Le hip-hop à la radio : Système D
Musique

Le hip-hop à la radio : Système D

La radio commerciale ne daigne pas faire tourner de hip-hop? Qu’à cela ne tienne, il existe plusieurs autres façons pour la communauté rap de se faire entendre. Radio étudiante et communautaire, Internet ou cassette: un réseau libre et parallèle s’installe!

Selon les plus récents sondages BBM, les cotes d’écoute de CKMF s’élèveraient à environ 730 000 auditeurs. Celles de la radio communautaire CIBL se chiffreraient autour de 250 000, et près du quart de ces auditeurs écoutraient régulièrement les émissions de musique hip-hop francophones, qui gagnent en popularité. Toutefois, malgré l’élargissement de son marché, et en dépit d’un intérêt croissant auprès des jeunes, la musique rap continue de frapper le mur de la radio commerciale pour ce qui est de la diffusion. Résultat: l’univers musical proposé par les grands réseaux est bien loin d’illustrer la réalité socioculturelle d’une ville cosmopolite comme Montréal.

Et cette longue histoire d’incompréhension entre le format commercial et la musique alternative (underground) ne date pas d’hier. Même des formations à succès comme Muzion et Sans Pression, qui réussissent à vendre des milliers de disques, ne trouvent pas grâce aux yeux de la radio commerciale. Heureusement, MusiquePlus fait tourner ces groupes en rotation régulière (La Vie Ti-Nèg, de Muzion, a même atteint la première place du palmarès), mais qu’en est-il des groupes qui n’ont pas les moyens de se payer un vidéo-clip? C’est là que les radios communautaires et universitaires entrent en jeu.

«Notre mandat est de promouvoir l’underground et la relève à caractère alternatif. On refuse de jouer ou d’encourager tout ce qui passe dans les radios commerciales, amorce Isabelle Gentès, responsable musicale de la station universitaire CISM. C’est sûr que les radios communautaires et universitaires sont anticommerciales.»

En fait, la plus grosse différence se trouve dans ce qu’on appelle le listing musical. «Chaque animateur et animatrice a carte blance pour choisir sa musique, en autant que ça va avec notre politique musicale qui est surtout de jouer de la relève alternative. Il faut aussi que leurs choix respectent les quotas imposés par la Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC)», enchaîne la responsable musicale.

Jouer avec l’antenneLes quelques leaders du mouvement hip-hop québécois n’ont pas attendu que les médias soient sympathiques à leur cause. Résolus à travailler gratuitement à des heures impossibles, leur seule motivation se définit à travers une passion pour la radio et pour la culture hip-hop. De Nuit blanche à Jahtak, en passant par l’incontournable Kashow, nos vétérans de la scène locale francophone se sont fait un devoir de nous offrir une programmation engagée, beaucoup plus près du caractère alternatif de la scène locale.

«Nuit blanche a donné le droit aux jeunes rappeurs de rêver. À Montréal, on sent qu’il y a un besoin pour une émission comme celle-là, puisque beaucoup de gens l’écoutent, bien qu’elle joue à une heure tardive», déclare Keithy Antoine, coanimatrice de l’émission diffusée à Radio Centre-Ville (102,3 FM). La diffusion du rap local demeure leur priorité. Habité par un animateur qui ne mâche pas ses mots (Dice-B), le studio de Nuit blanche se métamorphose, chaque lundi, dès 23 h 30, en un lieu d’échanges spontanés, où seuls les adeptes, rappeurs et promoteurs décident de la tournure de l’émission.

Au Kashow, diffusée les jeudis, à minuit, à CISM (89,3 FM), l’animateur se retrouve rarement seul. Des files d’attentes d’invités-surprises viennent annoncer des shows, présenter leurs démos ou, tout simplement, freestyler en direct. «On voulait offrir un show plus structuré, répondant à un standard de qualité qui permettrait de soutenir la scène de façon utile», souligne Baye Sikime, animateur de Kashow, secondé dans sa tâche par deux D.J.-metteurs en ondes, Chalse et DJ Peer. Le Kashow prend toute son essence dans une atmosphère plutôt sympathique, laissant les auditeurs juger de la qualité de l’émission ainsi que des choix musicaux. «À Kashow, on est surtout des mélomanes. On aime faire place à la discussion, discourir sur la musique, ou simplement parler pour parler.»

Depuis plus de cinq ans, le samedi soir, à CIBL (101,5 FM), tout se passe entre minuit et six heures du mat’. L’émission Jahtak se présente d’abord comme un ensemble d’informations, de dépêches artistiques et de sélections musicales. Elle couvre différents styles musicaux, tels que le rap francophone, underground (présenté par DJ Boogy et DJ Mystical Flex), de la musique West Coast, et du reggae (par le Ghetto Swing Soundsystem).

D’autres émissions, telles que Hip Hop Non Stop, aussi à CIBL; ou Funkadélice, sur les ondes de CISM, contribuent à la diffusion du rap local. Du côté anglophone, il faut souligner les nombreux efforts de la station CKUT (90,3 FM), qui propose pas moins de huit émissions de musique urbaine dont Ill Groove Garden (animée, entre autres, par Manchilde), et, bien sûr, ne pas oublier l’équipe de K-103 (103,7 FM), petite station de 250 watts de rayonnement radiophonique, diffusant depuis la réserve indienne de Kahnawake.

Nouvelles technologies«D’un clic autour du monde», la mafia du Net envahit la planète. Fondée par Chad Damord et Mike Dodard, montreal-underground.com est une radio communautaire cybernumérique produisant quatre émissions entièrement indépendantes qui défient toutes les barrières de format. D’abord, on parle de 51450, la rue du hip-hop qui offre un contenu hip-hop local et canadien, animé par Vulguerre, La Dame-de-Pique et Googy Welldone. «Toutes les radios commerciales jouent du Lauryn Hill. Si on ne fait pas tourner du Muzion, du Comatoze ou des groupes comme Eauxmély, qui va les jouer?» demande Vulguerre. On y trouve également La Ruée vers l’or (hip-hop international) animée par Chadow; Souffle des îles, émission tropicale animée par Prime et Babe; et Chill Factor, émission de musique techno underground, animée par U-turn 69.

Avec le Net et le bouche à oreille comme seuls outils de promotion, montreal-underground compte déjà plus de 5100 visiteurs venant du Québec, de la France, de la Suisse et de la Martinique. Les organisateurs eux-mêmes semblent dépassés par l’ampleur grandissante du projet. Si le monde ne vient pas à eux, les jeunes défenseurs du hip-hop ont bien l’intention d’aller à sa rencontre. Aujourd’hui, on n’a plus à se sentir limité par son crew, son quartier, ou même sa ville: le hip-hop se développe de façon parallèle et globale.

En terminant, quelques mots pour souligner l’esprit d’innovation des Productions Eauxméliennes pour Promeaux, magazine sonore format cassette, distribué gratuitement chez tous les disquaires et boutiques de vêtements hip-hop. Malgré son côté moins high-tech, Promeaux est une autre preuve que, même sans l’appui des radios commerciales, le milieu hip-hop sait rejoindre son public au moyen de solutions imaginatives.