"If you’re not tapping your feet, then we suck!" Pas besoin de traduction pour comprendre ce qui fait courir John Pizzarelli lorsqu’il explique ce qu’est pour lui une bonne prestation. "Les formes du jazz sont à la fois simples tout en permettant une très grande liberté. Moi, je dirais que ma religion, c’est celle du rythme. Quand je joue avec mon trio, ce que je cherche, c’est la communication entre les membres qui va permettre de transmettre le plaisir que nous avons à jouer cette musique, et qui repose pour beaucoup sur la capacité que nous avons à faire taper du pied! Si cette musique ne crée pas cela, nous avons manqué notre coup!" Dit comme ça, c’est tout simple. La réalité l’est moins.
Rendre, en trois minutes et deux solos, l’esprit et l’essence de cette musique ô comment bien née est loin d’être une sinécure. Ce n’est pas parce que c’est simple que ce n’est pas compliqué. "Créer un son est très difficile pour un trio de jazz. C’est de la musique de chambre, alors tout paraît. Il faut un niveau d’écoute de tous les instants et surtout beaucoup de temps pour comprendre toutes les inflexions et les subtilités de chacun d’entre nous. Le but étant évidemment que nos sons se fondent les uns dans les autres. We need to blend you know!" To blend, une expression consacrée chez les musiciens de toutes origines linguistiques pour qualifier ce niveau que peu d’ensembles peuvent se targuer d’atteindre, tant dans le monde de la musique classique que dans celui du jazz. En argot musical, quand un ensemble blend, c’est un peu comme si le son résultant de sa performance dépassait la somme de chacune des parties qui contribuent à le faire, comme s’il n’y avait qu’un seul instrument. Plus l’ensemble est petit, plus les différences de jeu sont susceptibles d’être entendues. "C’est la loi de la moyenne. Dans un grand ensemble, disons que si un des membres ne joue pas bien sa partition ou se sent moins bien ce soir-là, ça ne paraît pas trop. Mais plus que les questions purement techniques, c’est l’équilibre qui est difficile à atteindre lorsqu’on joue avec seulement deux autres personnes. C’est plus facile à briser quand tu joues à trois que quand tu joues avec 40 autres personnes sur scène."
Les héritiers de Nat King Cole
Lorsqu’il est question de rythme et d’équilibre musical, il faut admettre que Pizzarelli sait de quoi il parle. Fils d’un célèbre guitariste de jazz, Bucky, il a été très tôt mis en contact avec les grands noms du jazz: les Paul, Herb Ellis, Oscar Peterson et consorts. Avec son frère Martin à la contrebasse et Ray Kennedy au piano, c’est cet héritage qu’il perpétue et popularise depuis huit ans, date de création du trio. Un style qui suinte littéralement de toutes les pièces du dernier album, qui se présente comme une mosaïque de classiques et de pièces originales, toujours appuyées par une solide walkin’bass, un piano explosif et une guitare plus que véloce. Comme dégaine, disons que les rivages abordés par les trois comparses ressemblent à ceux que nous avait fait découvrir, en son temps, Nat King Cole, lui aussi leader d’un célèbre trio d’où la batterie était absente. "J’ai rencontré la veuve de Nat il y a quelques années. Elle venait de voir un de nos spectacles et elle m’a dit que lorsqu’elle nous a entendus, elle a tout de suite pensé au groupe de son mari. C’est un des plus beaux compliments que j’aie eus." Pizzarelli n’y voit là aucune preuve d’un éventuel manque d’originalité. "Je trouve que c’est important que nos influences transparaissent dans notre musique." C’est ce style, à la fois décontracté et endiablé, "caféiné" et jovial, qui a d’ailleurs toujours le haut du pavé dans le dernier album de la formation. Sur l’échelle du "tapage" de pied, c’est aussi une expérience fort réussie, vérifiée maintes et maintes fois auprès de plusieurs auditeurs. Enregistré sur étiquette Telarc à New York, Kisses in the Rain est au surplus un disque qui s’inscrit dans la tradition des prises de son d’exception qui ont fait la réputation de la firme. Cerise sur le CD, Kisses in the Rain est un album qui a été enregistré en quasi-live. En studio, soit, mais sans écouteurs, presque sans collage (ce qui est très rare), avec des musiciens qui jouent comme s’ils étaient en spectacle, plutôt rare de nos jours. "Nous avons répété plusieurs pièces des centaines de fois en concert avant de les enregistrer sur disque. Quand on est arrivé en studio, ça a été très facile de s’entendre sur l’essentiel, ça a été une des sessions d’enregistrement les plus courtes de ma carrière!" Une carrière déjà fort remplie depuis le lancement remarqué du premier disque de Pizzarelli en 1990. "Ce style ne disparaîtra jamais, c’est trop bon! Il y a quelque chose de magique dans cette musique, et c’est le swing! C’est quelque chose de dur à décrire, mais c’est comme du rythme qui rend de bonne humeur!"
Mais si le style et l’enthousiasme de Pizzarelli attirent les foules dans toutes les villes où il se présente, il n’est pas sans soulever certaines critiques à l’intérieur du petit monde souvent très puriste du jazz contemporain. On lui reproche son côté propret, BCBG, à des années-lumière des 40 onces quotidiennes d’un Stan Getz ou des cures de désintoxication légendaires de Billie Holliday. Un "statut" qui n’est pas étranger au fait que le début de sa carrière ait coïncidé avec celle d’un autre mal-aimé de l’élite jazzophile: Harry Connick Jr. Pour l’anecdote, ce sont pour de toujours très pures raisons de marketing que des responsables de la mise en marché ont décidé d’affubler le nom de famille de John d’un "Jr" bien senti au début de sa carrière. Harry Connick Jr était alors en pleine ascension et John allait être, selon les marketteux, son rival. Depuis que Harry Connick s’est recyclé dans la chansonnette pop, la rivalité, qui ne s’est jamais vraiment avérée, est disparue avec le Jr. Mais pas le swing et la musique, un style qu’il défend même si certains le trouvent dépassé: "Je sais que ce n’est pas un style qui fait l’unanimité dans la communauté, mais bon, moi, je trouve que tout n’a pas été encore dit avec cette musique et que tant qu’il va rester du jus à sortir de ce style, je vais être là pour le faire!" Comme l’ont fait pendant des années ses confrères et idoles avec qui il se confond. Vif d’esprit, la répartie facile, il n’est jamais à court d’images pour décrire ses idoles. Au sujet du style endiablé d’un de ses musiciens préférés, Oscar Peterson, il s’écrie: "He plays like a freight train!" Et quand on lui demande s’il ne croit pas avoir conservé quelques tics pour notre plus grand bonheur, il répond tout simplement: "On essaie juste de donner une couleur contemporaine à un style intemporel; le reste, on n’en est pas responsable!"
Les 10 et 11 novembre
Au Cabaret du Capitole
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