ses luttes civiques. Car c’est bien là que la démarche musicale de la formation prend tout sons sens: à travers ses idées, dans sa façon d’interpeller le haut depuis le bas, se faisant la voix d’une population qui en a assez du centralisme parisien qui noie le reste de la France dans l’anonymat de la "province" et, enfin, par les moyens concrets qu’il a mis sur pied afin de protéger la pluralité, moyens réunis sous la bannière de la GRQM, la Grande révolution des quartiers du monde (repas de quartiers, Forum pour l’égalité des langues, revue de la GRQM, etc.).
"Nous sommes excédés du centralisme parisien, explique Claude Sicre. Vous êtes bien placés pour le comprendre au Québec, car on n’accepte pas vos films ou vos émissions télé sous prétexte que l’accent n’est pas le même que le nôtre, ce qui est totalement stupide. Paris se prive d’une foule d’oeuvres qui ne sont pas de son accent et appauvrit, du coup, la culture française. On donne même des cours pour que les gens perdent leur accent, c’est dire…"
Bien qu’elle soit reliée directement à toutes ses luttes civiques et ses actions concrètes, la musique est loin d’être un simple outil pour les Fabulous. Comme l’explique Claude Sicre, "si la musique n’était qu’au service de tout ça, on pourrait défendre nos idées sans la musique. La musique fait intervenir les choses différemment." N’allez pas non plus vous imaginer que la musique des Fabulous n’est que sérieuse. "Il faut être sérieux en entrevue", rigole Sicre, mais en spectacle comme sur album, ils s’amusent beaucoup, avec les mots ("le gouvernement comme il respire") et avec le public. Et puisque la pluralité se doit d’être au rendez-vous, on peut s’attendre à ce que les deux comparses improvisent un peu avec les particularités de la langue québécoise, comme ils l’avaient fait à leur dernière visite avec leur "Vive tous les becs libres".
Le 10 novembre
Au Théâtre Petit-Champlain
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