

Chasse-Galerie : La tête en gigue
Le groupe CHASSE-GALERIE n’est pas un ensemble folklorique traditionnel, et il l’a prouvé avec son disque Aux frontières du reel, sur lequel il a invité un joueur de didgeridoo et un D.J. On appelle ça du folklore vivant.
Claude Côté
Le 3 octobre dernier, le septuor de musique traditionnelle Chasse-Galerie lançait son cinquième album, Aux frontières du reel. Vous voyez le jeu de mots? À son membre fondateur, le gigueux-patenteux-tape-la galette et magnifique gosseux de rythmes festifs, Robert Jourdain, s’est greffée une poignée de jeunes tripeux, et le résultat est frappant: on y a même injecté les scratchs de D.J. Snakeyes et un didgeridoo (ce long instrument tubulaire à vent associé aux aborigènes d’Australie). Audacieux, vous dites?
«Au départ, en 1987, Chasse-Galerie avait été créé pour accompagner une troupe de danse, confie Jourdain. Avec les changements de costumes inhérents au spectacle, il fallait remplir les temps morts, bien qu’à cette époque, nous n’étions que quatre musiciens. Et au fil du temps, Chasse-Galerie a connu plusieurs changements de personnel. C’est comme dans toutes les familles, avec sept membres, il y a inévitablement des discussions musclées. Ce que je hais le plus dans un groupe, c’est le non-dit, ceux qui ronchonnent. Nous, on se parle, et on règle tout.»
Celle qui accompagne Jourdain lors de notre rencontre, c’est la flûtiste et chanteuse Geneviève Dufresne. Elle a vingt-deux ans, Jourdain en a cinquante-trois: j’ai donc devant moi le plus âgé et la plus jeune membre de la démocratie Chasse-Galerie. Dufresne provient du monde rigide et convenu du milieu classique: «J’ai dû m’adapter, mais j’ai tout de suite aimé le côté irlandais, parce que son aspect swingant m’a permis de lâcher mon fou, chose difficilement envisageable dans l’univers classique. Au début, ce n’était pas évident. J’ai remplacé le flûtiste qui était là avant, afin d’enregistrer quelques pièces. Mais je ne sentais pas une grande confiance (la seule fille parmi six gars) de la part du reste du groupe puisqu’au départ, j’étais là pour sauver les meubles. Mais lorsque nous avons fait le spectacle-lancement de l’album, ça a bien marché. Je ne pensais pas pouvoir bouger autant sur une scène.»
Jourdain précise: «Chasse-Galerie a déjà fait appel des musiciennes auparavant, mais pour une raison ou pour une autre, elles ont dû quitter. On dirait qu’un band de gars c’est plus rough; on peut se dire plus d’affaires, c’est plus direct. Mais les autres m’ont averti: tu ne peux pas la laisser partir, sinon on ne veut plus jamais te voir! C’était pour blaguer, bien sûr. Sur scène, Geneviève a une christie de présence.»
On a inévitablement parlé de l’incontournable Bottine souriante, ces véritables stars mondiales de la musique traditionnelle québécoise, originaires de Lanaudière-Nord, tout comme Jourdain, qui les connaît d’ailleurs fort bien: «Plusieurs groupes de ce genre viennent de Lanaudière-Nord: Saint-Michel-des-Saints, Joliette, Saint-Côme, Saint-Zénon; et c’est, à mon avis, de par cet éloignement et de par la nature de leur travail que ces résidants se trouvèrent isolés. Ceux qui travaillaient dans le bois partaient en chantier et ils ont conservé, avec les années, un grand répertoire. Ce qui reste de tout ce répertoire, c’est le matériel qui peut rejoindre tout le monde. Ce sont les chansons que nous interprétons, celles du domaine public. Aux archives, il en existe je ne sais pas combien de dizaines de milliers et, parmi elles, certaines chansons qui seront encore là dans deux cents ans.»
On s’est plu à recenser quelques autres formations de même acabit, comme Suroît; 1755; la Volée d’castors; les jeunes Batinses; mais aussi Danielle Martineau et le Henri Band, exemples pertinents d’une mouture traditionnelle nouvelle génération. La question qui s’impose, en 1999, c’est de savoir pourquoi tant de groupes aiment cette musique. Par souci du patrimoine? Pour revenir aux bons vieux partys de cuisine?
«Il existe un son mainstream dans le traditionnel, analyse Jourdain, avec les ingrédients suivants: violon, accordéon, chansons à répondre, chansons à boire, pis c’est de la grosse musique de party. À côté de ça, tu trouves plusieurs groupes qui font des essais. La Bottine, avec ses cuivres, fait quasiment du jazz. Et il y a Les Batinses qui, eux, ont une approche plus théâtrale, 1755 qui sont acadiens, etc. Nous, on a des influences dans tout ce qui se fait dans le genre, mais on se démarque en proposant une version plus moderne. Notre album s’inscrit dans les courants musicaux d’aujourd’hui. Nous l’avons appelé Aux frontières du reel, mais lors du prochain, on va la franchir, la frontière!»
On s’en va où avec tout ça? «Il faut sortir du carcan de la musique traditionnelle, plaide Jourdain. Il faut faire de la recherche. Il faut aller plus loin. Il faut que ça sorte des sous-sols d’église et qu’on n’en ait pas honte. Moi, ça m’emmerde que certaines gens trouvent la musique traditionnelle un peu cucul. On a une musique écoeurante!» clame-t-il haut et fort.
Il rajoute: «Quand on voit que notre public est plus jeune, on joue un peu plus rock et on ouvre la machine; mais, des fois, avec des auditoires pas très disposés, on se demande comment on va faire passer notre musique. Il y a des ajustements d’un spectacle à l’autre.»
«C’est vrai, rétorque Geneviève, parce que souvent, ils (le public) sont attentifs et nous on pense qu’ils s’emmerdent. Mais quand ils viennent nous voir après le show, ils sont enchantés. On ne réalise pas à quel point cette musique transcende les générations.»
Jourdain conclut: «Au fil des années, ce qui n’est pas bon a été épuré, et ce qui est bon est resté. Si elle est toujours là aujourd’hui, la musique traditionnelle, c’est qu’elle a une valeur intrinsèque.»
Les 22, 27 et 28 décembre
Au Cabaret
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